Après s’être glissé sans bruit hors de son appartement, une sensation agréable envahit Stanley B. A 5 heures, ce lundi 29 juin, la nuit a enfin apporté un peu de fraîcheur. Il en profite de tout son corps avant de monter dans sa voiture. Il ne la quittera pas pendant quatorze heures… De sa cité HLM de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), où il a laissé sa femme et ses trois enfants endormis, il rejoint l’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle en espérant qu’une bonne course lui permettra de bien démarrer sa journée.
« Avant, j’étais jardinier ou soudeur, ça dépendait », raconte ce Haïtien, chauffeur de taxi depuis cinq ans. Arrivé en France en 1999, il n’a pas une seule fois travaillé de façon stable à l’abri d’un contrat à durée indéterminée. « C’était surtout de l’intérim, avec des trous », explique-t-il avec un accent si prononcé qu’il faut parfois lui demander de répéter.
Taxi, ça lui plaît. Mais les nuits ne sont pas toujours bonnes. « Des fois, je me couche et je ne peux pas dormir à cause de soucis d’argent. » Stanley, qui devait partir deux semaines cet été en vacances avec sa fille aînée, 12 ans, s’apprête à y renoncer. « J’ai déjà acheté les billets pour Haïti, mais je vais devoir les oublier. Ma voiture m’a fait quatre pannes en deux mois, et je n’ai pas de réserve. »
Une colère contre des frères d’infortune
Jeudi 25 juin, jour de la grève des taxis et théâtre d’incidents violents, il est resté chez lui. Cela ne l’empêche pas d’avoir son argumentaire tout prêt pour dénoncer ces chauffeurs qui lui rendent la vie plus difficile. « Nous les taxis, on est en France, on investit en France. Avec Uber, tout l’argent part en Amérique ! » Alors oui, Stanley est colère contre la concurrence d’Uber. Une colère contre des frères d’infortune.
Les chauffeurs UberPop habitent les mêmes cités de banlieue et sont issus pour beaucoup de la même immigration récente. C’est une sorte de guerre fratricide entre deux nouveaux sousprolétariats.
La cité HLM où habite depuis peu Brahima Diallo se situe à l’opposé de celle de Stanley par rapport à Paris, à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). A 26 ans, il y vit avec sa mère et ses trois petits frères et sœurs, tous encore scolarisés. Chauffeur UberPop depuis trois mois, il gagne 1 300 à 1 400 euros par mois. « Je comprends que ça énerve les taxis, mais on est des jeunes, on veut bosser, c’est tout ! » s’emporte-t-il. Depuis septembre, il était « dans le chaos. » « Je ne touchais plus les Assedic, j’avais même pas le RSA. On avait un arrêté d’expulsion à Goussainville, j’ai été obligé de faire des conneries, j’avais pas le choix, c’était pour ma famille… » Sa mère a bien un travail, « mais elle est amortie maintenant, et souvent malade ». Titulaire d’un BEP vente, ce Français d’origine comorienne a commencé à travailler à 17 ans. Dans la litanie des petits boulots, sa plus longue expérience fut celle de livreur à domicile chez Planet Sushi, pendant cinq ans. Et puis, plus rien…
Il vous reste 74.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.