Emmanuel Macron et les risques du co-voiturage

Emmanuel Macron et les risques du co-voiturage
Emmanuel Macron. (ERIC PIERMONT / AFP)

Peut-on être "start-up friendly", encourager l’économie collaborative et arrêter les chauffeurs de la société de co-voiturage Heetch ? Le ministre de l’Économie ne coupera pas à la polémique en visitant The Family, actionnaire de Heetch, ce matin, avec son homologue britannique George Osborne.

Par Sophie Fay
· Publié le · Mis à jour le
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Que va faire le ministre de l’Économie Emmanuel Macron ce matin à The Family avec son collègue britannique, le Chancelier de l’Échiquier, George Osborne ? De la communication, on l’a bien compris, pour se poser comme le ministre des start-up, de l’avenir, des jeunes, de la France qui gagne. Mais quoi d’autre ? Son temps ne serait-il pas mieux utilisé à résoudre les problèmes plutôt qu’à se montrer dans les endroits branchés et populaires auprès des jeunes entrepreneurs ?

The Family, objet économique non identifié 

Pour les lecteurs qui ne connaissent pas encore The Family, cet objet économique non identifié au nom bizarre se définit comme une "société d’investissement". Mais c’est plus que cela. The Family prend des participations dans le capital d’entreprises qui démarrent mais surtout elle accompagne leurs fondateurs (qui sont souvent très jeunes) d’une manière assez originale. Elle leur présente d’autres créateurs d’entreprise, des financiers, des avocats, des designers, des développeurs informatiques. Objectif : faire mûrir plus vite leur projet mais surtout lui donner d’emblée une dimension très ambitieuse, une portée internationale si possible. Elle met à leur service un réseau efficace et organise un partage d’expérience très fertile, à l’image de ce que fait le Californien Y Combinator.

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Fondée par trois associés – Alice Zagury, Oussama Ammar et Nicolas Colin –, The Family a aussi une autre ambition : faire en sorte que la France comprenne mieux l’écosystème du numérique, la révolution qu’Internet et les smartphones provoquent en économie, mais aussi dans la société voire en politique.

Si vous voulez mieux comprendre le concept, voici deux pistes : l’essai publié par Nicolas Colin (avec Henri Verdier) "L’âge de la multitude" qui vient d’être réédité en poche, ou beaucoup plus ludique, les vidéos des conférences "Les Barbares attaquent" (le transport, la presse, l’immobilier, la santé, l’éducation, l’immigration, la démocratie…), organisées chez The Family, qui expliquent comment Internet bouleverse ces secteurs.

Macron devrait plutôt s'intéresser à Heetch 

Mais revenons à Emmanuel Macron. Pourquoi s’agacer qu’il se rende à The Family ce matin avec George Osborne ? Tout simplement parce qu’il serait peut-être plus utile qu’il passe deux heures avec son collègue Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, et avec le préfet de police de Paris, pour discuter de la question de la légalité ou pas de Heetch, le site de co-voiturage qui fonctionne à Paris entre 20h et 6h du matin, et permet à des conducteurs qui veulent amortir le coût de leur voiture (dans la limite de 6.000 euros par an) de raccompagner les clients qui sortent de soirée et ne souhaitent pas prendre leur voiture ce soir-là, ne souhaitent pas utiliser les transports en commun en tenue de soirée ou tout simplement ne peuvent pas car il n’y en a pas à l’heure où ils vont rentrer.

Dans l’arrêté préfectoral du 25 juin 2015 qui interdit les "applications de type Uber Pop", le site Heetch n’est pas mentionné, mais son nom est écrit en toutes lettres dans le communiqué de presse du préfet. Pourquoi figure-t-il dans l’un et pas dans l’autre ? Quand les fondateurs de Heetch se sont rendus au ministère de l’Intérieur (où ils ont rencontré des conseillers de Bernard Cazeneuve) pour éclaircir la situation, ils n’ont obtenu aucune réponse claire. Personne ne leur a demandé d’arrêter leur service. Mais on les a dissuadés de faire un recours contre l’arrêté en leur demandant du temps pour apaiser la situation et le conflit avec les taxis.

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Ce qu’ils ont fait, en continuant leur activité. Ils affirment en effet qu’ils ont pris toutes les précautions juridiques nécessaires pour rester dans le cadre de l’économie collaborative et du co-voiturage et pour ne pas être accusés de faire le boulot de taxis.

Malgré ce rendez-vous, plus de 60 chauffeurs de Heetch ont été arrêtés et placés en garde à vue. Et pas seulement pour quelques heures, comme Mohammed S., 33 ans, habitant dans le Val de Marne, l’a raconté à L’Obs. Sa détention a duré 18 heures, une nuit et une journée, dans le Commissariat des Boers dans le 13e arrondissement de Paris :

J’ai été traité comme un vrai délinquant."

Cellule, pas le droit d’appeler sa famille, aucune information donnée à sa compagne venue se renseigner, photo avec l’ardoise, détention plus longue que celle d’un de ses compagnons de cellule, qui conduisait en ayant fumé du cannabis et en avait quelques grammes sur lui.

L'affaire Heetch n'est pas un détail juridique 

"Les fondateurs de Heetch ont passé deux ans à mettre au point un modèle différent de celui d’Uber Pop ou Jump", s’étonne Oussama Ammar, l’un des associés-fondateurs de The Family qui parraine Heetch. L’application a été lancée moins vite que prévu pour régler ces questions juridiques, pour éviter ces ces arrestations de chauffeurs. Où est l’État de droit ? Pourquoi faut-il attendre que les chauffeurs Heetch soient convoqués au tribunal (probablement pas avant septembre) et que le jugement soit rendu pour peut-être y voir plus clair ? The Family étant actionnaire de Heetch, il posera probablement directement la question à Emmanuel Macron en l’accueillant ce matin.

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Et ce n’est pas un détail juridique, une affaire particulière, un sujet de taxis… Cette question est importante pour tous. Car si les start-up d’origine américaine comme Uber ou AirBnB bénéficient très vite de capitaux énormes (apportés par les Google, Goldman Sachs, ou autres milliardaires de la Silicon Valley…) qui leur permettent de mener des guérillas juridiques longues, ce n’est pas le cas des jeunes entreprises françaises. Le ministre aura-t-il seulement un début de réponse ?

Plutôt que de venir à The Family, Emmanuel Macron aurait aussi pu travailler avec ses collègues en charge des Finances, Michel Sapin et Christian Eckert. Ensemble ils pourraient peut être inventer un système de micro taxation qui permettrait de s’assurer que les chauffeurs d’Uber Pop par exemple acquittent des charges sociales ou des impôts qui les rapprochent du statut des chauffeurs de taxis ou de VTC.

Car The Family, Emmanuel Macron connaît déjà. Il a reçu deux fois à dîner l’un de ses associés fondateurs. Quant à George Osborne, il pourra découvrir The Family à Londres puisque Nicolas Colin vient d’y emménager pour y développer une antenne. A moins, ce qui serait une surprise, que le ministre n’arrive rue du Petit-Musc avec les réponses aux questions que pose The Family sur l’environnement juridique en général et Heetch sur son cas particulier.

Sophie Fay

Sophie Fay
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