"Le pouvoir de Google est inégalé dans l'Histoire"

Alors que Bruxelles sévit contre le moteur de recherche "ultra-dominant", le lobbyiste Jacques Lafitte souhaite qu'il change d'attitude.

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Bruxelles hausse le ton face à Google. Ses concurrents nous expliquent en quoi le moteur de recherche est en position ultra-dominante.
Bruxelles hausse le ton face à Google. Ses concurrents nous expliquent en quoi le moteur de recherche est en position ultra-dominante. © AFP

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La commissaire européenne à la concurrence, la Danoise Margrethe Vestager, s'apprête à signifier à Google une "communication de griefs", c'est-à-dire un acte d'accusation qui pourrait à terme être suivi d'amendes. Google, au succès planétaire incontestable, est-il devenu trop gros ? Nous posons la question à Jacques Lafitte, fondateur de la société de conseil en affaires européennes Avisa, qui conseille la start-up 1plusV, à l'origine dès 2005 d'un moteur de recherche hybride prometteur. Alors que Bruxelles accuse Google de mettre en avant ses propres services, le moteur de recherche répond de son côté qu'il n'y a "jamais eu autant de choix sur Internet" et qu'Android, un "système ouvert et gratuit" met en avant, sur le mobile, des solutions alternatives comme celles qu'offrent Facebook, Amazon, Microsoft et Expedia.

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Le Point.fr. La Commission s'apprête à notifier des griefs à Google. Pourquoi est-ce important ?

Jacques Lafitte. Google est en position ultra-dominante sur le marché de la recherche généraliste sur Internet depuis déjà dix ans. Petit à petit, Google a dominé certaines recherches spécialisées comme les recherches géographiques. Google possède aussi YouTube, dont le pouvoir est gigantesque. Demain, il sera présent dans des domaines encore plus sensibles comme les finances personnelles et la santé. Et Google abuse de sa position dominante d'une foule de façons, parfois subtiles, parfois violentes, et au total diaboliquement efficaces. Certains érudits sont tentés de comparer Google au Big Brother de George Orwell ; moi, je constate surtout le carnage au quotidien, avec les sociétés novatrices comme 1plusV "flinguées" à la chaîne. La première raison pour laquelle il n'y a pas de Google européen, c'est Google.

Par ailleurs, Google est peut-être la société la mieux organisée du monde en matière de lobbying. Aux États-Unis, Google a réussi à convaincre la Federal Trade Commission d'abandonner ses poursuites début 2013, malgré la conviction des fonctionnaires de l'Institution qu'ils avaient un cas très sérieux. Un des commissaires a d'ailleurs démissionné dans la foulée.

En attendant un possible régulateur spécifique pour l'accès à l'Internet, les espoirs de freiner Google reposent en bonne partie sur la Commission européenne et ses pouvoirs importants en matière antitrust. Certes la notification de griefs n'est pas la décision finale, elle-même susceptible d'appel, mais elle marque la fin du travail d'instruction, et c'est donc une étape cruciale. Après les griefs, il y a la phase contradictoire durant laquelle Google va pouvoir exercer ses droits à la défense, et ils ne vont pas se priver, mais statistiquement l'immense majorité des cas qui atteignent le stade des griefs vont à la décision finale.

Qu'espérez-vous de cette étape ?

L'étape n'est pas seulement importante au plan juridique, elle manifeste aussi la ferme intention de Bruxelles de faire son travail. Cela n'a pas toujours été comme ça. Du début 2010 à la fin 2014, le commissaire en charge, Joaquín Almunia, a traité avec mépris les petits plaignants comme nous, et évidemment il ne nous a jamais reçus. Par contraste, il voyait tellement souvent Éric Schmidt, que lors d'une conférence de presse mémorable début février 2014 il a avoué ne plus se souvenir s'il l'avait vu ou pas deux semaines auparavant à Davos.

Nous sommes passés tout près de la catastrophe. Joaquín Almunia a tout fait pour faire avaler au reste de la Commission un paquet d'engagements de Google qui, entre autres effets douteux, aurait enrichi Google au travers d'enchères payantes imposées à ses concurrents. En général, les décisions antitrust sont assorties d'amendes, parfois lourdes. Pour Google, Almunia voulait inventer le bonus antitrust - une première mondiale, et évidemment une aberration absolue.

Il a été remplacé début novembre par Margrethe Vestager, une femme précédée d'une réputation remarquable. C'était la star du gouvernement danois, et à Bruxelles tout le monde a déjà compris pourquoi. Margrethe Vestager a pris le temps de remettre les choses à plat sur le dossier Google, elle a reçu beaucoup de monde, elle a résisté aux amicales pressions américaines, et le premier résultat est l'envoi de griefs. C'est de bon augure pour la suite, même si le combat continue.

Quel avenir pour les moteurs de recherche européens comme le français Qwant?

Je pense qu'il faut distinguer entre moteurs généralistes et moteurs spécialisés.

Pour les moteurs généralistes, il faut être lucide. Qu'il s'agisse de Qwant, de Yahoo!, de Bing ou de tous les autres, l'avenir s'annonce compliqué. Pour desserrer l'étreinte de Google, une décision antitrust de la Commission ne suffira pas. Il faudrait soit une vague de rejet populaire anti-Google, soit la création d'un gendarme européen de l'accès à l'Internet, et l'un comme l'autre prendra du temps.

Si j'étais Qwant, je mettrais en avant une approche différente des données personnelles. J'ai travaillé pour Microsoft à une époque. Pour des raisons historiques, il y a une sensibilité européenne très différente sur la question de la vie privée, et elle mérite vraiment d'être promue. Et il y aura du soutien à Bruxelles, parce que Mme Vestager et ses collègues de la commission Juncker prennent le sujet des données personnelles très, très au sérieux. Pour les moteurs spécialisés, je suis un rien plus optimiste, parce que le marché est plus diversifié, l'innovation plus intense et l'emprise de Google pas encore absolue.

Et, logiquement, Google devrait commencer à faire plus attention dans son entreprise de démolition de toute forme de concurrence installée sur les marchés qu'elle convoite et d'innovation sur les marchés qu'elle domine déjà. La raison est que derrière l'action de la Commission il y des enquêtes nationales sur des sujets que Bruxelles ne couvre pas, y compris au moins une en France. Et derrière ces enquêtes, il va finir par pleuvoir des demandes de réparations potentiellement très onéreuses pour Google. La culture française est encore frileuse dans cette matière, mais il y a des procès en dommages bien avancés au Royaume-Uni. On pourrait d'ici quelques années atteindre des montants de dommages cumulés jamais vus, et même jamais imaginés. Ce ne serait que justice, parce que l'on n'a jamais vu non plus un pouvoir de marché et des abus comme ceux de Google aujourd'hui.

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