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Monde

Le gouvernement japonais veut relancer le nucléaire

20 % de nucléaire en 2030 : tel est l’objectif présenté par Tokyo, ce mardi 28 avril. Alors que toutes les centrales du pays sont à l’arrêt, que la population rejette l’atome en bloc et que Tepco peine à faire face aux conséquences de l’accident de Fukushima...


Tokyo présente ce mardi 28 avril le brouillon de sa nouvelle politique énergétique aux experts du secteur, et devrait l’officialiser dans les semaines à venir. Quatre ans après l’accident nucléaire de Fukushima Dai-ichi du 11 mars 2011, alors que les quarante-huit réacteurs du pays sont toujours à l’arrêt, cette feuille de route prévoit 20 à 22 % de nucléaire dans le mix énergétique nippon d’ici 2030. Les énergies renouvelables fourniraient 22 à 24 % du courant en 2030, contre un peu plus de 10 % à l’heure actuelle.

Cette annonce intervient six jours après la décision d’un tribunal local, le 22 avril, d’autoriser la relance des réacteurs 1 et 2 de la centrale de Sendai dans la préfecture de Kagoshima. La compagnie exploitante, Kyushu Electric Power, souhaite leur remise en route avant l’été. Un autre tribunal s’est toutefois opposé le 14 avril à la remise en marche de deux réacteurs de la centrale de Takahama, dans la préfecture de Fukui. La société exploitante, Kansai Electric Power, a fait appel.

Carte des centrales nucléaires au Japon

Comment un pays durement touché par une catastrophe nucléaire peut-il si rapidement tourner la page ? Pour rappel, 160 000 personnes ont dû fuir les territoires contaminés des abords de Fukushima. 300 m3 d’eau contaminée s’écoulent dans la mer chaque jour. Les opérations de démantèlement des trois réacteurs accidentés devraient prendre trois ou quatre décennies.

Image satellite des installations de la centrale de Fukushima Daiichi après l’accident nucléaire (Digital Globe)

Réduire les importations de charbon et les émissions de gaz à effet de serre

Le principal argument avancé par l’exécutif est économique. Pour compenser la fermeture de ses réacteurs, le Japon importe des énergies fossiles : gaz, pétrole et charbon. Ces achats pèsent lourd dans sa balance commerciale. « Le gouvernement estime que pour relancer la croissance, à l’arrêt depuis quinze ans, il faut disposer d’une énergie relativement bon marché, c’est-à-dire, d’après eux, du nucléaire », expique à Reporterre Marc Humbert, professeur à la faculté de sciences économiques de Rennes-1 et chercheur au Centre de recherches sur la culture japonaise de Rennes (CRCJR). Pourtant, le parc nucléaire nippon est vieillissant. L’objectif fixé imposera de coûteux travaux de remise aux normes dans les centrales existantes, voire la construction de nouvelles centrales...

En outre, conséquence des importations de combustibles fossiles, les émissions de gaz à effet de serre japonaises ne cessent d’augmenter. Elles étaient de 1 408 milliards de tonnes d’équivalent CO2 en 2014, un niveau jamais atteint auparavant. A quelques mois de la conférence de Paris sur le climat, Tokyo est pressé d’inverser la tendance. Plutôt que de miser sur les énergies renouvelables et les économies d’énergie, il s’empresse d’investir dans le nucléaire, à l’instar de la France.

Lobby industriel et nationalisme enragé

La relance du nucléaire au Japon est aussi le fruit d’un lobbying intense mené par les compagnies électriques. « Elles souhaitent continuer à fabriquer des centrales, observe Marc Humbert. Elles ont signé des contrats avec la Turquie, voudraient en faire de même avec la Chine. Or, il est impossible de vendre des réacteurs à l’étranger quand on a fermé les siens. »

Cet engouement pour le nucléaire tient également à la personnalité du Premier ministre, Shinzo Abe (Parti libéral-démocrate). L’homme a hérité de son grand-père Nobusuke Kishi, ministre du Commerce et de l’Industrie pendant la Seconde guerre mondiale et Premier ministre de 1957 à 1960, des positions militaristes et extrêmement nationalistes. « Il veut restaurer la puissance du Japon, et lui donner la possibilité d’être une puissance militaire en se dotant de l’arme nucléaire », décrypte Marc Humbert.

Shinzo Abe en avril 2014 (Chuck Hagel)

Les Japonais en majorité hostiles au nucléaire

Les Japonais sont pourtant en majorité opposés au retour à l’atome. « Une consultation publique a été menée sur Internet pendant l’été 2012. 87 % des 89 000 réponses étaient défavorables au nucléaire », se souvient Youki Takahata, membre du réseau Sortir du nucléaire et de Yosomono-net. Une autre consultation, organisée début 2014, aboutit à 94 % d’opinions favorables à la sortie du nucléaire sur quelque 19 000 réponses, poursuit la militante.

La mobilisation citoyenne, considérable après la catastrophe, s’essouffle un peu. Mais « une cinquantaine d’avocats très actifs aident les habitants qui s’opposent à la réouverture des centrales, raconte Youki Takahata. Des opposants se relaient en permanence devant le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’industrie, depuis le 11 septembre 2011. Des manifestations ont lieu tous les vendredis devant le cabinet du Premier ministre. » Plusieurs personnalités politiques, parmi lesquelles la chancelière allemande Angela Merkel et l’ancien Premier ministre japonais Naoto Kan, ont publiquement affiché leur désaccord avec la politique pro-nucléaire de Shinzo Abe.

Campement à Tokyo devant le ministère de l’Economie (Marc Humbert)

Le Japon entre-t-il dans une nouvelle ère nucléaire, malgré les réticences de sa population ? Pour Marc Humbert, ce n’est pas évident : « Shinzo Abe veut aller vite. Pourtant, le rallumage des centrales traîne. Il semble que les oppositions, aux différents niveaux, jouent comme autant de grains de sable. » Si la relance du nucléaire au Japon prend autant de temps que la construction de l’EPR, il reste encore un espoir aux opposants.

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