Jérôme Fenoglio a été nommé, jeudi 2 juillet, directeur du Monde et membre du directoire.
EDITORIAL DU « MONDE »
Crise grecque, propagation du djihadisme, surveillance généralisée, drames des migrations, fractures françaises : partout où le regard se porte, près ou loin, le monde n’a pas paru depuis longtemps aussi mouvant et incertain. Des frontières s’effacent, des Etats s’effondrent, des unions vacillent, des sociétés se fragmentent, des camps idéologiques se recomposent. Les nouvelles qui nous parviennent semblent parfois indéchiffrables, les conflits sans issue, tandis que les opinions s’entrechoquent avec une virulence décuplée.
Face à cette complexité, le journalisme de qualité tel que nous le défendons au Monde depuis plus de soixante-dix ans n’a jamais été aussi nécessaire. Aux peurs et aux rumeurs, il oppose une pratique professionnelle, un savoir-faire indispensables pour permettre au public d’accéder rapidement à des informations indépendantes, fiables, approfondies et mises en perspective.
L’ambition de mon projet éditorial, en tant que directeur du Monde, sera de relier, dans toutes nos publications, notre indispensable transformation numérique à cette tradition de journalisme de haute qualité, à notre identité, à nos valeurs. Ce projet peut se résumer en trois mots.
La distinction : Le Monde doit pouvoir garantir à ses lecteurs qu’ils disposeront, sur tous les supports, des moyens de distinguer l’essentiel de l’accessoire, le vérifié du flou, le fait véridique de la rumeur, le signal faible qui débouche sur une piste d’avenir de l’écran de fumée qui nous masque le présent. A chacun, Le Monde doit offrir, en apportant un soin particulier à l’élégance de la présentation et de l’expression, tous les outils, tous les genres du journalisme de qualité : l’enquête, le reportage, l’analyse, la critique, les débats, les infographies, les photographies et, désormais, les vidéos. Ces impératifs valent tout autant pour nos supports numériques que pour le quotidien, qui est, et restera, la colonne vertébrale de nos offres payantes.
Une indépendance éditoriale absolue
Le courage : celui de publier tous les jours des informations originales, dérangeantes et impartiales. Très peu de médias, dans le monde, disposent d’une liberté aussi complète que la nôtre. Très peu de journaux et de sites ont produit, ces dernières années, autant d’enquêtes bousculant pouvoirs politiques et économiques, en France et à l’étranger. Cela n’est évidemment possible que grâce à une indépendance éditoriale absolue.
Cette indépendance est notre trésor. Sans elle, rien n’a de valeur : ni le professionnalisme avec lequel nos journalistes s’acquittent tous les jours de leurs différentes tâches, ni nos multiples productions éditoriales. En tant que directeur du Monde, je m’engage, comme mes prédécesseurs, à veiller scrupuleusement au respect de ce principe, à protéger la rédaction de toute intervention, de tout jeu d’influence.
Le courage, c’est également résister aux peurs, aux haines, aux manipulations, aux rumeurs, aux théories complotistes, à la propagande, à la raison d’Etat, au storytelling et aux mises en scène. C’est assumer nos choix éditoriaux, nos grandes causes. Mais aussi, dans une époque et une société clivées, où l’on ne parle plus que d’un point de vue ou d’un camp, d’être le lieu où subsiste le débat, celui qui fait vivre la pluralité des positions, en nous gardant de l’esprit de système et de toute connivence.
Le troisième mot est celui de communauté. Celle que constituent, au service de l’information, toutes les professions du Groupe Le Monde, dirigé avec dévouement et efficacité, au cours de l’année qui vient de s’écouler, par Gilles van Kote, que je tiens ici à remercier. Celle que nous formons avec nos lecteurs doit être encore consolidée par de nouveaux services, de nouveaux modes d’échange, de nouveaux lieux de débat. Plus que jamais, Le Monde doit être à l’écoute de ses lecteurs, à l’affût des nouveaux usages qui nous permettront d’atteindre de nouveaux publics. Fidèle à son histoire, il continuera de se transformer, avec l’ambition d’être pour chacun un plaisir quotidien et pour notre société une nécessité démocratique.
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