L’Inde rêve d’un centre financier dans les sables du Gujarat
L’Inde lance la construction d’une ville nouvelle. Le Premier ministre veut créer une rivale de Dubaï et Singapour.
Par Patrick de Jacquelot (Correspondant en Inde - Son blog : www.frenchjournalist.com)
A la mi-avril, tout le gratin de la finance indienne était rassemblé autour d’Arun Jaitley, le ministre des Finances : deux sous-gouverneurs de la banque centrale, les dirigeants des autorités de tutelle des marchés financier et des assurances, des PDG de banque, de compagnies d’assurances, des patrons de Bourse, etc. Et ce n’est ni à Bombay, la capitale financière de l’Inde, ni à Delhi, sa capitale politique, que ce beau monde s’est retrouvé, mais dans une bourgade poussiéreuse de l’Etat du Gujarat, entre sa capitale administrative, Gandhinagar, et sa capitale économique, Ahmedabad. Objectif de la réunion : donner le coup d’envoi de l’édification de Gujarat International Finance Tec-City (GIFT), une ville nouvelle qui ambitionne de devenir un centre international de finance offshore.
L’Inde s’agace de plus en plus de voir des places étrangères comme Dubaï, Singapour ou la Malaisie jouer un rôle très actif dans les opérations financières internationales la concernant : dérivés sur la roupie ou les actions indiennes, financements en devises pour les entreprises nationales, etc. Le pays souhaite donc développer un véritable centre financier international sur son territoire afin de récupérer ce business qui lui échappe. Mais ce n’est pas Bombay, qui concentre tous les marchés boursiers indiens, les grandes banques nationales et étrangères et les métiers de la finance, qui a été choisie, mais bien GIFT. L’explication est simple : il s’agit d’un projet envisagé depuis des années par Narendra Modi, quand il était ministre en chef du Gujarat. Depuis qu’il est devenu Premier ministre à New Delhi, il a impulsé une accélération du projet avec le soutien du gouvernement central.
La première « ville intelligente » du pays
Arun Jaitley vient ainsi d’adopter le cadre général dans lequel exerceront les International Financial Services Centres, zones économiques spéciales dont GIFT doit être le premier exemple. Le principe est d’offrir un cadre réglementaire spécifique largement distinct de la législation indienne pour permettre aux intervenants indiens et étrangers d’offrir toute la gamme des services financiers offshore, avec des transactions effectuées en dollars, etc. Une fiscalité spécifique et très attractive sera mise en place, a promis le ministre des Finances, pour rendre GIFT compétitive face à Singapour et aux centres internationaux.
GIFT étant édifiée en partant de zéro, le projet veut aussi être la première des cent « villes intelligentes » promises à l’Inde par Modi. La première étape des travaux de construction a ainsi consisté à creuser un tunnel destiné à regrouper tous les réseaux de la future ville : eau, électricité, air conditionné…
Si les ambitions sont considérables, les défis à relever ne le sont pas moins. Outre les contraintes techniques de construction et les interrogations sur le cadre réglementaire et fiscal précis, la question est de savoir si les financiers internationaux auront envie de s’installer dans une ville nouvelle du Gujarat, loin des métropoles indiennes et des liaisons internationales, avec une qualité de vie sans doute discutable. Le Gujarat, à titre anecdotique, est un Etat où la consommation d’alcool est interdite… « Je travaille avec les quinze plus grosses banques de Bombay : aucune ne prévoit de s’installer au Gujarat, lance le patron d’une banque européenne de taille moyenne de Bombay. Tout ça, c’est de la com’ de Modi, si on veut une capitale financière internationale au Gujarat, on parle du XXIIe siècle ! » Les autorités indiennes vont devoir déployer de gros efforts de conviction, si elles ne veulent pas que GIFT n’attire que des activités de back-office.