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Billet de blog 13 juillet 2015

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Vaccinée contre l’humanité : mon 14 Juillet

Le père de mon futur enfant défile en ce moment. Il se trouve parmi les milliers de soldats sur l’avenue des Champs Elysées. Autour de moi, des femmes venues voir défiler leur mari. Elles jouent des coudes pour essayer d'apercevoir l’homme qui partage leur vie. Un gosse crie «Papa! Papa!». Très ému et fier à la vue de son père en uniforme. Moi, je resterai muette. 

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Le père de mon futur enfant défile en ce moment. Il se trouve parmi les milliers de soldats sur l’avenue des Champs Elysées. Autour de moi, des femmes venues voir défiler leur mari. Elles jouent des coudes pour essayer d'apercevoir l’homme qui partage leur vie. Un gosse crie «Papa! Papa!». Très ému et fier à la vue de son père en uniforme. Moi, je resterai muette. 

Le regard  passant d’un inconnu à l’autre. Contrairement à ces femmes, je ne connais pas le visage du soldat que je suis venue voir. Ni son nom. Mais je sais qu’il parade ce matin.  

A quelques mètres de mon gros ventre. 

Après m'avoir violée, il s’était levé lentement. Si tu parles, c’est fini pour toi. Une voix glaciale. Il commença à se rhabiller en pestant à cause de l’absence de lumière dans la cahute. J’essayais de respirer sans bruit. Me recroqueviller le plus possible, tenir de moins en moins de place. M’enfoncer dans le sol jusqu'à disparaître. Ne plus être. Le temps paraissait s’être arrêté. Un silence pesant au-dessus de moi.  Il se racla la gorge. J’entendis des pas. Sans un mot, il était  sorti. La porte claqua. D’autres pas à travers la cloison. Son téléphone sonna. Ouais, je serai le 14 juillet  avec mon unité sur les  Champs Elysées. Bien sûr que tu pourras faire des photos. Je t’embrasse fort Maman. La voix  d’un enfant. Il s’éloigna en sifflotant.

Combien de temps rivée au sol après son départ ? Je ne sais pas. A un moment, j'errais pieds nus dans la ville. Hagarde. Personne dans les rues à cause du couvre-feu.  Deux silhouettes  apparurent sur une placette. Des militaires. Je  m’enfuis en hurlant. Ils me rattrapèrent. Le plus grand des deux me saisit le bras. Le faisceau de la lampe torche m'aveugla. Je tremblais de peur. T’as rien à craindre. Calme-toi. Je réussis à reprendre ma respiration.  Qu’est-ce qui t’arrive ? Tout est sorti d’un coup. Un flot rythmé de sanglots. Le plus petit des deux hommes baissa les yeux. Son poing se ferma. Faut que ce fumier passe en cour martiale ! C’est la honte de l’armée française. Si je le chope, je le bute ! Ils voulaient une description de mon violeur. Impossible. Tout s'était déroulé en pleine nuit. Une main m'avait verrouillé la bouche. Je fus poussé en avant. D'un coup de rangers, il avait ouvert la porte.J’avais hurlé. Une lame de couteau contre mon cou. De cet homme ne me reste que l’odeur de son haleine chargée d’alcool.

Et un bébé dans le ventre.

Peu après, les deux militaires me firent grimper dans leur voiture et me déposèrent  à un centre de la Croix Rouge. Une infirmière de garde me prit en charge. Elle me trouva un hébergement d’urgence dans une ancienne école. Que des femmes et des enfants. Tout le monde entassé sur des matelas à même le carrelage.  Des cris et des hurlements même en pleine nuit. Impossible de dormir.  Sans prévenir l’infirmière, je partis un matin. Pas la moindre idée où aller. Juste quitter cette région bouffée par la guerre. Partir le plus loin possible.

Avant de quitter définitivement la région, je repassais à la cahute. Un frisson me traversa en rentrant. Très vite, je remplis un sac avec des vêtements. Sans oublier la liasse de billets que mes parents m’avaient obligée à avoir tout le temps sur moi. Je sortis et refermai la porte. Le couple de vieux m’observait derrière leur fenêtre. Serrés l'un contre l'autre. Il avait la main posée sur l'épaule de sa femme. Elle  m'adressa un signe de la main. Je me mis à courir.

Trois semaines plus tard,  je me retrouvais dans un bateau de migrants. Après voir échoué en Italie où je restais deux mois,  je traversais la frontière pour me retrouver à Nice. Dormant dans les squares, les gares, ou les rares halls d’immeubles sans code, je vécus quelques jours sur l’argent qui me restait. Puis, morte de honte derrière des lunettes noires, je dus me résigner à mendier dans la rue. Sans se soucier une seule fois de mon ventre qui grossissait. J’avais d’autres chats à fouetter.  Survivre au quotidien. Des jours et des nuits défilant comme dans un brouillard.

