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Migrants : la guerre des images

La « réacosphère » multiplie les angles d’attaque pour contrecarrer le mouvement de solidarité naissant envers les réfugiés et migrants, en faisant circuler fausses informations et images manipulées.

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Publié le 04 septembre 2015 à 15h33, modifié le 04 septembre 2015 à 19h39

Temps de Lecture 4 min.

Ils se disent « français de souche », invoquent la « résistance au Grand Remplacement » ou plus généralement à l’islam et à l’immigration. Sans être forcément encartés ou militants d’un parti, ils sont actifs sur Internet pour exprimer leurs idées, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur des sites « d’information alternative », qui forment ce qu’ils appellent la « réinfosphère ».

De fdesouche à Dreuz en passant par Riposte laïque, cette « réacosphère », comme on la nomme parfois, se mobilise fortement depuis jeudi 3 septembre. Avec un objectif : tenter de contrecarrer la mobilisation qui naît en solidarité avec les réfugiés, et que la diffusion de la photo d’Aylan Kurdi, trois ans, mort noyé au large des côtes turques, semble avoir avivée. Tous les moyens sont bons pour y parvenir, y compris la manipulation.

1. La tentation du complot

Dès l’apparition de la photo, de très nombreux comptes et sites ont agité le spectre de la « propagande ». Tout y passe : le fait que le nom de l’enfant soit rapidement connu (son père, qui a survécu au naufrage, a pu l’identifier), le fait que sur un cliché, on voit un sauveteur turc muni de ce qui pourrait être un appareil photo… Et même une erreur de légende du site franceinfo.fr.

Capture d'un tweet agitant l'hypothèse d'une manipulation. Nous avons flouté les deux inserts d'image, le premier étant le cadavre d'une petite fille, le second des prisonniers de l'Etat islamique brûlés vifs.

Même la position de l’enfant dans la mort semble suspecte à certains.

Tout y passe, jusqu’au fait que le père de l’enfant ait eu un gilet de sauvetage…

Rapidement, cependant, même les plus militants devront changer de registre, et trouver d’autres arguments.

2. Une fillette décapitée pour répondre à un enfant noyé

C’est ainsi que vont apparaître, rapidement là encore, une série d’autres photos d’enfants morts. Plusieurs circuleront, dont l’une, particulièrement sordide, donne à voir le cadavre décapité d’une petite fille encore vêtue d’un tutu de danseuse – image présentée comme l’exemple de la sauvagerie de l’Etat islamique, accusé d’avoir décapité la fillette.

Elle est très diffusée, toute la journée de jeudi, notamment en réponse aux appels à la mobilisation de certaines personnalités, avec pour propos de dénoncer un « deux poids, deux mesures » face à ces situations tragiques.

Exemple d'utilisation de cette image de fillette décapitée en

Or, si l’EI s’est fait connaître par des actes d’une cruauté indicible, cette image ne peut pas lui être attribuée. On la retrouve en effet dès 2012, avant que l’Etat islamique ne s’implante en Syrie. Plusieurs sites de soutien aux rebelles syriens opposés à Bachar Al-Assad la publient le 17 septembre 2012, attribuant la mort de la fillette aux milices gouvernementales et non à l’EI.

La même photo, sur un site pro-rebellion syrienne en 2012 (le texte est une traduction automatique de l'arabe)
Autre exemple de cette photo en 2012, toujours sur un site pro-rebellion syrienne.

Si ce cliché est le plus diffusé, il n’est pas le seul. Par exemple, ce cliché d’un enfant supposément tué dans le Donbass par les forces ukrainiennes.

Mais là encore, il s’agit d’une photo à qui ont fait dire quelque chose : l’image, de provenance indéterminée, se retrouve sur des dizaines de sites russes et sert de photo d’illustration, par exemple, pour un infanticide au nord de la Russie, ou même pour des faits divers étrangers.

3. Image contre image, religion contre religion

De manière générale, l’image est un outil de prédilection pour ces militants antimigrants, qui ne prennent que peu garde à vérifier leurs sources et cherchent bien souvent à faire un distinguo en fonction de la religion (supposée) des réfugiés et des victimes du conflit.

Ce cliché date de 2014, il provient de l’AFP, et figure des enfants victimes d’un raid aérien à Alep, en Syrie. Mais rien ne permet d’affirmer, comme le fait l’auteur du tweet, que ces enfants sont chrétiens.

Quant à ce message accusant l’Occident d’avoir livré des armes « aux islamistes », il montre en réalité les conséquences du largage de barils d’explosifs par le régime de Bachar Al-Assad, en novembre 2014… et non pas par Daech.

Autre exemple : cette image très dure d’enfants dans une cage.

Mais là encore, l’image doit être remise dans son contexte : il s’agit en réalité d’un « happening » organisé par un activiste syrien pour dénoncer les violences contre les enfants, sans qu’il soit aucunement question de religion ou de minorités chrétiennes.

4. Le mensonge de l’exigence de nourriture hallal

Au-delà des images, tout est bon pour démontrer que les réfugiés en provenance de Syrie ou d’Irak présentent un « danger » pour l’Europe. Voilà quelques jours, les mêmes réseaux faisaient amplement circuler une information disant que des réfugiés auraient refusé de la nourriture car elle n’était pas hallal.

Or, comme l’ont démontré plusieurs médias, dont Libé Désintox, cette information, basée sur une vidéo qui a circulé sur de nombreux réseaux complotistes est fausse : La Croix-Rouge explique que ces colis ne contenaient aucun aliment pouvant poser la question du hallal, et le refus des migrants est motivé par le fait qu’on les empêche de traverser.

5. La fausse réaction de l’Emir qatari

Autre faux grossier, cette déclaration attribuée à l’émir du Qatar, supposé avoir dit à propos de l’accueil des réfugiés « nous avons assez d’esclaves comme cela ». Là encore, la citation a circulé dans ces cerles militants, qui stigmatisent l’inaction des pays du Golfe persique. Et là encore, il s’agit d’une intox.

Fausse déclaration issue d'un site parodique, mais prise au sérieux par les militants anti-migrants.

Cette fois, toutefois, ce sont nos militants qui ont été intoxiqués : cette « citation » provient d’el-manchar, un site parodique algérien, sur le modèle du « Gorafi français ». Elle n’a donc rien de vrai.

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