La dernière fois que de telles nuées de journalistes ont fondu sur Bhopal, en Inde, c’était il y a trente ans, après l’explosion d’une usine chimique. La capitale de l’Etat du Madhya Pradesh venait d’être frappée par l’une des plus épouvantables catastrophes de l’histoire de l’humanité.
En ce début d’été 2015, voilà qu’une vague de morts suspectes, 47 en tout, jette à nouveau l’effroi sur la ville, faisant accourir tous les médias du sous-continent. En toile de fond, une énorme affaire de pots-de-vin dans laquelle les victimes trempaient de près ou de loin. Bienvenue dans le scandale Vyapam, qui commence à rattraper le pouvoir, et vaut à 2 000 individus d’être sous les verrous et à 1 800 autres d’être recherchés par la police…
L’affaire Vyapam a pourtant démarré comme les innombrables machinations dont l’Inde a le secret : dans la plus grande indifférence. Elle doit son nom au service de recrutement des fonctionnaires du Madhya Pradesh, une structure chargée d’organiser les examens d’entrée dans les universités et dans l’administration. Dans les années 1990, les candidats avaient pris l’habitude, pour obtenir de bonnes notes, de verser des dessous-de-table aux élus et aux employés de Vyapam.
Sept millions d’étudiants concernés
Comme le système s’avérait juteux, des petits malins ont eu l’idée de le perfectionner et de le transformer, à partir de 2009, en racket organisé. Un capitaine d’industrie jouait les intermédiaires en collectant auprès d’organisations étudiantes des centaines de milliers de roupies en liquide. Il graissait ensuite la patte du ministre de l’éducation et offrait taxis, billets d’avion et chambres d’hôtel à tout un tas d’élus de droite et de gauche, en échange de « pistons ».
Même si les irrégularités étaient notoires à Bhopal – plus de 7 millions d’étudiants en auraient bénéficié –, les autorités n’ont commencé à réagir qu’en 2013, lorsque vingt personnes, candidates au concours d’une école de médecine, ont toutes été démasquées en même temps : c’étaient en réalité des professionnels payés par les vrais candidats pour les remplacer à l’examen. La police a alors monté un groupe opérationnel pour enquêter. Accusés et témoins ont dès lors commencé à mourir dans des conditions mystérieuses : crise cardiaque, hémorragie cérébrale, accident de voiture, pendaison, empoisonnement… tout y passe. Des agents de police, des étudiants et des profs de médecine trépassent !
« C’est la plus grosse affaire de corruption de toute l’histoire de l’Inde et on n’en est qu’à la partie émergée de l’iceberg. » Prashant Padey, médecin légiste
Et puis, au début de l’été 2015, c’est l’hécatombe. Le 27 juin, un vétérinaire incarcéré dans le cadre de l’affaire Vyapam meurt dans sa cellule. Le lendemain, un autre accusé, médecin de profession, décède à son tour en prison. Le 4 juillet, coup de semonce : un journaliste de TV Today, qui enquêtait sur Vyapam, s’écroule, raide mort, alors qu’il était en train d’interviewer les parents d’une étudiante soupçonnée d’avoir fait partie du système, et dont le corps avait été retrouvé il y a trois ans le long d’une voie ferrée. Le 5 juillet, on découvre le cadavre du doyen de la faculté de médecine de Jabalpur, troisième ville du Madhya Pradesh, dans un hôtel de New Delhi. Il venait de transmettre aux enquêteurs des dizaines de documents sur le système Vyapam.
« C’est la plus grosse affaire de corruption de toute l’histoire de l’Inde et on n’en est qu’à la partie émergée de l’iceberg », a déclaré dimanche 12 juillet, dans les colonnes de The Asian Age, Prashant Pandey, médecin légiste à Bhopal. Il est lui-même escorté par un garde du corps. Car il craint pour sa sécurité, ayant été l’un des premiers à dénoncer les autopsies falsifiées menées sur les 47 cadavres pour camoufler des assassinats.
Des personnalités de premier plan suspectées
L’affaire prend une tournure nationale quand des personnalités de premier plan rejoignent la liste des suspects. D’anciens ministres, de grands patrons, de hauts fonctionnaires, jusqu’aux deux plus importants dirigeants du Madhya Pradesh, le gouverneur et le chef du gouvernement. Le premier, Ram Naresh Yadav (Parti du Congrès), est soupçonné d’être intervenu pour l’embauche de plusieurs fonctionnaires et vient d’être convoqué par la justice.
Son fils, Shailesh, lui aussi cité dans l’affaire, est mort brutalement à son domicile en mars dernier. Le second, Shivraj Singh Chouhan (BJP, « Parti du peuple indien »), se voit reprocher d’avoir tenté d’étouffer le scandale et d’avoir peut-être touché lui-même des pots-de-vin. En 2014, il avait failli être désigné candidat au poste de premier ministre de l’Inde par le BJP.
Face à cet imbroglio, la justice se réveille enfin. La Cour suprême de l’Inde a ordonné au Bureau central d’investigation, l’agence fédérale chargée des gros dossiers de corruption, de se saisir de l’affaire. Lundi 13 juillet, une équipe de quarante magistrats a débarqué à Bhopal pour reprendre toute l’enquête à zéro. En espérant stopper la danse macabre.
Par Stéphane Picard
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