Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Pour la refondation de « Charlie Hebdo »

Le collectif composé de quinze collaborateurs de l’hebdomadaire satirique souhaite rebâtir le journal dans l’esprit de ses fondateurs tout en échappant au poison des millions qui sont tombés dans ses poches.

Publié le 31 mars 2015 à 12h39, modifié le 19 août 2019 à 12h58 Temps de Lecture 4 min.

Le deuxième numéro de

Charlie Hebdo n’est plus cette publication suivie par quelques milliers de lecteurs fidèles, ce journal dont les nostalgiques reconnaissaient en avouant ne plus le lire : « Oui, j’ai lu Charlie quand j’étais jeune… » Devenu symbole mondial, Charlie Hebdo est désormais doté d’une identité inscrite dans la chair de son équipe dont les survivants ont tous choisi, après les attentats, de reprendre le flambeau hebdomadaire.

Chacun d’entre nous, au journal, mais aussi chaque lecteur se retrouve un peu propriétaire de l’esprit Charlie, un esprit de tolérance et de résistance que notre journal incarne malgré lui depuis le 7 janvier 2015. L’incroyable solidarité de tous, votre soutien massif nous rendent dépositaires, nous membres de Charlie, d’une charge symbolique exceptionnelle. Oui, nous sommes désormais un bien commun.

Charlie doit continuer, c’est pour nous une évidence, fidèle aux valeurs qui constituent son ADN, dans l’esprit de ses fondateurs et de ceux qui ont disparu : une place majeure accordée au dessin et à la caricature, une indépendance totale vis-à-vis des pouvoirs politiques et financiers, se traduisant par un actionnariat réservé aux salariés du journal, à l’exclusion de tout investisseur extérieur et de toute ressource publicitaire, défendant un modèle économique alternatif et dénonçant toutes les intolérances et les intégrismes divers et variés.

Nous vivons tous le deuil de nos amis et sommes chaque jour au côté des familles, dont nous tentons d’apaiser la douleur. Nous sommes encore sous le choc de la tuerie, mais avons fait le choix de nous reconstruire en rebâtissant Charlie, et de faire ainsi notre part du devoir de mémoire que nous avons vis-à-vis de nos camarades assassinés.

Pour vous, les millions de soutiens, les millions de lecteurs, nous devons continuer à nous battre. Rester fidèle à nos valeurs. Vous assurer de la plus grande transparence. Alors comment être à la hauteur de cette charge qui pèse sur nos épaules, nous qui avons failli mourir pour ce journal, nous dessinateurs, maquettistes, administratifs, webmaster, chroniqueurs, journalistes ? Comment échapper au poison des millions qui, par des chiffres de vente hors normes, mais aussi par les dons et les abonnements, sont tombés dans les poches de Charlie ? Comment continuer à fabriquer ce journal libre d’esprit que nous aimons tant, un journal satirique et fier des idées qu’il essaie de porter ?

Rester libre

En remettant à plat l’architecture de Charlie. En recourant à une forme de société coopérative, dont nous discutions en interne depuis des années, et qui se situe dans la droite ligne de l’économie sociale et solidaire que Charlie prône depuis toujours ; le journal doit abandonner le statut d’entreprise commerciale. En accordant à chacun d’entre nous le droit de prendre part, collectivement, aux décisions qui engagent le journal, sans en retirer de gains personnels : les parts sociales dévolues ne donneront aucun droit à dividendes, mais nous offriront la possibilité d’être impliqué dans la reconstruction de ce qui est pour nous aujourd’hui bien plus qu’un employeur.

En bloquant, comme nos camarades du Canard enchaîné, sous votre regard et par la volonté de tous les membres de Charlie, ces incroyables réserves financières qui doivent ne servir qu’à garantir la pérennité du titre à dix, vingt ou trente ans, en en affectant les fruits à la consolidation du titre, à l’apuration de ses dettes, à son développement et à sa nécessaire modernisation.

Nous n’avons aucune ambition personnelle, hormis celle de faire un journal toujours meilleur et de faire perdurer Charlie Hebdo. La cause que nous défendons n’est en rien financière, c’est une cause juste et morale. Or, nous assistons aujourd’hui à des prises de décision importantes pour le journal, souvent le fait d’avocats, dont les tenants et les aboutissants restent opaques. Nous entendons qu’une nouvelle formule se prépare, dont nous sommes exclus.

Nous ignorons tout de la fondation qui est en train d’être créée et souhaitons qu’elle soit l’émanation d’un projet mûrement réfléchi par l’ensemble du journal. Nous refusons que le journal, devenu une proie tentante, fasse l’objet de manipulations politiques et/ou financières, nous refusons qu’une poignée d’individus en prenne le contrôle, total ou partiel, dans le mépris absolu de ceux qui le fabriquent et de ceux qui le soutiennent. Surtout, nous refusons que ceux qui ont dit et écrit « Je suis Charlie » se réveillent demain matin avec la gueule de bois des illusions souillées, et constatent que leur confiance et leur attente ont été trahies.

La réorganisation du journal et l’œuvre de transparence sont un moyen de porter au mieux et tous ensemble le Charlie d’après le 7 janvier, un Charlie qui devrait donner envie de rire du pire plutôt que de s’y résigner, qui ne révérera aucun pouvoir, qui sera un journal fiable et enquêté, engagé et attentif aux nouvelles luttes politiques citoyennes, tout en accordant plus de place aux phénomènes culturels, littéraires et poétiques de notre siècle. C’est la seule façon de retrouver l’énergie, les idées, la légèreté, la capacité de créer et de nous projeter dans l’avenir.

Le collectif du journal Charlie Hebdo : Zineb El-Rhazoui, Simon Fieschi, Antonio Fischetti, Pascal Gros, Philippe Lançon, Laurent Léger, Luz, Mathieu Madénian, Catherine Meurisse, Patrick Pelloux, Martine Rousseaux, Jean-Baptiste Thoret, Sigolène Vinson, Jean-Luc Walet, Willem.

Le Monde

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.