Jusqu’à ce matin où je tombais sur un article évoquant le défilé du 14 juillet. Les mots de mon violeur remontèrent aussitôt à la surface. Etrangement, je n’avais plus repensé à cette nuit horrible.  Comme effacé de ma mémoire. J’avais l’impression que c’était arrivé à quelqu’un d’autre que moi. L’histoire d’une autre. Mais, peu à peu, chaque millimètre de mon corps me redonnait  ce que ma mémoire cherchait à oublier. Enfouir le plus loin possible pour continuer de vivre. Cette brusque remontée de ce passé très récent m’anéantit. Pourquoi penser à tout ça ? Je jetais le journal et sortis du square. 

Le ciel bleu préfaçait une belle journée. Aller me baigner.  La mer calmait mes angoisses. Chaque jour, je m’installais parmi les baigneurs.  Avec l’impression que toute la plage bondée me dévorait des yeux. Que fait cette intruse parmi nous ? Je nageais jusqu’ à être complètement vidée et repartais les yeux dans le sable.  Ce jour là, j’avais encore plus besoin de me plonger dans l’eau salée. Evacuer les images renaissantes de cet article sur le défilé du 14 juillet.  Bien sur que tu pourras faire des photos. Je t’embrasse Maman. Je montais sans payer dans un train. Direction Paris.

 Après le viol, je fus abattue des semaines durant. Mon corps comme un poids lourd qui m'encombrait. Un sac de chair et d'os que je déplaçais d'un lieu à un autre. Jusqu'à cet après-midi, croisant un soldat anglais, je plongeais dans la haine. Une haine dont je ne me croyais incapable. Avec l'envie d'arracher les yeux à chaque homme croisé dans la rue.  Peu à peu, cette soif de vengeance se transforma en une volonté très froide. Impjacable. J'étais déterminée à traquer les meurtriers ayant massacré ma vie. Prête à me battre pour que les tueurs de mes parents soient jugés. Qu’ils répondent de leurs crimes devant un tribunal.  Et aussi que mon violeur soit puni. Le regarder droit dans les yeux dans un tribunal. Comment porter plainte contre un inconnu ?  N’importe quel juge me rirait au nez.

Pourquoi tous ces kms pour rien ? Un acte que je n'arrive pas à expliquer. Je suis ici comme une somnambule. Entre deux parties de mon corps. Je marche sur le fil de ma douleur. Sans véritable tristesse, comme anesthésiée.  Je dévisage les soldats. Peut-être lui ? Non, le brun devant.  Ou le blond à sa droite. Le petit gros là-bas… Lui pourrait me reconnaître.

Mon enfant naîtra, fruit d’un viol. Porter plainte contre l’armée française ? A quoi bon ? Le viol est une arme de guerre. La plupart des pays couvrent les brebis galeuses de leurs armées. Le corps d’une femme violée  passe par pertes et profits de la guerre. Le pot de fer contre le pot de terre. J’ai renoncé.  Pourtant les deux militaires m’ayant aidée m’avaient  vivement conseillé de porter plainte. Sans la moindre hésitation, ils m’avaient laissé leur nom et numéro de matricule. Tous deux prêts à témoigner en ma faveur. Même uniforme que le violeur, pas le même homme en dessous. Je me souviendrai toujours de leurs regards mêlés de colère et tristesse. J’ai perdu leurs  coordonnées. De toute façon, je n’avais pas la tête à me battre. Juste sauver ma peau. Sans imaginer que j’avais une autre peau qui poussait sous la mienne. Une grenade de chair et d’os ?

En rentrant, j’espère retrouver ma couche. Les flics ne cessent de nous expulser de squat en squat. A peine trouvons-nous un abri que les CRS nous en délogent. Un matin, je reçus un coup de poing dans le ventre. La rue s’était mise à tourner. Je m’étais effondrée. Sans l’aide d’une riveraine, je me serai fais écrasée par la foule derrière moi. Elle m’avait emmenée chez et proposé de l’eau. Comme il faisait très chaud, elle m’autorisa à prendre une douche. Mais je sentis qu’elle ne voulait pas que je reste. Déjà à sept dans un minuscule appartement. Pour se soulager de sa culpabilité, elle m’avait chargé en victuailles dans un sac. Que Dieu bénisse ton enfant ! Elle me serra contre elle et referma la porte.

Jamais auparavant, je n’étais venue en France. Mais je connais très bien ce pays. Mes parents y avaient passés plusieurs années en tant qu’étudiants. Leurs diplômes en poche, ils étaient revenus au pays pour travailler. Elle comme enseignante de d’histoire à l’Université et mon père comme haut-fonctionnaire. Nous vivions dans un quartier huppé de la capitale. Mon frère et moi inscrits dans un lycée très coté.  Une famille unie et heureuse de vivre. Avant que tout ne bascule.

