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Série

De « 1984 » à « NSA is watching you »

Dans « 1984 », les citoyens savaient qu'ils étaient espionnés par un « télécran ». Dans nos sociétés, la surveillance de masse est réalisée de façon discrète et automatique, et avec notre complicité.

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Par Jacques Henno

Publié le 27 août 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Considéré comme le chef-d'oeuvre de l'écrivain britannique George Orwell, « 1984 » dépeint la vie en Angleterre trente ans après une guerre nucléaire entre l'Est et l'Ouest : un régime totalitaire, symbolisé par des affiches martelant « Big Brother is watching you », surveille les faits et gestes de chacun, grâce au « télécran », mélange de téléviseur et de caméra, qui permet à la fois de diffuser la propagande officielle et d'espionner les gens chez eux.

Soixante-six ans après sa parution, cet extraordinaire roman d'anticipation est devenu le symbole des mesures de surveillance de plus en plus large, progressivement adoptées par les pays occidentaux après chaque nouvel attentat terroriste islamiste : New York en septembre 2001, Madrid en mars 2004, Londres en juillet 2005, Paris en janvier 2015... En juin 2013, Edward Snowden révéla au grand public la démesure du programme de surveillance de masse mis en place par la NSA, l'agence d'espionnage électronique des Etats-Unis : captation et enregistrement des conversations téléphoniques de pays entiers; accès aux données des internautes (stockées chez Apple, Facebook, Google, Yahoo!, Microsoft...); branchements sur les câbles transatlantiques; surveillance des e-mails et des forums; installation de logiciels espions sur des routeurs à l'étranger, etc.

Bizarrement, l'utilisation de ces grandes oreilles pour écouter Angela Merkel ou François Hollande ne provoqua que de faibles réactions de la part des dirigeants allemand ou français. A se demander si les gouvernements des démocraties ne rêvent pas de disposer d'outils comparables, capables, dit-on, de cibler n'importe qui sur la planète à des fins d'antiterrorisme ou... d'espionnage industriel. Le tout discrètement et avec notre quasi-complicité passive, puisque nous alimentons nous-mêmes une partie de ces fichiers à travers notre utilisation quotidienne des outils numériques.

Surveillance totale

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La force symbolique de « 1984 » reste inégalée, mais sur le plan technique, ce roman est largement dépassé... Comment en sommes-nous arrivés là ? L'histoire au jour le jour retiendra peut-être que tout a basculé le 30 mars 1981, lorsqu'un déséquilibré, John Hinckley, tenta d'assassiner le président Reagan. L'amiral Poindexter, alors conseiller à la Maison-Blanche et ancien spécialiste de la chasse aux sous-marins soviétiques, se mit à réfléchir, avec d'autres fonctionnaires, au concept de « gestion avancée de crise », puis à la lutte contre le terrorisme. Dès cette époque, l'équipe de l'amiral émit l'hypothèse qu'un ambitieux projet d'analyse des données pourrait révéler les grandes tendances des dangers à venir.

Après les attentats du 11 Septembre, l'Amiral Poindexter n'eut aucun mal à convaincre la Darpa, l'agence du ministère de la Défense américain spécialisée dans le développement de nouvelles technologies, à le nommer à la tête d'un projet fou : TIA (« Total Information Awareness », surveillance totale). Principe de base : « Ces gens [les terroristes] émettent forcément un signal qu'il nous faut capter parmi les autres transactions, expliqua Poindexter, qui voulait réunir toutes les bases de données éparpillées dans le monde. C'est comparable à la lutte anti-sous-marine où il faut repérer les submersibles au milieu d'un océan de bruits. »

Des informations que les citoyens livrent eux-mêmes

Officiellement, le projet TIA s'arrêta au bout d'un an et demi. Mais l'affaire Snowden montra que la NSA avait accompli pire que les rêves les plus fous de Poindexter, du moins pour la captation des données. Un exploit qui doit être replacé dans une histoire beaucoup plus longue. « A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les Etats ont tenté d'accumuler le maximum d'informations sur leurs administrés, rappelle André Vitalis, co-auteur, avec Armand Mattelart du livre « Le Profilage des populations » (La Découverte, 2015). Par la suite, l'informatique a permis de profiler tous les citoyens grâce aux informations qu'ils livraient eux-mêmes : au moins ils étaient au courant et pouvaient réagir ! Aujourd'hui, avec le numérique, les informations sont captées de façon automatique et invisible... »

« L'autre grande différence avec "1984", qui était construit sur un schéma binaire Etat-citoyen, c'est qu'aujourd'hui ce sont des myriades d'entreprises privées qui nous surveillent, constate Eric Sadin, philosophe et auteur de « La Vie algorithmique » (L'Echappée, 2015). Et à l'avenir, avec les objets connectés, ce sera pire : le moindre de nos agissements sera documenté. »

Si les discours alarmistes et les motifs d'inquiétude ont fleuri depuis l'apparition de l'informatique, puis d'Internet, une autre grande question est rarement posée : ces systèmes de surveillance généralisée sont-ils efficaces contre le terrorisme ? Pas sûr... « En fin de compte, un seul "complot" [a] été déjoué par plus de dix ans de collecte massive des fadettes [factures] téléphoniques états-uniennes : un habitant de San Diego arrêté pour avoir envoyé 8.500 dollars à un groupe militant somalien », affirme Grégoire Chamayou, chercheur au CNRS, dans un article publié par « La Revue du crieur » (La Découverte, 2015). La Police de la pensée imaginée par George Orwell était beaucoup plus efficace.

Jacques Henno

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