Dire que François Hollande aura cherché, dans la douleur, un ministre du Travail pour succéder à François Rebsamen! Cet oiseau rare, il l'a pourtant sous les yeux, c'est Emmanuel Macron. Officiellement, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique ne remplit aucune des missions de ce ministère social: il ne doit ni assumer les statistiques du chômage ni mener les négociations avec les syndicats.

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Pourtant, depuis qu'il est colocataire de Bercy, l'ex-secrétaire général adjoint de l'Elysée ne cesse de parler du marché du travail et de sa nécessaire réforme. Il en fait le coeur de sa réflexion et de son action. Le 17 juin, alors que la loi pour la croissance et l'activité qui porte son nom vient d'être adoptée, il déclare aux Echos: "Nous devons continuer à réformer le marché du travail."

Les raisons de cette insistance? Macron exprime ses convictions et joue les éclaireurs d'un président de la République qui teste ainsi sa majorité et l'opinion. "Emmanuel Macron n'est évidemment pas un sniper, il est en lien avec le chef de l'Etat et le Premier ministre", estime Richard Ferrand, député PS et rapporteur général de la loi Macron. François Hollande, qui a hésité à choisir Macron comme ministre, y trouve finalement beaucoup d'avantages: cet ex-collaborateur reste dans un rapport d'autorité avec celui qui l'a nommé. Il peut se permettre une plus grande liberté d'expression que le Premier ministre, et ne s'en prive pas.

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Il est à peine désigné, le mardi 26 août 2014, que circule une interview accordée au Point. Elle a été réalisée avant l'annonce de sa promotion et avant même qu'il n'en soit informé. Macron s'exprime donc à titre personnel et expose sa conception de la politique économique, insistant sur la poursuite de la modernisation du marché du travail. Il propose, par exemple, que les entreprises puissent déroger aux règles du temps de travail par la négociation.

"Il a une vision classique du socialisme de l'offre"

Aussitôt, le bébé ministre se fait une réputation de tueur des 35 heures. Installé à Bercy, il continue de dire ce qu'il pense. Dans Le Journal du dimanche du 12 octobre, il estime qu'il faut réformer l'assurance-chômage, qui perd bien trop d'argent, et que, si les partenaires sociaux n'y parviennent pas, l'Etat devra prendre le dossier en main. Encore un sacrilège...

Avec la loi Macron, l'ancien membre de la commission Attali sur la libération de la croissance passe de la théorie à la pratique. Pour lui, les blocages sont dus à une surréglementation, tout particulièrement dans le marché du travail. Aquilino Morelle, conseiller de François Hollande de 2012 à 2014, ne partage pas les opinions économiques de Macron, mais il en loue la cohérence: "J'ai toujours entendu Emmanuel défendre ces positions, durant la campagne et à l'Elysée. Il a une vision classique du socialisme de l'offre et il veut l'appliquer. Il ne triche pas, il y croit, il voudrait aller plus vite et plus loin, mais ce n'est pas lui qui décide de cela. C'est le président et ses considérations sont politiques."

A l'Assemblée nationale, Richard Ferrand fait partie de ces députés séduits par la force de conviction du ministre: "Macron a une intuition qu'il fait partager et qui est juste: plus on bétonne le CDI, plus on effraie l'employeur." Sa loi ne touche pourtant pas le contrat de travail - sujet très débattu et trop polémique - mais cherche à diminuer incertitudes et coûts des licenciements. Justice prud'homale, allégement des obligations des employeurs en cas de licenciement collectif, facilitation des accords de maintien dans l'emploi (permettant aux entreprises en difficulté d'augmenter le temps de travail et/ou de réduire les salaires) sont au menu... Et cette mesure très symbolique qui réjouit les patrons et révulse à gauche: la suppression des peines de prison pour les employeurs coupables de délit d'entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel.

