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Yémen / Femmes / Photographie

«Je suis une femme», montrer des photos du Yémen aux Yéménites

Pendant que le Yémen est de plus en plus plongé dans la guerre, des artistes yéménites alertent en Europe sur la situation des femmes dans ce pays qui est l’un parmi ceux qui respectent le moins les droits des femmes. Ce sont six Yéménites qui s’affirment avec beaucoup de force et de finesse en tant que photographes et en tant que femmes dans une exposition collective intitulée «Je suis une femme» : des photos de rue, des images sur l’identité et la liberté, sur l’obsession du hijab, des photos engagées en faveur de la création d’un État civil et démocratique. Entretien avec Arwa Al Hubaishi, 25 ans, photographe à Sanaa, la capitale de Yémen, lors de la soirée consacrée aux femmes yéménites, le 8 juin, à l’Institut du monde arabe, à Paris, en partenariat avec RFI.

La photographe yéménite Arwa Al Hubaishi, 25 ans, le 8 juin 2015 à l'Institut du monde arabe, à Paris, devant sa photo d'une jeune fille dans un village près de Sanaa.
La photographe yéménite Arwa Al Hubaishi, 25 ans, le 8 juin 2015 à l'Institut du monde arabe, à Paris, devant sa photo d'une jeune fille dans un village près de Sanaa. Siegfried Forster / RFI
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RFI : Où est-ce que vous avez appris la photographie ?

Arwa Al Hubaishi : Quand j’ai commencé, il y a six ans, il n’y avait pas du tout d’institution, de centre ou d’école pour apprendre la photographie au Yémen. Alors, au début, j’ai appris par moi-même, en regardant aussi sur Internet. Après, j’ai pris des cours et des stages en Arabie saoudite et plus tard aussi au Yémen avec des photographes internationaux. C’était difficile d’y arriver, mais j’ai réussi.

Qu’est-ce qui se cache derrière votre photo qui montre une jeune fille souriante et apparemment heureuse ?

Aussi longtemps que je puisse me souvenir, le Yémen se trouve en conflit et tout est fait pour que ce soit très difficile pour les femmes de faire ce qu’elles ont envie de faire. J’ai fait cette photo dans un village. Elle fait partie d’un projet qui s’appelle Visages souriants. Moi et deux autres photographes femmes yéménites avons décidé de nous balader dans les villages où l’on savait qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont pas d’accès à l’éducation et où toutes les choses qu’un enfant aimerait normalement faire manquent . Son nom était Aman, elle avait dix ou onze ans et elle était très contente qu’on eût décidé de faire son portrait.

Lors de la soirée consacrée aux femmes yéménites à l’Institut du monde arabe, on a vu en avant-première le film yéménite Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée. Il raconte l’histoire d’une fille mariée par force. Est-ce que la situation de la fille sur la photo et la fille dans le film sont comparables ? En tant que photographe, poursuivez-vous le même but que la réalisatrice Khadija al-Salami ?

J’ai la chance que mon père et ma mère ont tous les deux reçu une très bonne éducation et je vis dans la capitale du Yémen. Seulement 25% des Yéménites vivent dans des villes. Cela veut dire que 75% n’ont pas accès à des choses fondamentales, comme la fille Nojoom dans le film. Sa famille n’avait pas assez à manger, elle ne pouvait pas aller à l’école… Comparé à cela, j’ai été très privilégiée. Personnellement, je n’ai jamais vu un cas comme Nojoom et je pense qu’il n’y a pas de Nojoom à Sanaa ou à Aden, les deux plus grandes villes du Yémen. Oui, il y a beaucoup d’autres problèmes comme la pauvreté, c’est pour cela que notre pays est aujourd’hui aussi dans cette guerre. Notre responsabilité en tant qu’artiste est de montrer que ces cas de filles existent et de parler aussi des 75% de la population en dehors des villes.

Sur une autre de vos photos, on voit une fille avec un pansement et une chaine autour de la tête. Un seul œil est encore visible et nous regarde. Certains diraient que cette image symbolise le Yémen comme le pire endroit au monde pour une femme...

En tant que femme yéménite, je ne dirais pas cela ! [rires] Même s’il y en a des endroits comme cela, le Yémen n’est pas le plus mauvais endroit du monde. Autrement, je ne serais pas aujourd’hui devant vous en tant que photographe. Par contre, le Yémen n’est certainement pas l’endroit idéal pour une femme, surtout pas en ce moment et probablement pas non plus dans les prochains dix ans. C’est pour cela que nous avons besoin de femmes comme la cinéaste Khadija al-Salami pour rendre visibles ces choses. Avec nos photographies aussi, nous avons décidé de refléter la vérité. Les visiteurs doivent comprendre les deux côtés. A Sanaa, une femme peut être bien éduquée, avec un bon travail et un bon salaire, mais à la campagne, ce n’est pas la même vie.

Votre œuvre est intitulée L’Appel de la liberté.

La femme sur cette photo dit en quelque sorte : « Assez ! Ça suffit ! » Autrement dit : il est temps de briser les chaînes et d’intégrer la société.

