Malek Boutih: de SOS racisme à SOS amalgames ?

Publié le par Mouloud Akkouche

Malek Boutih: de SOS racisme à SOS amalgames ?

Cher Malek Boutih, vous avez au moins deux points communs avec Alain Finkielkraut. Vous êtes un ancien président de SOS racisme, tandis que le philosophe fut l’un des parrains de cette association. L’autre élément vous reliant est votre cristallisation quasi irrationnelle sur le jeune de banlieue. Lieu de toutes vos peurs et fantasmes ? De la jeunedebanlieuephobie ? Cette obsession serait-t-elle liée à tout autre chose qu’une problématique d’ordre politique ou philosophique ? Comme quoi, être brillant et intelligent comme vous et le philosophe dont j'écoute souvent l'émission, n'empêche pas de se laisser déborder par ses réactions épidermiques. La culture et le savoir ne filtrent - heureusement - pas toutes les émotions; sinon pas de passion. Sans elle, pas de convictions et de débats. Mais la passion, surtout quand elle paraît se confiner à une fixation monomaniaque, peut aussi s'user lorsqu'elle n'est destinée qu'à épaissir sa soupe médiatique. Un risque d'usure-passion ? Pour comprendre ce trouble récurrent, un psychanalyste aurait plus de clefs à proposer. En tout cas une analyse plus profonde qu'un billet d’humeur à chaud.

Une humeur née de votre phrase: Ce ne sont plus des émeutiers, ce sont des terroristes. Formule à laquelle vous rajoutez « On ne généralise pas » pour atténuer votre propos; l’enrober pour qu’ elle passe mieux ? Comme ceux qui balancent une vanne très lourde, agressive, humiliante, et disent aussitôt après« Mais c’était que que pour rire » ? L’humour n’est pas la portée de tout le monde. Une peur réelle de l'avenir du pays qui motive vos propos ? En effet, l'horizon n'est pas des plus radieux. Et on ne peut que souscrire -en partie - à votre constat pessimiste. Cela dit, ces jeunes " émeutiers et terroristes" n'ont pas été au pouvoir. A tout seigneur tout honneur; la responsabilité première revenant à ceux en charge du pouvoir. Et dont vous faîtes partie depuis des années. Alerter sur les dérives d'une minorité de la jeunesse des banlieues est bien sûr nécessaire. Pas mal aussi de temps en temps de balayer devant la porte des palais républicains. Ne recherchiez-vous que le buzz ? Dans ce cas, c’est une opération fort bien réussie. Félicitations !

Selon vous, ce (ils) ne sont plus des émeutiers mais des terroristes. Qui est « ce » ou « ils »? Quelqu’un les aurait-il déjà rencontrés ? En tout cas, pas moi. Ce sont tous les mêmes ou ils sont tous pourris ? La phrase qui vous qualifie aussitôt de poujadiste et faisant le jeu du FN. Sans doute qu'en tant que député de la Nation, vous ne supportez pas que l’on englobe tout le personnel politique dans un « ce » ou « ils » lapidaires. Et vous avez tout à fait raison. Les politiques : ils ne sont pas tous pourris. Comme les jeunes de banlieue ne sont pas tous des émeutiers (nouveaux Sans Culottes ?)ou des terroristes. Suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles pour s’en rendre compte. Certains ont même piloté la rédaction d'un quotidien du matin. Pas qu’une seule jeunesse de banlieue. Et vous le savez fort bien. Sans occulter les vrais soucis, pourquoi ne pas apporter plus l'éclairage sur ces jeunes plein de talent et d'énergie ? En effet, le terroriste fait plus buzzer qu'un jeune de Bobigny ayant intégré Normal Sup ou simplement bon animateur de quartier. La dictature des médias plus forte que les convictions ?

