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Une nouvelle technique qui sauve des vies - Accident vasculaire cérébral

Une nouvelle ère s'ouvre dans la prise en charge de l'AVC grâce à une technique de capture du caillot dans le cerveau: la thrombectomie mécanique.
Une nouvelle ère s'ouvre dans la prise en charge de l'AVC grâce à une technique de capture du caillot dans le cerveau: la thrombectomie mécanique. © DR
Vanessa Boy-Landry , Mis à jour le

Chaque année en France, 150 000 personnes sont frappées par un accident vasculaire cérébral (AVC). Jusqu’aux années 2000, lorsque le traitement anticoagulant était impossible ou insuffisant, les victimes décédaient ou restaient gravement handicapées. Désormais, la thrombectomie mécanique, une technique manuelle qui capture le caillot directement dans le cerveau, sauve des vies et évite coma et paralysie. Plusieurs études internationales viennent de confirmer l’efficacité spectaculaire de ce dispositif élaboré par des neuroradiologues français.

Le Dr Paul-Emile Labeyrie, neuroradiologue aux Hospices civils de Lyon, à l’hôpital Pierre-Wertheimer, sous l’égide du Pr Francis Turjman, nous explique cette avancée majeure dans la prise en charge de l'AVC.

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Paris Match. Qu’est-ce qu’un AVC  ?
Dr Paul-Emile Labeyrie. C’est un terme très vaste qui désigne plusieurs accidents au sein de la même appellation. Pourtant, dans le langage commun, on en parle pour désigner l’AVC ischémique, par asphyxie du cerveau (artère cérébrale obstruée par un caillot sanguin). Il représente 80 % de tous les AVC, les 20 % restants étant les accidents vasculaires hémorragiques (artère cérébrale rompue). On peut se représenter les artères qui irriguent le cerveau comme les branches d’un arbre : leur calibre diminue à mesure qu’elles se ramifient. Emporté par le flux sanguin, le caillot qui s’est formé progresse jusqu’à ce que son calibre soit supérieur à celui de l’artère qui le porte, et il se coince. L’artère étant bouchée, une partie du cerveau n’est plus irriguée et les cellules vont commencer à mourir. Reprenons l’image de l’arbre et imaginons qu’on empêche la sève de circuler dans une branche : toutes les feuilles qu’elle porte vont mourir. Plus la branche obstruée est proche du tronc, plus l’arbre perdra de feuilles ; si la branche est petite et loin du tronc, il n’en perdra que quelques-unes. C’est pareil pour la fonction cérébrale : plus l’artère obstruée est grosse, plus le cerveau souffre . Plus le nombre de cellules qui meurent est important, plus l’AVC est grave.

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"Pour chaque minute d'occlusion, 2 millions de neurones disparaissent"

Est-ce que l’urgence des soins reste essentielle ?
Oui, c’est une véritable urgence ! Il faut savoir que, pour chaque minute d’occlusion, ce sont 2 millions de neurones qui disparaissent. Plus on agit vite, mieux c’est. Dès que l’artère se bouche, les neurones commencent à mourir, assez lentement dans un premier temps. Si on est capable de lever rapidement l’obstacle, les neurones ne mourront pas tous dans la partie du cerveau asphyxiée, qui restera ainsi plus ou moins fonctionnelle.

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Comment soigne-t-on aujourd’hui un AVC ischémique ?
Pendant vingt ans, le seul traitement a été la thrombolyse intraveineuse. Un médicament est injecté dans les veines du patient qui va dissoudre le caillot, tentant ainsi de déboucher l’artère atteinte. Ce traitement marche bien pour les petites artères, mais beaucoup moins bien pour les grosses. Par ailleurs, il ne peut pas être administré à tous les patients. Par exemple, un malade opéré quelques jours avant un AVC ou un autre porteur d’un traumatisme crânien ou sous anticoagulant ne pourront pas en bénéficier en raison du risque hémorragique. De plus, ce médicament ne peut être administré que dans les quatre heures trente suivant le début des symptômes. Or il est souvent difficile de dater l’AVC. Beaucoup de gens se réveillent un matin paralysés d’un côté sans que l’on sache quand les symptômes ont commencé. Idem pour une personne âgée en institution : l’AVC peut survenir entre le passage de l’infirmière le soir et celui du matin, et on ne peut dater précisément le début du trouble. De fait, seuls 5 à 10 % des patients peuvent recevoir ce traitement thrombolytique, en raison à la fois des délais courts, des contre-indications et de sa faible efficacité sur les gros caillots. En conclusion, pour les AVC les plus graves (gros caillots avec risque important d’infarctus du cerveau), il existait peu de solutions.

"Il y a rarement eu de telles preuves de l'efficacité d'un nouveau traitement!"

