Le «vagin» de Kapoor choque à Versailles
Des miroirs et de l’eau mais aussi des blocs de pierre et une inquiétante trompe d’acier rouillé posée sur la pelouse: au château de Versailles, près de Paris, le Britannique Anish Kapoor joue avec le chaos et la sexualité dans ce lieu de pouvoir et de désir.
- Publié le 06-06-2015 à 14h12
Spécialiste des installations géantes, comme celle du «Léviathan» sous la verrière du musée parisien du Grand Palais en 2011, l’artiste a également investi la salle du Jeu de Paume à Versailles avec une œuvre spectaculaire: un canon qui tire des cylindres de cire rouge sang dans un angle.
Pour son exposition du 9 juin au 1er novembre, Anish Kapoor a très vite écarté l’idée d’exposer ses œuvres dans les majestueux salons de Versailles comme l’ont fait d’autres artistes invités, dont Jeff Koons.
Il a préféré le Jeu de Paume, dans le quartier Saint-Louis de Versailles, ainsi que le Tapis vert, ce parterre de pelouse situé dans la grande perspective du château, explique Alfred Pacquement, commissaire de l’exposition. «Il ne voulait pas de Versailles comme décor».
Long tunnel d’acier rouillé
Dans l’axe central, l’artiste d’origine indienne a aligné quatre des six œuvres présentées: sur les terrasses, un de ses grands miroirs concaves bifaces, devenus sa marque de fabrique. Plus loin, un «miroir-radar» reflétant le ciel.
Puis, à quelques dizaines de mètres des statues dorées du bassin de Latone récemment restauré, se dresse l’ouverture inquiétante d’un long tunnel d’acier rouillé (60 m de long). Une pièce intitulée «Dirty Corner» (littéralement «coin sale»), «très sexuelle», reconnaît Anish Kapoor, qui imagine «une femme d’une autre civilisation».
Cette trompe, qui semble vouloir aspirer le château lui-même, est entourée d’excavations et d’énormes blocs de pierre (jusqu’à 25 tonnes), certains peints en rouge sang.
«La cavité sombre est un thème très présent dans le travail de Kapoor, il a joué la contradiction avec la perspective, bousculé son ordonnancement», mais en tenant compte de l’échelle de ce lieu immense, explique Alfred Pacquement.
«Ce qui se trouve sous la surface de cet ordonnancement», c’est aussi, selon Kapoor, ce que révèle la quatrième œuvre, le «Vortex», un bassin circulaire au pied du grand canal où tourne à fleur de terre une eau noirâtre dont le centre s’ouvre vers les profondeurs.
«Un désordre très précis»
Sexuelle, l’intervention du sculpteur au Jeu de Paume l’est aussi, à commencer par son titre «Tirer dans les coins». «J’ai voulu ouvrir un dialogue entre mon travail et le lieu», explique Kapoor, qui évoque «l’angle comme symbole du sexe féminin» et le canon «éminemment phallique».
«C’est un lieu très masculin, il n’y a aucune présence féminine», ajoute-t-il à propos de ce monument historique.
Le château de Versailles fut la résidence des rois de France Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Situés au sud-ouest de Paris, ce château et son domaine visaient à glorifier la monarchie française.
«La grande qualité de son projet, c’est qu’il est pensé et conçu par rapport à Versailles», souligne Alfred Pacquement, qui évoque la «détermination» du sculpteur, son «désordre très précis».
Anish Kapoor, 61 ans, a conçu une dernière sculpture posée comme un ovni au centre d’un bosquet: un énorme cube noir traversé par des boyaux rouges aux orifices de tailles très différentes, le plus grand occupant toute une face de l’oeuvre. L’intérieur du cube, accessible au public, donne la sensation d’être au coeur d’un gigantesque être vivant.
Le projet d’Anish Kapoor à Versailles a été l’un des plus complexes que les équipes aient eu à gérer depuis que le domaine donne carte blanche à des artistes contemporains. «Un chantier important», dit sobrement Alfred Pacquement. Quant à son coût, la direction de Versailles reste discrète.