Est-ce ce léger fard carmin qui a gagné son visage d’albâtre ? Ses fins cheveux que l’on connaissait bruns, et qui tirent dorénavant sur le roux ? Ou bien ce nouvel éclat dans la prunelle, sous le sourcil arqué, qui a transformé son air boudeur d’adolescente en une mélancolie de jeune femme ? Il y a assurément quelque chose de changé sur l’éternelle promise de la grande fresque (3 mètres de haut sur 17 mètres de large) du triclinium (antichambre) de la villa des Mystères, la plus célèbre des demeures de Pompéi.
Après cinq mois de fermeture, cette fresque datant du milieu du Ier siècle av. J.-C. a retrouvé la superbe de son cinabre, ce vibrant rouge pompéien. Le 20 mars, le ministre de la culture italien, Dario Franceschini, est venu célébrer la réouverture de la villa à l’issue d’un vaste chantier de deux ans, métaphore selon lui d’une « renaissance » de la cité antique.
Recouverte par un nuage de cendres craché par le Vésuve le 24 août 79, Pompéi a été exhumée quinze siècles plus tard, devenant l’un des sites archéologiques les plus célèbres du monde. Las, ces dernières années, la cité ensevelie craignait une nouvelle disparition. Alarmée par la sombre litanie des éboulements d’un site sacrifié par des années d’austérité, Bruxelles a lancé avec Rome, en mars 2012, le Grand Projet Pompéi : 105 millions d’euros de soins intensifs, dont 41,8 millions proviennent de l’Europe (le reste étant financé par l’Italie). Mais cette prodigalité a été soumise à une condition : les fonds alloués doivent être dépensés avant fin 2015 sous peine d’être perdus. Et c’est une course contre la montre qui s’est engagée.
L’urgence est aujourd’hui palpable dans les 44 hectares de la riche cité antique. « La tâche est immense, mais l’énergie est là », s’enthousiasme Maria, une jeune archéologue embauchée au mois de décembre avec un bataillon de 30 autres experts, pour permettre la réouverture au public de treize domus (maisons). Cette effervescence a un revers : le visiteur trouve souvent porte close ou doit se contenter du dos d’un ouvrier au premier plan de ses clichés.
Détruire les restaurations précédentes
« On nous demande de lutter contre le temps, c’est une certaine définition du mythe de Sisyphe », s’amuse un maçon qui s’affaire sur une bordure de stuc sous un soleil de plomb. Souvent, la tâche est paradoxale : elle consiste à détruire les restaurations précédentes, réalisées avec les techniques de l’époque (béton des années 1950, acier des années 1970…) qui ont fragilisé les édifices originaux. « Fouiller, c’est détruire », rappelle le surintendant du site, Massimo Osanna, propulsé à la tête du chantier. Une figure d’autorité censée incarner la droiture et la transparence de la nouvelle gestion, après des années de gabegie et de corruption sur fond d’affaires mafieuses.
Mais on ne laisse pas derrière soi si facilement un tel passé. Le Grand Projet a pris du retard : sur 47 chantiers prévus, seuls une douzaine ont débuté, et trois sont terminés. Malgré ces difficultés, la surintendance affirme que 98 millions d’euros ont déjà été engagés. La presse italienne, elle, clame que seuls 7 millions ont été effectivement dépensés. De nombreux contentieux retardent les travaux, et l’équipe juridique a été renforcée.
Cette inertie met en rage Antonio Irlando, président de l’Observatoire du patrimoine culturel. « Pendant que les médecins étudient, le patient meurt », dit un proverbe napolitain. Malgré les travaux, l’hiver a apporté son lot de victimes parmi les quelque 1 500 bâtiments qu’abrite le site : la maison du Centenaire, la nécropole de Porta di Nocera ou encore la maison de Severus. Les échafaudages et renforts sont venus soutenir les « blessés », tenus à l’écart du public par une bande plastique rouge et blanche qui marque la scène du crime. Mais nulle enquête n’est nécessaire pour trouver le coupable de ces effondrements : la pluie et les ruissellements.
Les travaux qui doivent réguler le risque hydrologique seront bientôt achevés, promet le surintendant Massimo Osanna. « Pour une détérioration médiatisée, il y en a neuf qui sont passées sous silence », déplore Antonio Irlando. Cet architecte prône un « grand projet de maintenance quotidienne » engagé sur le long terme plutôt que la course actuelle. Un avis partagé par l’historien de l’art Simone Verde, pour qui « l’argent ne règle pas tous les problèmes ». Ce spécialiste déplore même le « manquement de l’Europe à ses devoirs ». Selon lui, « elle doit intervenir plus largement en donnant les lignes d’un projet global de conservation ».
L’Unesco se dit pourtant « rassurée » et ne menace plus de retirer à Pompéi son inscription au Patrimoine mondial de l’humanité, obtenu en 1997. De son côté, le surintendant veut profiter du plan européen pour multiplier les champs d’action, comme la numérisation des documents et le lancement d’un site Web plus complet pour « ouvrir Pompéi au plus grand nombre ».
Quel avenir après le 31 décembre ? « Il n’est pas question d’abandonner le travail », argue Mattia Buondonno, guide expert de la surintendance. Son père, mosaïste, a travaillé quarante ans dans les ruines de Pompéi avant de transmettre le flambeau à son fils, qui y a fait ses premières armes sur un carrelage noir et blanc de la maison des Amours dorés, dans les années 1970. « Comme dans une maison moderne, il y a en permanence des travaux à faire pour la garder en état, tout ne va pas s’arrêter après le Grand Projet », promet-il.
Derrière la villa aux murs colorés s’étend une partie des 22 hectares encore non fouillés du site. Quelles merveilles se cachent sous ces scories millénaires ? « Tant que je serai en poste, je me battrai pour que ces espaces soient laissés intacts », s’engage Massimo Osanna. « Nous n’avons pas les techniques pour mener ces fouilles sans endommager les bâtiments : c’est aussi cela qui garantira l’avenir de Pompéi. » Dans ce cas, il est urgent de ne rien faire.