A force de jouer consciemment ou inconsciemment avec le feu, vous ajoutez à la déjà grande confusion ambiante. Une surenchère qui, in fine, ne sert que les obscurantistes de tous bords- que vous dénoncez et combattez à très juste titre. Evidemment, il ne s’agit nullement de dédouaner certains jeunes de banlieue de leur bêtise crasse, de leur antisémitisme, de leur sexisme, de leur islamisme radical, etc. Aucune excuse pour leur comportement. La misère n’oblige pas à la connerie, même si elle la facilite nettement plus qu’une situation sociale et affective privilégiée. Sur cet aspect, on ne peut pas vous accuser de démagauche. Bien au contraire.

Mais, connaissant parfaitement les difficultés d’une partie de la population, quel intérêt de jeter encore de l’huile sur les braises urbaines ? Le désir de générer d’autres émeutes ? Surfer sur le pire pour conserver sa place ? Si c’est uniquement une posture électoraliste, laissez-tomber l’instrumentalisation du FN ou la chasse sur ces terres. Vous avez perdu d’avance. L'extrême-droite est plus forte que la droite et la gauche réunies pour exploiter électoralement la barbarie terroriste ou le fait-divers de proximité. Certes François Mitterrand, apportant son souffle nourricier au FN et à SOS racisme, a su tirer les marrons du feu de sa stratégie politique. Pas un jeu qui marche avec tous les François.

Revenons à nos émeutiers devenus terroristes. Avec une trentaine d’année de moins, vous seriez sans doute rangés dans cette catégorie de «ce » que vous montrez du doigt. Mais, peut-être que depuis que vous êtes protégé derrière une cocarde, avez-vous oublié les contrôles au faciès et autres situations d’apartheid light et mobile. Gosse, je multipliais les stratagèmes pour éviter ces humiliations en boucle comme par exemple, en me baladant avec un exemplaire du Monde, une sacoche d’étudiant vide, ou en privilégiant le bus sur le métro. Pour les boîtes de nuit, ça ne marchait pas. Loin d’être le seul à avoir cherché des solutions pour éviter ce filtrage anti-démocratique. Vous vous êtes sûrement déjà retrouvé dans ce genre de situation. A moins d’avoir vécu dans des quartiers sans grosses difficultés pour leur jeunesse. Dans ce cas, tant mieux pour vous. Tous les citoyens, jeunes ou pas, devraient pouvoir voyager en quartiers de première classe. Comme tous les autres habitants de ce pays. Pas que des espaces publics d’émeutes ni de « terreaurisme »…. Avec ce sujet de la banlieue, on a l’impression de radoter, ouvrir la même porte porte ouverte depuis plus de quarante ans. Répéter les mêmes choses sans que rien ne change concrètement. En 2025, les journaux titreront : 20 ans après les émeutes. La situation aura progressé ou empiré ? Rendez-vous dans 10 ans Place des Dalles.

Cela dit, notre génération a aussi ses lâchetés. Les politiques passent et se ressemblent ? Les élections ne sont-elles qu’un « changement de leurres » ? Les citoyens, abstentionnistes ou pas, sont en droit de se poser ces questions. Pour paraphraserThierry Metz, très grand poète, nous vivons en ce moment dans une démocratie qui penche. Lui, malheureusement, est tombé à jamais. Chacun et tous responsables. Trop facile de rejeter sans cesse la faute sur les politiques, les médias, ou les élites. Toutefois, certains ont été élus pour tenter de redresser cette démocratie penchante. Pas pour rajouter du poids à un édifice déjà très instable. Et plomber notre avenir commun. Osons espérer que ce n'est pas votre souhait. Ni celui de la majorité de nos politiques.

Avant de conclure cher Député, si vous avez le temps et l’envie, lisez ou relisez «Lettre ouverte à ceux qui sont passés du Col Mao au Rotary Club », de Guy Hocquenghem. Un texte d’une très grande lucidité et pertinence évoquant les lâchetés d’une autre génération. Le changement c’était déjà maintenant. Pas pour tout le monde. Ça ne vous rappelle pas un mot d'ordre récent ? Nombre de citoyens risquent de bientôt vous rafraichir la mémoire dans les urnes républicaines. Combien de temps allez-vous jouer avec les nerfs de Marianne ?

Bien à vous,

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