Jusqu’à ce que des études récentes prouvent la supériorité de la thrombectomie mécanique pour déboucher les grosses artères du cerveau sur la thrombolyse intraveineuse.
On en a aujourd’hui la preuve formelle : depuis décembre  2014, six études internationales (dont cinq dans le prestigieux “New England Journal of Medicine”) ont montré le bénéfice de la thrombectomie mécanique pour le pronostic de l’AVC, tant sur le handicap neurologique que sur la mortalité. Il y a rarement eu, dans l’histoire de la médecine, de telles preuves de l’efficacité d’un nouveau traitement ! Et cela dès la première étude publiée, raison pour laquelle les autres ont suivi très rapidement. Au point même qu’il n’était plus éthique de continuer à randomiser les patients : ils devaient tous bénéficier de ce traitement ! Pour les médecins qui traitent les AVC, ces résultats sont fantastiques, des milliers de vies pourront être sauvées chaque année grâce à cette avancée majeure.

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En quoi consiste donc la thrombectomie mécanique ?
On retire le caillot (thrombus) de l’artère de façon mécanique, au moyen d’un système de petite épuisette (stent).

A l’hôpital Pierre-Wertheimer de Lyon, le Pr Francis Turjman (blouse blanche), chef du service de neuroradiologie interventionnelle, entouré de son équipe. De g. à dr., les docteurs Roberto Riva, Paul-Emile Labeyrie et Benjamin Gory.
A l’hôpital Pierre-Wertheimer de Lyon, le Pr Francis Turjman (blouse blanche), chef du service de neuroradiologie interventionnelle, entouré de son équipe. De g. à dr., les docteurs Roberto Riva, Paul-Emile Labeyrie et Benjamin Gory. © Thierry Esch

Comment se déroule une intervention?
Cette intervention se pratique au bloc opératoire, où le patient est admis en extrême urgence. Dès que son ischémie est authentifiée par scanner ou IRM, les neurologues vasculaires nous contactent. Nous réalisons alors une ponction de l’artère fémorale du patient, sous anesthésie locale, dans laquelle on introduit un cathéter qui remonte l’aorte à contre-courant jusqu’au cerveau. Le cathéter permet ainsi d’amener le stent retriever jusque dans les artères du cerveau : le stent se déploie au contact du caillot et s’y accroche en quelques dizaines de secondes. Le caillot, emprisonné dans le stent, redescend par le cathéter jusqu’à l’artère fémorale, où il est extrait. Si le patient n’est pas agité, l’intervention peut se dérouler sous anesthésie locale. On manœuvre à mains nues, à l’extérieur du corps, depuis la table opératoire. Aucun robot, pas d’outil particulier. Les mains du médecin manipulent avec une grande précision le canal opérateur (à l’intérieur du cathéter), depuis l’artère fémorale jusqu’au cerveau, pour faire progresser le dispositif. Afin de se repérer à l’intérieur des artères cérébrales, le patient est placé sous une caméra à rayons X qui permet une vidéo en transparence. 

"Cette technique réduit significativement la mortalité des patients"

Quels sont les avantages de cette technique ?
D’abord, elle réduit significativement la mortalité des patients. Ensuite, elle diminue de 25 % le risque de séquelles par rapport à la thrombolyse intraveineuse. Cela signifie que, sur quatre patients traités, on en sauve un du handicap. Le bénéfice économique et social n’est pas non plus à négliger. Car quand l’AVC ne tue pas, il est la première cause de handicaps chez l’adulte. Une personne dont la moitié du corps est paralysée ne peut plus conduire ni monter des escaliers : elle a besoin d’une aide quotidienne, parfois médicalisée. Un coût social, humain...

Cette technique permet-elle un délai d’intervention plus long ?
Oui, six heures actuellement, mais probablement plus. Le traitement ne provoque pas d’hémorragie, on n’a donc pas besoin de l’administrer dans les quatre heures trente. Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas aller vite, mais c’est une heure trente de gagnée sur la maladie. Il y a même certains patients pour lesquels on est intervenu après dix heures, mais ce sont des cas particuliers ; la discussion avec les neurologues est primordiale. Théoriquement, malgré les délais, si le cerveau est encore viable sur l’imagerie, on peut toujours intervenir. C’est une véritable révolution dans la prise en charge de la phase aiguë de l’AVC.

Vous expliquez que le traitement de référence, la thrombolyse intraveineuse, n’est destiné qu’à 8 % des patients. Et les autres ?
Ils ne pouvaient bénéficier d’aucun traitement visant à déboucher leurs artères. Ils étaient pris en charge dans une unité de soins spécifiques avec rééducation. Il existe également une réelle difficulté d’accès aux soins et une méconnaissance des symptômes par le grand public. La notion de réseau et de pluridisciplinarité est essentielle. Dans notre région, grâce au réseau Resuval, nous avons un des meilleurs taux de prise en charge par thrombolyse intraveineuse : 10 %. La thrombectomie mécanique est aujourd’hui un outil formidable qui permet d’envisager de soigner plus de malades et plus efficacement.

"On ramène les artères à leur état initial dans 75% des cas"

Quelles sont les limites de ce traitement mécanique ?
Les interventions sont délicates car les artères du cerveau sont fragiles, mais elles ne sont pas plus risquées que la thrombolyse intraveineuse. Une des limites réside dans le siège de l’occlusion : les caillots les plus petits, plus loin dans le cerveau, sont pour l’instant inaccessibles. On ramène les artères à leur état initial dans 75 % des cas. Mais parfois, le cerveau est trop endommagé ; la principale limite de cette technique est donc le délai d’intervention. S’il est trop tard, on ne peut plus rien faire. Les patients doivent donc reconnaître les symptômes d’un AVC tout en sachant qu’il faut aller très vite. Les pouvoirs publics doivent organiser les réseaux de soins et renforcer les effectifs des centres de neuroradiologie interventionnelle, partout sur le territoire, pour assurer les urgences 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.