On parle de liberté, de mariages précoces, de guerre… Quel est le rôle des femmes et des artistes dans tout cela ?

Pour moi, le rôle des artistes est parfois plus grand que le rôle des hommes politiques. Comme la cinéaste Khadija al-Salami qui avait eu le courage de montrer ce que les femmes subissent dans ce pays. Dans les photographies exposées ici vous voyez des femmes qui ont décidé de briser les chaînes, d’autres photos montrent des femmes qui travaillent et savent exactement ce qu’elles veulent et ce à quoi elles aspirent. Personne ne va venir aux femmes pour les sortir de leur situation difficile. Si je reste en tant que femme à la maison, la réalité et la société ne vont jamais changer. Notre rôle est de montrer qu’on peut changer les choses. Les femmes doivent se réveiller et prendre elles-mêmes les choses en main. Cela sera un chemin long et difficile pour obtenir la liberté et l’indépendance, mais le temps est venu de bouger. Nous décidons de notre avenir.

En tant que femme, est-ce que c’est facile de travailler comme photographe au Yémen ?

Malheureusement, non, ce n’est pas facile. Et c’est même devenu encore plus difficile. Avant le Printemps arabe en 2011, c’était un peu plus facile. Aujourd’hui, je ne dirais pas que c’est impossible, mais il faut faire très attention, il faut être « armé », si vous décidez de travailler dans la rue. Vous allez être arrêté plusieurs fois, par les milices ou par ceux qui gouvernent le pays actuellement. Et vous pouvez remarquer que la plupart de mes photos ont été prises à l’intérieur. La photo de la petite fille à l’extérieur n’a pas été prise en ville, mais dans un village où il n’y a pas de milices. C’est devenu vraiment très difficile. La dernière fois que j’ai pris mon appareil photo pour prendre des photos dans la rue, c’était il y a un an.

Cette exposition a déjà eu lieu au Yémen, en mars, dans un petit café dans la capitale Sanaa. Comment le public a-t-il réagi ?

On a travaillé sur trois expositions : une exposition assez fermée à l’Institut français à Sanaa où très peu de gens « normaux » avaient eu accès. Après, on avait organisé la même exposition dans un petit café public. C’était un grand succès, avec beaucoup de monde, des étudiants et même des étrangers. Mais, je ne vous mentirai pas : on était vraiment très angoissés. Parce que le lieu était complètement ouvert au public et nous savions qu’il y a des gens qui n’aiment vraiment pas que nous montrions des photos de femmes. Moi, j’étais même super angoissée. Mais c’est comme ça à Sanaa : on peut faire des choses, mais ce n’est pas facile.

Les gens étaient-ils étonnés de voir des photos de femmes réalisées par des femmes ?

Le public adorait les photos, mais il y avait quelques visiteurs qui ne les aimaient pas. C’est normal, mais aujourd’hui, au Yémen, on avait peur que les gens ne disent pas seulement qu’ils haïssent les photos, mais qu’ils réagissent d’une manière plus grave… Heureusement, il n’y avait rien. Ensuite, la troisième exposition prévue a été malheureusement annulée, à cause de la guerre. Ce n’était plus possible, parce que quand il y a la guerre, il n’y plus de règles, plus de gouvernement, et plus rien qui peut vous protéger…

Quand il n’y avait pas la guerre, existait-il au Yémen un marché et des galeries pour ce genre de photographie que vous faites ?

Oui, mais les acheteurs sont pour la plupart des étrangers. Hélas, pour l’instant, les Yéménites ne réalisent pas encore l’importance de l’art. C’est notre boulot aujourd’hui.

Comment voyez-vous votre carrière en tant que photographe femme ?

Ce que je fais et ce que je veux continuer à faire, c’est de montrer des photos, des visages, des réalités du Yémen au Yémen. Et je veux montrer les deux côtés de la vie, pas uniquement le côté triste, mais aussi les petits points positifs qui existent aussi dans ce pays. Espérons qu’on pourra montrer cela dans le futur.

Trois photos de la photographe yéménite Arwa Al Hubaishi, exposées lors de l'exposition « Je suis une femme » à l'Institut du monde arabe, Paris.
Trois photos de la photographe yéménite Arwa Al Hubaishi, exposées lors de l'exposition « Je suis une femme » à l'Institut du monde arabe, Paris. Siegfried Forster / RFI

► Ecouter l'interview avec Khadija al-Salami, réalisatrice de « Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée »

► Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée, le premier film de fiction yéménite, réalisé par Khadija al-Salami et primé Meilleur film au dernier festival de Dubai, a été projeté le lundi 8 juin à 20 h à l’Institut du Monde Arabe (IMA), à Paris.

► Le 15 juin, à Bruxelles, une deuxième soirée consacrée aux femmes yéménites aura lieu, placée sous le haut patronage de Madame Michèle Alliot-Marie, député européen, présidente de la délégation du Parlement pour les relations avec la péninsule arabique et de Madame Bettina Muscheidt, Ambassadeur de l'Union européenne au Yémen.

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