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La plupart du temps, les dispositions adoptées ne vont pas aussi loin que le ministre le souhaite, mais toujours trop aux yeux d'une partie du PS, qui dénonce cette déconstruction du droit du travail. Son déficit politique, Macron le ressent et tente de le combler: il prend soin d'expliquer qu'il est socialiste, de citer Jaurès - "L'entreprise est un lieu d'émancipation." A l'étranger, il défend la France et son rang: ce n'est pas parce qu'il adopte les recommandations des grandes institutions internationales qu'on le surprendra en flagrant délit de French bashing!

Il insiste sur les atouts de son pays et déplore que celui-ci n'ait pas l'ambition de ses moyens. Oui, il veut le faire gagner dans la mondialisation. Non, il ne veut pas copier-coller le modèle anglo-saxon: "Réussir, ce n'est pas supprimer tous les droits qui existent", dit-il. Il souligne, en revanche, les risques de l'immobilisme: "Dans dix ans, l'économie mondiale se sera déportée. Elle sera Pacifique, elle sera Asie, et nous danserons encore sur La Marche de Radetzky, mais la situation de la France sera celle de l'Empire austro-hongrois."

Il envoie un SMS à Rebsamen: "Excuse-moi, ma poule"

A longueur de tribunes et d'interviews, le ministre insiste sur cette différence, essentielle à ses yeux, entre les droits formels et les droits réels. Et de citer souvent ces deux exemples: les règles sur le logement, très protectrices des locataires en place, et pourtant dans l'incapacité de réduire un nombre record de mal-logés; le travail, où les avantages du CDI découragent l'embauche des jeunes. Pour lui, la gauche s'accroche à une vision du monde du travail datant du consensus de 1946.

Ce monde-là, c'est "fi-ni", martèle le trentenaire. Avec la loi Macron 1, il tente d'adapter la vieille économie aux nécessités du temps. Avec Macron 2, futur dispositif pour favoriser la transition numérique, il veut permettre à la France de profiter de la nouvelle économie: elle dispose d'innovateurs, d'entrepreneurs, il faut supprimer les freins à leur essor. L'heure est encore à la réflexion, mais il est clair que le ministre va de nouveau s'intéresser au Code du travail, percuté, par exemple, par l'irruption des autoentrepreneurs, qui ne sont plus vraiment des salariés et pas tout à fait des patrons.

Macron agit aussi par tempérament. Il a beaucoup d'idées sur tout - le travail, la Grèce, l'Europe. Alors, il s'ébroue dans le jardin des autres, créant quelques problèmes de voisinage. Notamment avec le locataire du 6e étage de Bercy, Michel Sapin, quand il donne son avis sur la crise grecque, gérée par le ministre des Finances. "Il faut parfois calmer la fougue de la jeunesse", dit-on, en souriant, dans l'entourage de Sapin.

La loi pour la croissance et l'activité va servir son penchant. En principe, il travaille en étroite relation avec ses collègues et, au début de la discussion à l'Assemblée, ils sont tous là, sur le banc du gouvernement. Mais, dans les longues palabres qui suivent, il est seul à la manoeuvre. A quelques reprises, François Rebsamen doit rappeler qu'il est le ministre du Travail. Macron lui envoie alors des SMS désarmants: "Excuse-moi, ma poule", écrit-il à son aîné.

Si la franchise et la sympathie peuvent désamorcer certains conflits, elles laissent insensibles les syndicats et la gauche du PS. Parce que l'irruption de Macron sur le terrain social porte un message subliminal qui les inquiète: "Traditionnellement, les prud'hommes relèvent du ministère de la Justice, et le droit du travail, du ministère du même nom, analyse Denys Robiliard, député PS, rapporteur thématique de la loi Macron. Or laisser Bercy toucher au droit du travail, c'est donner à penser qu'on roule pour les patrons, alors que le ministère du Travail incarne la défense des salariés." Reste à Macron à démentir cet adage: "Dis-moi d'où tu viens, je te dirai pour qui tu parles."

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