Combien y a-t-il de neuroradiologues en France ?
Un peu plus d’une centaine sont confirmés pour une trentaine de centres compétents et habilités à traiter par thrombectomie. C’est limité aux CHU, sauf rares exceptions. A Lyon, par exemple, nous sommes une équipe de quatre praticiens et l’un de nous est disponible 24 heures sur 24 pour intervenir.

"A l'avenir, on pourra aller chercher des caillots plus petits et plus éloignés dans le cerveau"

Comment savoir où l’on peut avoir accès à cette technique ?
En France, dans les villes de taille moyenne, une unité neurovasculaire (UNV) prend en charge les AVC. Elle fonctionne en réseau étroit avec le Samu et les pompiers. Les médecins neurologues vasculaires, spécialistes des AVC, savent où est pratiquée la thrombectomie et nous adressent les patients éligibles au traitement. Mais le territoire n’est pas couvert de façon homogène et les temps de transport sont parfois longs. Aussi, le rôle des urgentistes et du Samu est crucial. Ainsi à Lyon nous accueillons des patients de Vienne, Valence, Bourg-en-Bresse venant de centres hospitaliers parfois distants d’une centaine de kilomètres. Mais on s’organise, le progrès est en marche !

Que laisse augurer cette nouvelle prise en charge des AVC ischémiques ?
A l’avenir, la technique se perfectionnera et on pourra aller chercher des caillots plus petits et plus éloignés dans le cerveau. On pourra également allonger le délai de prise en charge.

Le stent retriever, un outil révolutionnaire
Le stent retriever.
Le stent retriever. DR

Cette découverte est née de la neuroradiologie interventionnelle, dont les outils d’imagerie permettent d’intervenir de façon très précise dans le corps humain. Beaucoup de pionniers dans cette spécialité sont français et internationalement respectés. Depuis les années 2000, on réalise de plus en plus d’interventions sur des pathologies neurovasculaires, anévrismes intracrâniens ou malformations artério-veineuses. Avec l’expérience, les médecins ont développé des outils, des techniques et accumulé une connaissance considérable des artères intracrâniennes. Au début, dans certains cas désespérés, des opérations de sauvetage étaient tentées pour déboucher des artères cérébrales avec plus ou moins de succès, mais il manquait un outil simple d’utilisation et efficace. Le stent retriever a révolutionné la technique. Comme beaucoup de grandes découvertes, elle a été faite par hasard. Utilisé à la base pour les anévrismes intracrâniens, le stent s’est révélé très efficace pour attraper les caillots. Une fois l’utilisation effective, la pratique a explosé.

Guérie, elle dit « oui » !

Une femme de 32 ans fait un AVC. Son compagnon, témoin de la scène, est traumatisé par ce qu’il vient de voir. Coup du sort, il avait préparé la bague et un discours pour la demander en mariage le lendemain. Dans le stress de la situation, il lui fait sa demande alors qu’elle est sur le brancard du Samu. Opérée quelques semaines auparavant, la jeune femme ne peut pas bénéficier de la thrombolyse intraveineuse. Atteinte d’une hémiplégie brutale, elle présente une paralysie faciale, ne peut plus bouger le côté droit du corps, ne peut plus parler. Rapidement, les neuroradiologues interventionnels libèrent l’artère bouchée grâce à la thrombectomie mécanique. Alors que l’équipe finit la procédure, la patiente est capable de bouger à nouveau sa jambe et son bras droits et répond quand on lui parle. Une récupération « sur table » ! Elle se met à pleurer, car elle se souvient de la demande en mariage à laquelle elle n’a pu répondre. Elle demandera au Dr Labeyrie de transmettre au plus vite son accord à son futur époux !

Paralysée, elle récupère du jour au lendemain

Une femme de 50 ans, sans antécédents particuliers, est victime d’un AVC chez elle. Elle sent ses jambes se dérober et tombe brutalement dans le coma. Aux urgences, le scanner révèle un long caillot à l’intérieur du tronc basilaire, une artère très importante du cerveau située devant une zone qui commande tous les automatismes du corps, et qui est reliée à la partie la plus haute de la mœlle épinière. En état de locked-in syndrome, son corps est entièrement paralysé, hormis les muscles des paupières. Elle ne peut ni parler ni bouger, juste entendre. Pour elle, la thrombolyse intraveineuse est un échec. Les urgences l’adressent aux neuroradiologues de Lyon avec une prise en charge rapide, sous anesthésie générale. Le Pr Turjman débouche l’artère en un seul passage, libérant la vascularisation de son cerveau. Le lendemain, elle est capable de parler, de bouger les bras et les jambes et peut quitter le service de réanimation. Sans la thrombectomie mécanique, son cas était désespéré.

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