Accéder au contenu principal
FRANCE

"Khartoum-sur-Seine" : des réfugiés soudanais au cœur d'une banlieue chic de Paris

Depuis le mois de septembre, 123 réfugiés, originaires du Soudan et d’Érythrée ont été accueillis à Boulogne-Billancourt, une banlieue chic de Paris. Un relogement imposé par la préfecture mais mal vécu par la mairie. Reportage.

Le centre d'herbergement d'urgence Jaurès accueille 123 réfugiés soudanais et érythréens à Boulogne-Billancourt.
Le centre d'herbergement d'urgence Jaurès accueille 123 réfugiés soudanais et érythréens à Boulogne-Billancourt. Charlotte Boitiaux, France 24
Publicité

Youssef Anfi est un homme très sollicité. Au centre d’hébergement d’urgence Jaurès, dédié aux migrants (CHU) à Boulogne-Billancourt, son nom résonne à tous les étages, ce mercredi 14 octobre. "Vous n’avez pas vu Youssef ? On a un problème avec les sorties de vendredi", "Quelqu’un a vu Youssef ? J’ai besoin de sa signature", "Si tu vois Youssef, tu peux lui dire que je dois lui parler de la collecte de vêtements ?". Il faut dire qu'il y a fort à faire pour celui qui est, depuis la mi-septembre, le gérant du premier foyer de migrants de cette ville cossue des Hauts-de-Seine, à deux pas de la capitale française.

L’oreille souvent collée à son portable, il est à la fois le responsable, le gestionnaire de crise, l’intendant, l’interprète et aussi le confident des lieux. "Nous venons d’ouvrir. Nous sommes encore en phase de rodage, explique-t-il dans son bureau dont la porte ne reste jamais fermée plus de cinq minutes. Je dois apprendre au personnel et aux bénévoles à s’autonomiser. Alors, pour l’instant, oui, je suis un peu sur tous les fronts".

L'association Aurore, aidée de bénévoles, gère le foyer Jaurès

La mairie "court-circuitée"

L’un de ses principaux combats : rassurer la mairie. Car l’ouverture de ce foyer, situé en plein centre-ville dans un ancien bâtiment de La Poste, n’a jamais reçu l’aval de la Ville. Le maire a dû se plier à un arrêté préfectoral, exhortant Boulogne à accueillir ces migrants - des Soudanais et des Érythréens - arrivés cet été sur le sol européen. La majorité de ces 123 nouveaux résidents campait il y a encore un mois dans le 18e arrondissement, près de la mairie ou sous le métro La Chapelle. Ils sont aujourd’hui pris en charge par l’association Aurore, qui gère le CHU grâce à l'aide d’une petite armée de travailleurs sociaux et de bénévoles.

>> À lire sur France 24 : "'Welcome to Cergy' : une nouvelle vie commence pour 46 réfugiés syriens et irakiens"

"Cette décision préfectorale a été assez mal vue par Boulogne-Billancourt", explique Youssef Anfi qui dit comprendre l’appréhension des élus. "La mairie a été surprise, elle s’est sentie un peu court-circuitée. Et puis, c’est un choc social pour les habitants". D'ailleurs à la mairie, on reconnaît que certains administrés en colère se sont plaints de l'arrivée de ces migrants. "Nous recevons quelques lettres de doléances", a confessé un proche de Pierre-Christophe Baguet, l'édile Les Républicains de la commune. "Mais cela reste le fait d'une minorité de personnes", tient-il à préciser.

"La police fait des rondes souvent"

Pour l’heure, les appréhensions des Boulonnais apparaissent infondées : selon l’association, aucun acte répréhensible n’a été commis depuis l’arrivée des 123 résidents dans le centre. Ils attirent certes l’œil des passants "lorsqu’ils vont fumer à 10 en bas de l’immeuble", reconnaît Youssef Anfi, mais aucun incident n’a été enregistré. Ni pour des histoires entre eux, ni avec le voisinage. "La police fait des rondes très souvent, je joue le jeu. De notre côté aussi, nous avons mis en place un dispositif de sécurité : nous avons embauché des veilleurs de nuit", précise le responsable.