Le nom de ma mère d’abord, puis celui mon père, furent inscrits sur la liste noire d’une fatwa.  Au début, ils négligèrent complètement cette menace. Même s’ils savaient que les intégristes attaquaient en priorité les intellectuels. Détruire d’abord ceux qui pensaient pour mieux embrigader les autres. Un soir, la voiture de ma mère fut mitraillée. Elle en réchappa. Toute la famille fit ses bagages pour le village d’origine de mon père. Nous possédions encore une maison. Une semaine  après notre arrivée, je rentrais des courses et vit un attroupement devant la porte d’entrée. La maison était en flammes. Un voisin,  ami d’enfance de mon père, m’entraîna à l’écart. Faut que tu t’en ailles. Ils ont tué tes parents et ton frère. Mes courses à la main, je m’enfuis. Ma première nuit dehors.

 Le lendemain, je réussis à passer dans une zone gérée par des anglais, des belges et des français. Un lieu protégé des barbares. Si un jour, tu es pourchassée ma fille, va en France. C’est l’un des rares pays qui sait accueillir les réfugiés. A une époque, eux aussi on dû fuir leur maisons, leurs villes, même pour certains quitter leur pays sous le joug des nazis. Comme nous aujourd'hui avec les islamistes.  La France connaît le prix de la souffrance d’un peuple écrasé et humilié. Plusieurs mois avant l’arrivée des milices islamistes, mes parents nous avaient expliqué ça à mon frère et moi. Et même donné des adresses de point de chute à Paris. Elles sont restées dans la maison entièrement détruite par les flammes. 

Malgré les nombreux tirs d’armes automatiques, un air de liberté régnait dans la ville ou j’étais arrivée. Les habitants, comme une sorte de pied de nez au malheur, essayaient de continuer de vivre le plus normalement possible. Même le zoo était ouvert. J’eus la chance de tomber sur un  couple de vieillard. Ils me proposèrent  de dormir dans une espèce de cahute attenante à leur maison. Parfois, il me laissait du pain ou des fruits devant la porte. Je me lavais dans un ruisseau légèrement en contrebas.  Au milieu de ces hommes en armes venus nous protéger, je n’avais plus peur de tomber sur les « fous de Dieu » aux yeux chargés de folie et de haine. Pour ne pas subir leur violence, j’avais dû me voiler. A 18 ans, première fois que je portais un voile. Ma mère, malgré les pressions, ne cacha jamais ses cheveux. Mais elle tenait à ce que je le fasse. Sans doute grâce à ça que j’ai survécu. A peine arrivée en territoire «  protégé », mon premier geste fut de me dévoiler. Pas contre le port du voile, sauf  sur ma tête. Ce geste me rapprochait de ma mère. Une femme libre. Elle ma manquera à jamais. Mon père et mon frère aussi. Nos rires et plaisanteries permanentes. Sans oublier nos engueulades. On ne mettait pas longtemps à se rabibocher. Je ne suis suis rien sans eux.

   Jamais je n’aurais pu croire  ue la barbarie me rattraperait dans cette ville sous protection internationale. Et qu’elle viendrait d’un soldat chargé de notre protection. Au moment où il me pénétra, un mot disparut  à jamais de mon vocabulaire: confiance. Plus jamais, je n’accorderai ma confiance. Ni aux hommes, ni aux nations. Derrière chaque visage, même le plus souriant, intelligent cultivé, peut se cacher le pire des tortionnaires. Une ordure. Plus rien ne serait comme avant. L’autre: un ennemi potentiel. J’étais définitivement vaccinée contre l’humanité. Une boule de méfiance à perpétuité.

     Le défilé est terminé. Que faire ? Reprendre le train et rejoindre mon squat à Nice. Des associations et des riverains nous viennent souvent en aide. Même avec eux, je garde des distances.  Dans l’usine désaffectée ou nous dormons, je reste à l’écart. Je ne parle à personne. J’ai un couteau dans la poche. Prête à tuer le premier qui me touche. Rester à Paris? La ville tant aimée de mes parents.

Ah ! L’Arc de Triomphe. Mon père m’en parlait souvent. Je pensais que c’était plus imposant. Où est la flamme? Une foule entoure le monument. J’ai du mal à avancer. Je réussis finalement à m’approcher d’une barrière de sécurité. En me tordant la tête, j’arrive à voir la tombe du soldat inconnu. Elle est entourée de gerbes de fleurs.

  Le bébé bouge dans mon ventre.

Une fiction écrite après la lecture de cet article.

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