Accéder au contenu principal
Birmanie

Birmanie: un exemple rare de coopération entre Rohingyas et Arakanais

Depuis les violences de 2012, les Arakanais bouddhistes et les Rohingyas musulmans vivent de manière strictement séparée à l’ouest de la Birmanie. Dans le village animé de Borga Fara, les nécessités économiques commencent à rapprocher les deux communautés.

Le marché de Borga Fara, où se côtoient tous les jours les communautés rohingya (musulmane) et arakanaise (bouddhiste).
Le marché de Borga Fara, où se côtoient tous les jours les communautés rohingya (musulmane) et arakanaise (bouddhiste). Rémy Favre
Publicité

Borga Fara est coupé en deux. D’un côté, la communauté arakanaise bouddhiste, de l’autre, la population rohingya musulmane. Entre les deux, une route surélevée où les deux peuples se rencontrent et commercent. « Nous sommes frères », déclare U Maung Thin Kyaw. Ce bijoutier arakanais de 49 ans éprouve une certaine compassion pour le peuple rohingya qui souffre de nombreuses persécutions en Birmanie. « Ils devraient pouvoir sortir des camps de déplacés, explique-t-il. Ce qui leur arrive n’est pas normal. »

Les violences interreligieuses de 2012 ont obligé plus de 150 000 Rohingyas musulmans à fuir leurs villages. Depuis, ils vivent dans des camps qu’ils n’ont pas le droit de quitter. À Sittwe, la capitale de l’Etat de l’Arakan situé à l’ouest du pays, les bouddhistes occupent le centre-ville et les environs du marché. Les musulmans ont été refoulés en périphérie, dans une plaine coincée entre l’océan et des villages arakanais. Les deux populations ne se rencontrent presque jamais, sauf à Borga Fara, le village-frontière. Cette ségrégation ne plaît guère à U Maung Thin Kyaw. « Si je pouvais leur donner la nationalité, je le ferais », promet-il.

Exclusion

Les Rohingyas sont apatrides. Le gouvernement birman les considère comme des immigrés illégaux venus du Bangladesh voisin, même si beaucoup vivent en Birmanie depuis des générations. Les autorités leur retirent actuellement leurs papiers d’identité provisoires afin qu’ils ne puissent pas voter aux élections de fin d’année. « Si je le pouvais, je reconnaîtrais l’ethnie rohingya de manière officielle », reprend le joailler bouddhiste. La Constitution birmane liste 135 ethnies. Les Rohingyas n’y figurent pas. Le gouvernement estime que ce groupe n’existe pas.

Les propos tolérants d’U Maung Thin Kyaw sont très rares au sein de la communauté bouddhiste de Birmanie. Personne, pas même l’opposition pro-démocratie, ne se risque à proposer d’octroyer des droits à la minorité musulmane, de peur de se mettre à dos la majorité bouddhiste à quelques mois du scrutin législatif. U Maung Thin Kyaw, lui, a appris la tolérance au contact des Rohingyas. Il les côtoie tous les jours. Il s’est même associé à l’un d’eux, ce qui est très rare à Borga Fara. Les deux hommes reçoivent en gage des bijoux. Ils vendent des chevalières. Ils communiquent en langue arakanaise. Le bouddhiste comprend l’idiome rohingya. Il ne le parle guère.

Mais trois ans après les violences, la suspicion entre les communautés demeure parfois. « Auparavant, les Arakanais confisquaient les marchandises des commerçants qui allaient vendre aux musulmans de Borga Fara, relate Nu Nu, la seule vendeuse hindoue du village. Depuis, j’ai toujours peur d’eux. »

Petits boulots

L’absence de liberté de mouvement empêche les Rohingyas d’avoir un accès facile au marché du travail. Les petits boulots sont donc pour eux. « Il n’y a pas un seul Arakanais qui conduit un vélo-taxi », remarque Mohamud Yunus, un musulman de 32 ans, qui pédale du matin au soir pour conduire les chalands au marché. Il n’a pas assez d’économies pour investir dans une bicyclette à side-car. Il loue donc l’engin pour 500 kyats la journée (50 centimes d’euros) et il parvient à en gagner 3 000 ou 4 000 (environ 3 euros).

Bloqués dans leur village, les commerçants rohingyas de Borga Fara doivent commander leurs marchandises par téléphone. Chaque jour, Kyaw Zaw, 22 ans, livre plusieurs camionnettes de mangues à Abdul Rahamad, 33 ans, qui les revend sur place. Le Rohingya a le sentiment de se faire berner. Dans les paniers qu’on lui apporte, des fruits pourris, dont personne ne veut, mais que lui doit accepter, puisqu’il n’a pas la possibilité de se rendre chez le grossiste au centre-ville de Sittwe pour les choisir. « Il fait cela tous les jours, regrette Abdul Rahamad. Quand je lui téléphone pour me plaindre, il me dit "si ça ne te plaît pas, tant pis, je ne te livre plus rien". » Ces maraudages le soucient mais ils ne mettent pas en péril son activité.

Arnaques

D’autres, en revanche, ont connu des déboires plus sérieux. Mohamad Idriss, 28 ans, a commandé six sacs de noix de bétel à un vendeur du centre-ville. Les habitants de la région aiment chiquer cette graine, enveloppée dans une feuille du même arbre, avec du tabac et différentes épices. « Il a disparu avec l’avance que je lui avais donnée, 1,2 millions de kyats [environ 1000 euros], se lamente Mohamad Idriss. Que puis-je faire ? J’ai gardé le contrat de vente. Je suis allé à la police. Ils disent que ce n’est pas leur affaire. »

Depuis, le détaillant demande à ses fournisseurs de le payer à la livraison, sans versement d’acompte. « Quand je leur propose cela, ils me raccrochent au nez. » Mohamud Idriss n’a pas demandé à ses collègues arakanais du marché, qui, eux, peuvent se déplacer librement, de partir à la recherche de l‘escroc. « Ils sont de la même ethnie, ils ne feraient pas cela », argumente-t-il. Il a donc emprunté sans intérêt à un Rohingya compréhensif pour maintenir son commerce à flot. « Les Arakanais, on ne peut pas leur faire confiance à 100% », se plaint-il.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.