Vous connaissez probablement Monsanto comme étant le premier producteur mondial de semences génétiquement modifiées, un géant de l’agro-industrie accusé de tous les maux par ses ennemis, comme celui d’encourager notre dépendance aux pesticides ou pousser les agriculteurs indiens au suicide.

Cette réputation est la dernière en date ; l’entreprise a endossé de multiples identités depuis sa création. Fondée en 1901 par un pharmacien de Saint-Louis, Monsanto a commencé par produire un édulcorant artificiel. Dans les décennies qui ont suivi, elle a élargi ses activités aux produits chimiques industriels et sorti son premier herbicide, le 2,4-D, en 1945. Dans les années 1950, elle a commercialisé un détergent pour lessive, le tristement célèbre insecticide DDT et des substances chimiques pour les bombes nucléaires. Une dizaine d’années plus tard, elle commençait à produire des tonnes d’agent orange [herbicide le plus utilisé par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam pour défolier les forêts]. Et dans les années 1970, elle est devenue l’un des plus grands producteurs de lampes LED.

C’est à cette époque que Robb Fraley est entré chez Monsanto. Aujourd’hui directeur du département de technologie, il a commencé comme technicien spécialiste en biotechnologie. A l’époque, se souvient-il, Monsanto avait des activités notamment dans les puits de pétrole, les matières plastiques et les revêtements de sol. Ce n’est qu’au début des années 1980 que l’entreprise a commencé à s’intéresser de plus près à la biotechnologie. Elle a réalisé ses premiers essais sur le terrain des plantes génétiquement modifiées en 1987 aux Etats-Unis. A la fin des années 1990, Monsanto est devenue une société de biotechnologie à part entière. Ces dix dernières années, elle a racheté plusieurs entreprises semencières, devenant la firme que nous connaissons et aimons – ou haïssons – tous aujourd’hui.

Mais une nouvelle évolution pointe à l’horizon : “Je nous vois bien d’ici cinq à dix ans en spécialistes des technologies de l’information”, lance Fraley. Vous avez bien lu : Monsanto s’attaque aux Big Data. Le groupe veut s’adapter au changement climatique en alliant l’informatique aux manipulations génétiques controversées qui constituent sa signature depuis une génération. Les Big Data pourraient aussi améliorer ses résultats financiers : dans son rapport annuel 2013, Monsanto attribuait ses bénéfices décevants à sa méconnaissance à la fois des phénomènes climatiques et des pratiques agricoles de ses clients. Les cadres de l’entreprise sont persuadés que des services d’information peuvent l’aider à mettre un pied (et ses semences) sur des marchés encore inexploités dans le monde, comme l’Afrique ou l’Amérique du Sud.

Quelle que soit la nature des sentiments que vous nourrissez pour Monsanto, il est difficile de dire que la firme se fiche du changement climatique. Lorsque j’ai rencontré Fraley à New York en septembre 2014, il m’a expliqué que depuis son arrivée en 1981, les scientifiques employés par le groupe avaient observé que la “ceinture de maïs” [grand espace agricole du Midwest des Etats-Unis] était remontée d’environ 320 kilomètres vers le nord du pays. Cela signifie que des bastions maïsicoles traditionnels comme le Kansas deviennent moins productifs et que de nouveaux marchés pour les produits Monsanto sont en train de s’ouvrir dans des régions comme le Dakota du Nord et le sud du Canada.

Des applications pour cultiver la terre

Mais pour Fraley, qui a passé sa carrière à farfouiller dans des nucléotides microscopiques, les tendances les plus intéressantes se dessinent à des échelles beaucoup plus petites. Une différence de quelques degrés de température à peine modifie le moment où les insectes naissent et où les maladies surviennent, explique-t-il. La modélisation des conditions microclimatiques devient donc très importante car elle permet de dire non seulement dans quel champ il faut regarder, mais aussi dans quelle partie du champ.”

En 2013, Monsanto a fait un gros investissement dans l’analyse de volumes massifs de données en déboursant 930 millions de dollars pour racheter Climate Corporation. Cette entreprise de San Francisco était initialement spécialisée dans la vente d’assurances des récoltes aux agriculteurs, avec des tarifs indexés sur les données météorologiques les plus détaillées que l’on puisse trouver. Aujourd’hui, le produit phare de Climate Corporation est une application pour smartphone nommée Climate Basic.

Capture d’écran de l’application Climate Basic prise depuis l’Iphone de l’auteur de l’enquête, en octobre 2014.

L’image ci-dessus – une capture d’écran de mon iPhone faite au début d’octobre – montre l’exploitation de maïs et de soja de ma famille dans l’Iowa. On peut voir chacun des cinq champs séparément en surbrillance. Il y a 30 millions d’exploitations agricoles aux Etats-Unis et l’application les couvre toutes avec une résolution de 10 mètres. Elle donne en temps réel la température, les conditions climatiques et le taux d’humidité du sol de chacune de nos parcelles et ce que nous pouvons prévoir pour la semaine. Le tracteur vert indique que samedi sera le meilleur jour pour travailler dans les champs. Si j’avais entré des informations sur le type de graines que j’ai semées et à quelle date, l’application me dirait quand récolter et quel rendement je peux escompter. Une version plus complète et payante donne des in