Chaque jour, l’association discute donc logistique, sécurité, propreté : il faut, en vrac, mieux organiser les ateliers d’activité, trouver des interprètes arabophones, s’occuper des démarches administratives, nettoyer du 1er au 5e étage les dortoirs, les douches collectives, les toilettes, empêcher d’autres migrants de pénétrer dans le centre…

Le quotidien des résidents

Si Youssef et son association s’impliquent tant auprès de ces "nouveaux Boulonnais", c’est aussi pour les accoutumer à la sédentarité. "Ils sont encore migrants dans leur tête. Ils ont toujours vécu dans le provisoire. Certains peuvent partir et s’évanouir dans la nature. Mais on ne peut pas leur dire : ‘Maintenant, vous restez ici !’. C’est un long travail, nous essayons de les occuper, de ne pas les laisser oisifs", explique Youssef.

Le message semble avoir été reçu par les bénévoles "qui ne manquent jamais de propositions", sourit Youssef. Au cours de la matinée de ce mercredi, les idées et remarques ont fusé. "Je pensais organiser une visite au musée d’Orsay, vendredi à 13h45, c’est ok ?", lance une bénévole entre deux portes. "Vendredi, c’est le jour de la prière, beaucoup vont à la mosquée, c’est pas le meilleur moment", répond Youssef avant d’être interpellé par d'autres. "La visite à Notre-Dame de Paris est toujours calée ?", "Dites, il faut vraiment monter la bibliothèque ? Vous pensez sérieusement que [l’écrivain] Guillaume Musso va les intéresser ?" Youssef sourit mais ne transige pas. "Oui, la visite à Notre-Dame est toujours d’actualité. Et oui, il faut construire la bibliothèque. Ça les aidera à apprendre le français", répond-il.

Sur une affiche : "Je suis Soudanais, j'habite à Boulogne"

Dans la grande salle à manger du 6e étage, une dizaine de résidents jouent aux cartes et regardent la télé, visiblement peu intéressés par l’agitation alentour. Certains dorment, d’autres sont partis voir leurs amis restés dans la rue, d’autres encore sont à la préfecture pour faire leur demande d’asile. Sur les 123 résidents, seuls deux ou trois maîtrisent la langue, et environ 10 % se débrouillent en anglais, la majorité parle exclusivement l’arabe. Tous les jours, des leçons de français sont dispensées au 2e étage du bâtiment. Sur les murs, de grandes pancartes rappellent aux résidents des phrases élémentaires : "Je veux du café, s’il vous plaît", ou encore "Je suis Soudanais, j’habite à Boulogne".

La majorité des réfugiés assiste assidument à ces cours, à l’instar de Mozab, âgé de 28 ans. "Je ne trouverai pas de travail si je ne parle pas votre langue", explique ce Soudanais arrivé en France le 30 juillet après un long périple européen et une traversée périlleuse de la Méditerranée. "Ici, je suis bien. J’ai une chambre et je peux me laver. Je suis fatigué d’avoir tant marché", confie-t-il avant de s’engouffrer dans la salle d'eau. Ali, l'un de ses "colocataires", tient le même discours : "Toute la journée, j’étudie. Je veux parler votre langue pour rester ici".

Depuis le mois de juin, plus de 2 200 offres d'hébergement d'urgence ont été faites par les services de l'État aux migrants évacués des campements parisiens. Ces opérations ont mobilisé 34 centres en Île-de-France dans 22 communes. Au foyer Jaurès, on applaudit cette politique de relogements mais on s’inquiète déjà pour l’avenir. Le CHU Jaurès de Boulogne fermera ses portes le 31 mars 2016. "C’est notre contrat avec la préfecture, explique Youssef Anfi. On ne sait pas trop ce qui se passera après. Alors, on croise les doigts. On espère que d’ici là, les 123 résidents auront obtenu un titre de séjour et qu’ils auront tous une meilleure visibilité de leur avenir".

Les cours de français

 

Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine

Emportez l'actualité internationale partout avec vous ! Téléchargez l'application France 24

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.