Le bâtiment blanc d’European Aeronautic Defence and Space Company (EADS) à Unterschleissheim
étincelle sous le soleil d’hiver ce mardi 10 décembre. A l’entrée n° 1,
le ballet de voitures est ininterrompu. Les salariés vont et viennent, de
grosses berlines franchissent les barrières, le site fourmille comme si de rien
n’était, ou presque.

Quelques heures plus tôt seulement, pourtant,
le premier groupe aéronautique et spatial d’Europe a fait savoir qu’il
prévoyait la suppression de 5 800 postes – et que des licenciements secs
n’étaient pas exclus. Le site d’Unterschleissheim, qui héberge le
siège de Cassidian, la branche défense d’EADS, est touché de plein
fouet. Et doit baisser le rideau pour de bon.

Devant l’entrée, nos tentatives d’engager la
conversation avec des salariés font chou blanc. Les caméras de surveillance
scrutent les moindres faits et gestes des visiteurs qui
s’approchent. Rien d’inhabituel pour un groupe d’armement, sauf que, ce
jour-là, l’ambiance est particulière. A peine a-t-on dégainé un appareil
photo qu’un agent de sécurité taillé comme une armoire à glace surgit de sa
guérite et se met à hurler. C’est un site privé, ici, et il est interdit de
prendre des photos. Repartez immédiatement.Salariés oubliés

Ce n’est qu’un peu plus tard que nous
parviendrons à entrer en contact avec deux ou trois salariés d’EADS, à quelques
mètres seulement de l’entrée principale, dans la Landshuterstrasse. L’un d’eux
est un homme élancé, d’allure sportive, qui s’apprête à prendre son poste à EADS
mais qui refusera de nous donner son nom. “On a tous passé la cinquantaine, qui voudra de nous ?”
lâche-t-il. Comme bon nombre de ses collègues, il a déménagé exprès à
Unterschleissheim voilà quelques années avec femme et enfants.

“Aujourd’hui,
j’ai une maison ici, que je n’ai pas encore fini de payer, mes enfants vont à
l’école ici, on vient de faire notre trou”, confie-t-il. Un de ses
collègues poursuit : “On se doutait
bien de quelque chose, mais quand ça vous tombe dessus, ça fait mal.”
L’ambiance dans l’entreprise est délétère, disent-ils. Tout le monde a peur.
Peur de se retrouver bientôt à la rue, sans travail ni plan B.

Président du comité d’entreprise de Cassidian,
Wolfgang Kiefer-Heydenreich confirme. “C’est
toujours en période de fêtes qu’on nous annonce ce genre de nouvelles”,
soupire-t-il en ballottant la tête d’un air abattu. Il s’est installé dans
l’espace salon, dans le hall. Nous voyant palabrer avec le cerbère de l’entrée,
Wolfgang Kiefer-Heydenreich a volé à notre secours et nous a proposé de nous
faire visiter le site.

Il se dit déçu de la communication au sein de
l’entreprise. “Dans le courrier que
tous les collaborateurs ont reçu hier, ils ne parlent que de création de
richesses et de chiffres arides, sans dire un mot de l’impact sur les salariés,
déplore-t-il. Le management n’a
vraiment pas la manière.”

Le site de Cassidian, qui
conçoit des logiciels et du matériel pour les radars militaires, emploie
quelque 1 200 salariés, auxquels il faut ajouter 200 cadres. Cela faisait tout
juste trois ans qu’EADS avait installé le siège de Cassidian à
Unterschleissheim. C’était avant l’arrivée [le 31 mai 2012] de Tom Enders à la
tête du groupe – et la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie.

Le plan social est d’autant plus malvenu
qu’EADS affiche de bons résultats, poursuit Wolfgang Kiefer-Heydenreich.“On ne baisse pas les bras”

Quid de la ville d’Unterschleissheim ? Les
gens sont-ils choqués par l’annonce du plan social ? Pas vraiment. Au magasin du
coin qui vend des boissons, un homme hausse les épaules. Les postes ne seront
pas supprimés mais simplement délocalisés sur un autre site, anticipe-t-il. Ce
n’est pas si grave, après tout. Une caissière du magasin discount voisin reste
impassible : “Les familles
resteront à Unterschleissheim et continueront de faire leurs courses chez nous”,
dit-elle.

On pourrait s’attendre à ce que Christoph Böck,
le maire d’Unterschleissheim, soit particulièrement remonté. Après tout,
Cassidian est la deuxième grande entreprise à quitter la ville. Voilà quelques
semaines seulement, le groupe Microsoft annonçait qu’il partait s’installer à
Munich avec ses 1 800 salariés. Mais Christoph Böck est étonnamment détendu. A
ses yeux, ces départs “ne coulent pas
pour autant le site industriel d’Unterschleissheim”.

Certes, l’éventualité d’une fermeture ne fait
pas plaisir, mais la zone industrielle d’Unterschleissheim emploie 15 000
personnes au total. Le déménagement d’EADS ne devrait donc pas avoir de “lourdes répercussions financières”
pour la commune. Christoph Böck ne prévoit pas non plus de chute forte de
la taxe professionnelle. “Quand
Microsoft et EADS seront partis, d’autres sociétés viendront s’implanter dans
les bâtiments laissés vides”, assure le maire. Christoph Böck impute
l’infortune de Cassidian au gouvernement fédéral en place [alors coalition de la CDU et des libéraux du FDP]. “S’ils
avaient donné leur feu vert à la fusion d’EADS et du britannique BAE Systems,
on n’aurait pas les fermetures de site d’aujourd’hui.”

Un discours qui ne devrait pas consoler les salariés de Cassidian concernés. Mais Wolfgang Kiefer-Heydenreich n’est pas
encore prêt à déposer les armes dans la lutte pour sauver le site
d’Unterschleissheim. A l’occasion de la prochaine assemblée générale du personnel, le président du comité d’entreprise espère en savoir
plus sur le projet de suppression d’emplois. “Alors on pourra mettre au point une stratégie concrète”,
confie-t-il. Avant d’ajouter : “On
ne baisse pas les bras.” Il sait pertinemment que le combat sera rude,
mais qu’il faut absolument le tenter.