La future chaîne publique d’info soulève bien des questions

Voulue par la nouvelle présidente de France Télévisions, prévue pour 2016, la chaîne publique d'information en continu est un projet d’envergure… qui provoque peu d’enthousiasme.

Par Lucas Armati et Aude Dassonville

Publié le 11 octobre 2015 à 16h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h54

Les anniversaires réservent parfois des surprises. Comme ce mardi 17 décembre 2013, où François Hollande se rend au studio 104 de Radio France pour célébrer les cinquante ans de la Maison de la Radio. Discours aimable, ­enjeu proche de zéro... la soirée se déroule sans accroc quand, soudain, le président de la République glisse, l'air de rien : « Nous pouvons imaginer que France Télévisions et Radio France puissent rassembler leurs contenus dans un grand service public audiovisuel. Mais là, je m'aventure peut-être. » Interloquée, la salle rit. Quel farceur, ce président. Un « grand service public audiovisuel » ? Et pourquoi pas un retour de l'ORTF, tant qu'on y est ? Pas franchement pris au sérieux, son voeu tombe aux oubliettes... avant de resurgir subitement il y a un mois.

A peine installée à la tête de France Télévisions, la nouvelle présidente Delphine Ernotte Cunci annonce le lancement d'une chaîne d'info en continu, réalisée conjointement avec Radio France. Un projet d'envergure, d'autant plus ambitieux que la mise en orbite est prévue pour septembre 2016. Il reste donc une toute petite année pour définir le contenu, constituer les équipes, imaginer les programmes... Et répondre aux nombreuses questions que ce chantier soudain ne manque pas de soulever.

Une chaîne d'info, pour quoi faire ?

Avec cinq chaînes d'info en continu (BFMTV, iTélé, LCI, France 24 et Euronews), les téléspectateurs français sont parmi les mieux dotés d'Europe. Alors, pourquoi en créer une nouvelle ? Première mission : tenter de rattraper les jeunes, qui délaissent les JT traditionnels (âge moyen du télé­spectateur du 20 heures de France 2 : 60 ans). « Il faudra investir fortement les réseaux sociaux, prévoit un grand patron du secteur. C'est un enjeu démocratique, pour y infuser les valeurs du service public et une information de qualité. » La seconde mission a des contours plus flous. Il s'agit, selon les mots de Delphine Ernotte Cunci, de fournir une information « qui dépasse l'émotion » et « aide à comprendre ». En clair, et même si personne n'ose le dire ouvertement, la nouvelle chaîne d'info a été pensée comme une alternative à BFMTV, souvent critiquée pour sa couverture à tombeaux ouverts de l'actualité. Reste à savoir si le concept même « d'information continue » peut conduire à la création d'une chaîne réellement différente de celles qui existent déjà. Et accessoirement de savoir comment se distinguer, alors qu'iTélé et LCI, en pleine mutation, promettent elles aussi de « ralentir le rythme » et de « mettre en perspective » l'information.

Une chaîne d'info comment ?

Pour coller aux nouveaux modes de consommation, la chaîne d'info publique sera nu-mé-ri-que. Vous ne voyez pas très bien ce que cela recoupe ? Normal, personne ne le sait. S'agira-t-il d'un simple flux, d'une chaîne YouTube, d'un média linéaire, d'une plateforme délinéarisée ? « La page est blanche », ne cesse de répéter Delphine Ernotte Cunci, qui a cependant déjà évoqué la possibilité d'un passage postérieur sur la TNT. Pour dissiper le flou, deux comités de pilotage sont chargés de phosphorer : le premier regroupe des membres de France Télévisions (rédaction, service technique, juridique...), le second réunira des émissaires de la télé et de Radio France. « C'est une sorte de bourse aux idées », précise-t-on à France Télévisions. La question des moyens sera-t-elle abordée ? « Elle viendra tôt ou tard, mais il faut d'abord imaginer le projet, sinon on n'avance pas », répond-on. Une manière d'évacuer un problème pourtant central, alors qu'aucun budget n'a été annoncé et que les entreprises-mères sont dans le rouge (10 millions d'euros de déficit pour France Télévisions en 2015, 21 millions pour Radio France). « Comment pourrons-nous participer à ce projet alors qu'on est censé faire des économies ? », interroge Valeria Emanuele, représentante SNJ à Radio France. Les journalistes, partagés, craignent de ­devoir avancer à marche forcée.

Une chaîne d'info avec qui ?

« Je rappelle, à toutes fins utiles, que cette chaîne d'info continue existe depuis vingt-neuf ans, et qu'elle s'appelle France Info. » Piqué au vif Laurent Guimier ? Déterminé à développer lui-même l'accès de sa radio sur les écrans (ordinateur, tablette, téléphone), le patron de France Info ne pensait pas se retrouver embarqué dans cette aventure ­télé. Fin août encore, le PDG de Radio France, Mathieu Gallet, ne paraissait pas non plus spécialement enthousiaste. Il s'est converti au pragmatisme : puisqu'il risquait de se faire doubler, mieux valait y aller et défendre les couleurs de sa maison. D'autres rédactions sont sur les rangs : évidemment FranceTVinfo, le site d'information de France Télévisions, mais aussi les chaînes TV5 Monde et LCP, ainsi que l'Institut national de l'audiovisuel. Si, de leur côté, rien n'est encore arrêté, France Médias Monde qui regroupe France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya, sera à coup sûr de la partie. « Nous apporterons notre savoir-faire et notre organisation, avance la présidente Marie-Christine Saragosse. On nous appelle du monde entier pour monter des chaînes d'info ! » Dans les couloirs, on trouve quand même gonflé de ne pas avoir été convié plus tôt. « On a l'impression d'être la cinquième roue du carrosse, alors que notre expertise est centrale », regrette un cadre.

Le retour de l'ORTF ?

Le rapprochement entre télé et radio publiques ressuscitera-t-il le spectre de l'ORTF, ce mastodonte aux ordres de l'Etat dissout au milieu des années 1970 ? « Halte aux fantasmes ! » lance Christian Dauriac depuis Bruxelles, où cet ancien de Radio France et France Télévisions dirige la rédaction télé de la RTBF. Là-bas, les journalistes de la radio, de la télé et du Web cohabitent pacifiquement dans une même « newsroom ». « Il arrive que la collecte de l'information soit mutualisée, mais le traitement de l'info, lui, ne l'est jamais », détaille celui qui, au début des années 2000, avait déjà participé à un projet de chaîne d'info publique, en­terré par Jacques Chirac. La chaîne de Delphine Ernotte Cunci s'inspirera-t-elle de ce modèle ? Une chose est sûre, la mise en commun des énergies s'annonce coton. Personne ne veut revivre la guerre sociale qui a déchiré l'audiovisuel extérieur lors du mariage arrangé entre France 24 et RFI. Les attaques risquent également de venir des groupes privés. Alain Weill, le PDG de NextradioTV (BFMTV, RMC...), a déjà annoncé qu'il emploiera tous les moyens légaux pour bloquer le ­projet : une nouvelle chaîne d'info, proteste-t-il, provoquera soit la mort de l'une d'elles (LCI ou iTélé, aux audiences moins solides), soit l'affaiblissement de toutes.

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