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Les thons victimes d’un engin de pêche redoutable

La réglementation peine à s’imposer face aux prises massives permises par les dispositifs de concentration de poissons, qui inquiète les pêcheurs eux-mêmes

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Publié le 25 mai 2015 à 20h21, modifié le 28 mai 2015 à 09h18

Temps de Lecture 4 min.

Pêche au thon sous un radeau de concentration de poissons aux Philippines en 2012.

Mardi 26 mai s’ouvre la saison du thon rouge. Les gros navires senneurs français sont prêts à s’élancer du côté de Malte et des Baléares : ils ont un mois pile pour pêcher leur quota de 2 302 tonnes. C’est beaucoup moins qu’en 2006. Il avait alors été décidé de diviser presque par trois les captures maximum autorisées dans l’Atlantique et en Méditerranée, tant les populations de thon rouge s’étaient effondrées. Chaque année, on y pêche désormais 13 400 tonnes du roi des sushis, qui semble se rétablir.

C’est peu comparé à la totalité de la pêche thonière mondiale, soit de 4,8 à 5 millions de tonnes de listao (ou bonite), patudo (dit aussi thon obèse), albacore (thon jaune) qui finissent bien souvent en boîtes de conserve. Aucune réglementation contraignante ne régule le sort de ces espèces qui sont actuellement victimes d’un engin de pêche redoutable appelé dispositif de concentration de poissons (DCP). Cet outil d’allure modeste ne serait pas particulièrement dévastateur s’il ne se multipliait à une vitesse vertigineuse dans tous les océans du monde, au point de faire réagir… les pêcheurs eux-mêmes.

Procédé bon marché

« Nous sommes inquiets pour la durabilité des stocks de thons et donc pour la durabilité de notre activité », annonce Yvon Riva, président d’Orthongel, qui regroupe les producteurs français de thon tropical congelé et surgelé. En 2012, l’organisation professionnelle avait interrogé ses patrons pêcheurs sur le trop-plein de DCP. A 70 %, ces derniers avaient approuvé l’idée de limiter volontairement le nombre de ces engins à 200 par navire (dont pas plus de 150 actifs dans l’eau en même temps). Mais leur exemple vertueux n’a guère fait d’émules jusqu’à présent.

Il faut dire que le DCP est un procédé bon marché, sans risque et surtout très efficace. Il se compose généralement d’un petit radeau de bambou de 4 mètres carrés environ, d’une traîne de 50 à 80 mètres de long modelée dans de vieux filets entortillés en guise d’ancre flottante et surtout d’une balise GPS qui permet aux marins de le retrouver à coup sûr après l’avoir lâché en plein océan quelques jours plus tôt. La plupart n’y ajoutent même pas d’hameçons, apparemment superflus.

Le principe repose en effet sur le comportement des poissons, observé depuis l’Antiquité, qui pousse gros et petits à se positionner sous n’importe quel « abri » flottant : branchages, bateaux, ou désormais conglomérats de plastique. Sans que l’on sache précisément ce qui les pousse à s’agglutiner ainsi, on note que les thons notamment deviennent dès lors plus vulnérables, maigrissent, car ils ne s’éloignent plus pour chasser et finissent par ne plus suivre leurs itinéraires de migration habituels.

Créneau juteux

Inquiétant pour l’avenir, mais gage d’efficacité pour aujourd’hui : il devient d’autant plus difficile de manquer son coup de filet que le sondeur radio du navire indique au pêcheur si la biomasse rassemblée mérite de mettre la senne à l’eau. Dans plus de 80 % des cas, celle-ci remonte en moyenne 26,5 tonnes de poissons à la fois.

Environ 91 000 DCP sont déployés en mer chaque année, selon une étude du Parlement européen réalisée en 2014. Ce qui apparaît comme une estimation basse, sachant que, depuis les années 1990, la majorité des thoniers industriels s’est détournée de la pêche sur bancs libres qu’il faut repérer à la jumelle, pour se tourner vers ce créneau juteux. Beaucoup travaillent à deux navires de concert : l’un pour transporter les marins, tandis que l’autre est surchargé de DCP. « Chaque jour, nos pirogues rapportent des balises de DCP de thoniers de Chine, du Japon, de Corée, des Etats-Unis, d’Espagne, etc., qui flottent près de nos côtes », témoigne le ministre de la culture et de l’environnement de Polynésie française, Heremoana Maamaatuaiahutapu.

Début mai, la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI) a fini par édicter un début de limitation à la demande de l’Union européenne : un thonier n’aura plus le droit de gérer plus de 550 DCP actifs à la fois. « La CTOI est censée avoir pour objectif la gestion durable des mers, mais elle ressemble à un club d’industriels se répartissant la ressource, estime François Chartier, chargé de mission de Greenpeace. L’ONG note que, si les 678 gros senneurs qui pêchent à plein temps le thon tropical s’équipaient de 550 DCP chacun, « on compterait alors plus de 370 000 de ces engins dans l’océan ! » Elle dénonce en outre les dégâts d’un outil qui ramasse pêle-mêle toutes les espèces, y compris les tortues de mer, et génère un énorme gâchis de poissons rejetés à la mer, morts.

Davantage de prises accessoires et de juvéniles capturés : les professionnels d’Orthongel dressent le même constat et déplorent eux aussi la surenchère de DCP. « La CTOI a franchi un premier pas, mais 550, cela reste énorme, soupire Yvon Riva. C’est le chiffre avancé par l’Union européenne à la demande des Espagnols. C’est trop. »

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Pourquoi flottilles françaises et espagnoles – les deux seules de l’Union européenne à pêcher du thon tropical – n’ont-elles pas la même approche ? « Leur modèle économique les oblige à viser des tonnages maximum, répond le président d’Orthongel. Un thonier breton mesure 80 à 90 mètres de long et coûte 28 à 35 millions d’euros, quand un navire de Galice va jusqu’à 115 mètres. Le premier rapporte en moyenne 5 500 tonnes de thons par an quand le second en fait 8 000 à 10 000 tonnes. Et même 20 000 tonnes pour les plus gros, qui peuvent transporter jusqu’à 1 000 DCP ! »

En mai, la CTOI ainsi que son homologue de l’Atlantique ont créé chacune un groupe de travail sur cette masse d’engins dérivant en mer. Le plafond de 550 pourrait n’être que provisoire. « Espérons qu’ils ne mettront pas dix ans à rendre leurs conclusions », glisse Yvon Riva.

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