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Migrants : l’extrême droite prospère sur le silence citoyen

Adopter profil bas face au désastre comme la gauche de gouvernement, ou reprendre les sirènes du FN en espèrant ravir quelques sièges, comme la droite, n’ont servi à rien. L’heure de l’indignation publique a sonné, selon le philosophe Francis Wolff.

Publié le 07 septembre 2015 à 12h55, modifié le 07 septembre 2015 à 11h02 Temps de Lecture 3 min.

Manifestion pour les migrants à l'intiative du mouvement citoyen

Francis Wolff, professeur de philosophie à l’École normale supérieure

La manifestation de ce samedi 5 septembre, place de la Bastille à Paris, serait-elle le signe du sursaut citoyen attendu ? L’image dramatique d’un enfant mort sur une plage aura-t-elle donc été plus convaincante que mille statistiques, reportages ou éditoriaux ? Que faisions-nous hier ? Que faisons-nous encore aujourd’hui ? À quoi songeons-nous donc tandis que la réalité du monde frappe à nos portes ? Chut ! Ne disons rien, ne faisons rien : nous sommes occupés jour et nuit à « ne pas faire le jeu du Front national ». Afin de lui ravir quelques sièges, la droite dite « républicaine » tient donc aujourd’hui le discours que le FN tenait naguère : « les migrants n’ont qu’à rester chez eux » ! Afin de ne pas augmenter « l’insécurité culturelle » des « Français de souche », la gauche dite « de gouvernement » tient aujourd’hui le discours que la droite « républicaine » tenait naguère : « responsabilité et fermeté. ».

Mais toutes ces tactiques demi-habiles, toutes ces petites compromissions quotidiennes exigées par le « réalisme », ont fini par mener au pire. Car que croyez-vous qu’il arrivât ? Trop heureux de cette double aubaine, le FN continuait de monter dans les sondages et dans les esprits. Et pourquoi donc, se demandaient, graves, les stratèges en communication des partis ? N’avons-nous pas évité de dire publiquement tout ce qui pourrait choquer les bons Français ? Mais, ne voient-ils pas, ces pompiers pyromanes, que, si nous en sommes là aujourd’hui, au premier rang européen pour l’extrême droite et « au douzième rang européen pour le rapport du nombre de demandeurs d’asile à la population globale », c’est justement pour cela !

Tenir le discours des devoirs humains

C’est parce qu’il y a bien longtemps qu’aucune autorité politique ne tient plus, dans l’espace public légitime, le discours des devoirs humains et des valeurs universelles : accueil, hospitalité, solidarité, fraternité, justice, etc. Et quant aux bons esprits que font-ils ? Ils continuent de disserter sur les dangers du multiculturalisme et de se chamailler sans fin sur la Grande Affaire Française, celle du foulard ! Car, disaient les uns, une jeune fille qui se couvre les cheveux est une menace pour la République laïque. Et, continuaient les autres, elle est sous la coupe des barbus qui menacent notre sécurité.

C’est ainsi que, pour quelques centaines de Français égarés qui allaient faire le djihad en Syrie, on avait oublié les centaines de milliers de Syriens hagards qui la fuyaient. Les empêcherons-nous d’entrer parce que leurs femmes, souvent, se couvrent les cheveux ? Ou parce qu’ils ne mangent pas de porc, contrairement aux exigences sacrées de nos cantines scolaires ? La patrie dite des « droits de l’homme », elle, a oublié les « devoirs de l’homme ». Suite aux attentats, la manifestation populaire du 11 janvier dernier à la Bastille avait été l’expression éclatante qu’il y a du politique en deçà de la politique ; que, en dépit des stratégies politiques de conquête et de l’exercice du pouvoir (faire le jeu ou ne pas faire le jeu d’unetelle), il y a l’affirmation du politique, c’est-à-dire de l’existence d’un « nous », au-delà des communautés familiales, régionales, religieuses, au-delà des identités de genre ou d’origine.

Car la politique dit : malgré tout ce qui nous unit, voici ce qui nous sépare ; mais le politique dit : malgré tout ce qui nous divise, nous sommes un seul peuple. Espérons que la manifestation du 5 septembre marque les prémices de la prise de conscience, dans l’espace public et républicain, qu’il y a un autre « nous », au-delà de nos identités heureuses ou malheureuses, au-delà de la politique et même au-delà du politique : le « nous » de la communauté humaine. Et ce « nous » nous dit : malgré toutes les frontières qui séparent les États, malgré toutes les pseudo-identités qui nous divisent, nations, langues, religions ou cultures, nous sommes une seule humanité.

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