Après plusieurs faux départs, le décret encadrant l'activité des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) a été publié au Journal officiel samedi 28 décembre. Ce texte institue pour ces nouveaux concurrents des taxis un « délai de réservation minimale de quinze minutes entre la réservation préalable et la prise en charge du client ». Il instaure une exception notable : ce délai de quinze minutes « n'est pas applicable aux prestations de transport de VTC réservées par des exploitants d'hôtels 4 et 5 étoiles au départ de leur établissement ou par les organisateurs de salons professionnels ». L'entrée en vigueur du décret est fixée au 1er janvier 2014.
Ce dispositif a été pensé pour réguler le développement des start-up, comme le californien Uber et les français LeCab ou SnapCar. Il a été signé par les deux ministres concernés, Manuel Valls à l'intérieur, et Sylvia Pinel au tourisme. Et par le premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Le dossier était de fait suivi de près par Matignon, « vu la sensibilité du sujet », précise une source gouvernementale.
RÉTROPÉDALAGE ÉCLAIR
Politiquement, l'affaire est délicate. Début octobre, un premier projet de décret, proposant un quart d'heure réglementaire censé réserver une partie de la clientèle aux taxis, a d'abord suscité l'ire des taxis – qui estimaient que cette prévention n'était pas suffisante.
Leur colère a conduit Matignon à un rétropédalage éclair. En à peine vingt-quatre heures, le gouvernement a expurgé son projet de texte de dispositions plutôt favorables aux VTC, comme le fait, pour un chauffeur d'Uber ou de SnapCar, de ne pas attendre quinze minutes pour prendre un client dès lors qu'il est abonné à leur service. Mais du coup, ce sont les VTC qui ont à leur tour donné de la voix, dénonçant « la victoire du corporatisme sur l'innovation ».
Les taxis disposent certes de prérogatives. Ils sont les seuls à pouvoir prendre les clients à la volée dans la rue. En échange de ce droit, ils doivent s'acquitter d'une licence coûteuse, qui peut aller jusqu'à 200 000 euros, et sont notamment tenus de respecter des tarifs réglementés.
Les start-up qui ont débarqué en France il y a deux ans n'ont le droit de fonctionner que par l'intermédiaire des réservations, qui se font le plus souvent par les smartphones. Elles peuvent casser ou augmenter leurs prix – ce que les taxis n'ont pas le droit de faire – mais leur marché reste pour l'instant restreint. Et certaines ne s'en sortent pas financièrement, comme Voitures Jaunes, qui s'est déclarée en cessation de paiement le 19 décembre.
« UNE DISTORSION DANS LA CONCURRENCE »
Depuis octobre, les deux camps, très opposés, attendaient avec impatience la parution officielle du texte définitif, qui a été repoussée à plusieurs reprises. Notamment parce que le gouvernement a saisi en novembre le Conseil d'Etat et l'Autorité de la concurrence pour avoir leur avis.
Celui de l'Autorité de la concurrence a été rendu public le 20 décembre et a donné des arguments aux VTC. Aux yeux du gendarme de la concurrence, les quinze minutes constituent « une distorsion dans la concurrence entre VTC et radio-taxis, qui n'est pas justifiée par les impératifs d'intérêt général affichés ».
L'Autorité ajoute que « cette distorsion de concurrence n'est pas nécessaire pour protéger le monopole des taxis sur le marché de la maraude ». Elle suggère au gouvernement de revoir sa copie, quitte à libéraliser les tarifs des courses en taxi.
Chez les taxis, on tire depuis à boulets rouges sur l'Autorité de la concurrence. « C'est un avis ahurissant, écrit en trois semaines, truffé de contrevérités et qui véhicule une vision ultralibérale de la société », s'insurge Yann Ricordel, directeur général des Taxis Bleus.
« DES GAGES AUX TAXIS »
Avec le décret paru samedi, le gouvernement n'a donc pas tenu compte de l'avis – consultatif – de l'Autorité de la concurrence. La plupart des VTC avaient indiqué qu'ils attaqueraient de manière coordonnée ce décret devant le Conseil d'Etat ou à Bruxelles s'il était publié tel quel.
Pour ne pas risquer un conflit social avec les taxis – avec une possibilité de blocage de Paris à la clé –, « le gouvernement a choisi de donner des gages aux taxis, pour laisser la justice trancher au final », suggère un dirigeant de VTC qui souhaite rester anonyme. « Si le décret est attaqué, nous laisserons la justice se prononcer », relève une source gouvernementale, jointe vendredi.
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