Ils sont seize médecins -généralistes, anatomopathologiste, radiologues...- qui se sont réunis pour rédiger une brochure d'information "indépendante et sourcée" sur le cancer du sein. Cécile Bour en fait partie. Radiologue depuis 25 ans, impliquée dans la lutte contre le cancer du sein comme "lectrice" de mammographies, elle explique pourquoi aujourd'hui, à contre-courant du discours des pouvoirs publics, elle milite pour que les femmes puissent décider en toute connaissance des données scientifiques actuelles si 'oui' ou 'non' elles doivent faire une mammographie. Interview à rebrousse-poil.

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Vous affirmez que les campagnes de communication autour du cancer du sein, comme Octobre Rose, non seulement n'informent pas en toute objectivité les femmes, mais contribuent à les infantiliser. C'est-à-dire?

Ces femmes qui font des courses avec un ruban rose, ces actrices ou ces chanteuses qui montrent leurs seins "pour la bonne cause", ces amies sur Facebook qui affichent la couleur de leur soutien-gorge ou de leur string, c'est du n'importe quoi! Aujourd'hui, les médecins, et même l'entourage des femmes, culpabilisent celles qui ne souhaitent pas se faire faire une mammographie avec un discours moralisateur: "Si vous ne vous faites pas dépister, vous allez en mourir", "On va le découvrir trop tard", etc. On met de la terreur dans la tête des femmes, on ne les laisse pas réfléchir. Or l'information donnée n'est pas du tout contradictoire. Dans les plaquettes officielles distribuées dans les cabinets des médecins, les affirmations en faveur du dépistage ne sont jamais sourcées. Sans parler des conflits d'intérêts entre certaines des associations qui rédigent ces brochures et les laboratoires pharmaceutiques qui les financent.

C'est pour toutes ces raisons que nous avons lancé notre site internet Cancer Rose, et une brochure d'information gratuite, avec des références scientifiques bien identifiées. Cette brochure est destinée à toutes les femmes qui souhaitent se faire une opinion sur le sujet au-delà du discours servi par les laboratoires, les médecins, la voisine, ou la bonne copine.

>> Lire aussi: "Une nouvelle étude remet en cause le dépistage organisé du cancer du sein"

Quelles sont ces informations que vous souhaitez porter à la connaissance des femmes?

En France, le dépistage du cancer du sein concerne toutes les femmes entre 50 et 74 ans. Tous les deux ans, il leur est proposé de passer une mammographie, remboursée à 100% par la Sécurité sociale. Cette généralisation du dépistage pour une tranche d'âge spécifique a été décidée sur la base d'une étude suédoise vieille de plus de vingt ans; elle établissait un lien entre l'augmentation du nombre de mammographies et la baisse des décès liés au cancer du sein -une baisse conséquente de plus de 30%.

Une mammographie, dans un centre de radiologie de Bayeux le 15 mai 2001

La pratique de mammographies annuelles ne permet pas de réduire la mortalité par cancer du sein, selon une étude canadienne qui relance la polémique autour de l'intérêt des campagnes de dépistage organisé.

© / afp.com/Mychele Daniau

Sauf que, depuis, il a été démontré que cette étude initiale comportait nombre de biais. D'abord, l'augmentation du nombre de mammographies n'a pas permis de faire baisser sensiblement le nombre de cancers graves, ou de mastectomies totales. Par ailleurs, on se trompe dans l'interprétation des chiffres. Il y a 25 ans, on détectait chaque année 25 000 cas de cancer du sein, et 10 000 décès, soit un taux de mortalité atteignant 40%. Aujourd'hui, on détecte 48 000 cas chaque année, mais on a toujours 10 000 décès! Mathématiquement, le taux de mortalité a baissé, à 20%, mais ce n'est pas parce qu'on a sauvé plus de femmes; c'est uniquement parce qu'on a détecté plus de "fausses-malades", à cause du sur-diagnostic, l'un des effets négatifs du dépistage massif.

Le dépistage du cancer du sein permet de repérer les femmes malades avant qu'elles n'aient des signes visibles, puis de les soigner. Comment peut-il avoir des effets négatifs?

Les promoteurs du dépistage du cancer du sein affirment qu'il a permis d'augmenter le taux de survie des femmes. C'est faux. Si ce taux de survie s'est amélioré, c'est grâce aux progrès des traitements, mais aussi et surtout parce que désormais, on détecte des "petits" cancers, qui, s'ils n'avaient pas été repérés, auraient évolué très lentement, sur toute la durée de vie de la femme concernée, ou des cancers qui n'auraient pas bougé du tout, voire qui auraient régressé. Voilà comment on augmente artificiellement les taux de survie: en soignant des cancers qui n'avaient pas besoin de l'être, et en transformant des femmes bien portantes en malades.

Par ailleurs, des études sérieuses, comme celle de la collaboration Cochrane en 2012, ont montré que le sur-diagnostic augmente le risque de mammectomie. Dit autrement, aujourd'hui, il arrive que des femmes subissent des traitements lourds, radiothérapie, chimiothérapie, voire une ablation du sein, pour rien. En outre, on crée des lignées de femmes faussement à risque de cancer du sein: si une mère est traitée pour un cancer qui n'avait pas besoin de l'être, on dira à sa fille de se faire suivre précocement, sans raison médicale. On lui faisant courir le risque d'un cancer radio-induit - 1 à 20 cas de cancers radio-induits pour 100 000 femmes traitées.

Même l'Institut national du cancer et la Haute Autorité de santé ont, en 2012, reconnu qu'on ne sait pas vraiment si ce dépistage est efficace...

Si le dépistage organisé comporte tant d'effets négatifs et qu'aucune étude n'a prouvé son influence sur les morts par cancer du sein, comment en sommes-nous arrivés à une telle mobilisation?

Aujourd'hui, de nombreux partenaires commerciaux et pharmaceutiques sont venus se greffer à Octobre rose, initialement lancé par la Ligue contre le cancer. Des opérations commerciales ou médiatiques sont montées qui ne rapportent pas grand chose à la recherche, mais beaucoup aux marques auxquelles elles permettent de vendre plus de produits de beauté, de rouges à lèvres, de fleurs ou de magazines...

C'est ce que les Anglo-Saxons appellent le "Pinkwashing": en participant à Octobre rose, les marques s'achètent une bonne conscience pour par cher. Aujourd'hui, la machine s'est complètement emballée, les partenaires sont très nombreux, et le grand public a subi un vrai lavage de cerveau: c'est devenu presque impossible pour les pouvoirs publics de faire machine arrière.

Pourquoi cet "engouement" autour d'un cancer féminin, et pas, par exemple autour du cancer de la prostate, ou des maladies cardio-vasculaires, qui font beaucoup plus de morts?

Mais parce que les seins, c'est photogénique! Les seins, c'est la maternité, la féminité, la sexualité... C'est quand même plus glamour de faire courir des femmes habillées de rose contre le cancer du sein, plutôt que des hommes affublés d'un ruban marron pour sensibiliser à la lutte contre le cancer colorectal. Les femmes, avec ou sans soutien-gorge, c'est quand même beaucoup plus vendeur! En cause aussi cette tendance de beaucoup de femmes à se laisser facilement manipuler ou influencer par le corps médical. Avant de prendre un rendez-vous pour une mammographie, et hors tout signal d'alerte comme une grosseur dans le sein ou un écoulement, les femmes doivent se renseigner sérieusement. C'est leur corps, à elles de choisir ce qu'elles lui font subir, ou pas.

>> Lire aussi: "Cancer du sein: faut-il se méfier de la mammographie?"

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