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Politique

PS, FN et Front républicain : la méthode Valls contre la méthode Mitterrand

Manuel Valls est prêt à considérer le retrait des listes PS aux régionales, là où le FN et LR seraient devant les socialistes. Une stratégie aventureuse, qui rompt avec les acquis de la méthode Mitterrand face à la droite et au FN.
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Manuel Valls
Manuel Valls, lors d'une visite aux Mureaux
Afp/Lionel Bonaventure

Décidément, Manuel Valls est l’homme qui a décidé de prendre tout le monde de vitesse sur sa gauche. A peine le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, avait-il réussi à renvoyer le débat sur l’éventuel constitution d’un Front républicain contre le FN au soir des résultats du premier tour des élections régionales, que le Premier ministre a relancé la machine médiatique sur le sujet.

Invité mardi du Bondy Blog, dans la droite ligne de son intervention devant le Comité Laïcité République de la veille, Manuel Valls a de nouveau brandi la menace d’un FN s’emparant de deux régions aux élections de décembre prochain (Nord-Picardie et PACA). Avec réanimation du comateux Front républicain que bien des socialistes, pour diverses raisons, ont décidé de placer en soin palliatif politiques. "Il est hors de question de laisser le Front national gagner une région. Donc tout devra être fait pour l'empêcher [...] Je vous donne rendez-vous le soir du premier tour" a décrété le chef du gouvernement.

Du coup, sur Europe 1, Cambadélis a précisé qu’il ne fallait pas exclure que les listes socialistes arrivées en troisième position dans certaines régions, derrière le FN et LR, soient contraintes de se retirer, sans autre forme de combat. "Je n’exclus rien" a dit le Premier secrétaire, qui parait laisser à Valls une sorte de commandement suprême du PS dans la bataille des régionales.

Face à la montée actuelle du FN, la méthode Valls est-elle la bonne, qui vient s’inscrire à rebours d’une autre méthode, celle de François Mitterrand ? Puisque le Premier ministre nous offre l’opportunité de confronter les deux, avantages et inconvénients, profitons-en.

Ce que propose Manuel Valls est un dispositif à double détente. La fusion ou le retrait.

Pour le moment, le Premier ministre parait bien seul à être tenté par une possible fusion des listes LR et PS au soir du premier tour des élections régionales. Côté LR, la fin de non-recevoir est déjà actée (cf Henri Guaino ce jeudi sur BFMTV) conformément à la jurisprudence "Ni-ni". Les Républicains ne feront pas liste commune avec des socialistes au nom du Front républicain.

Il était possible de s’interroger sur le point de savoir si Manuel Valls avait avancé l’idée de manière à essuyer un refus de la droite qui aurait permis de justifier, in fine, le maintien des listes socialistes parvenues en troisième position au soir du premier tour des Régionales. Pour tout dire, on aurait admiré la manœuvre, qui aurait visé à faire porter le poids de la responsabilité d’une victoire FN en PACA ou dans le Nord sur le dos de Les Républicains. Sauf que Manuel Valls est déjà allé au-delà de la suggestion de fusion des listes.

Le Premier ministre a osé l’idée, sacrilège aux yeux de bien des socialistes, d'un retrait pur et simple des listes PS, laissant les électeurs face à un duel FN/LR. Ce qui n’est pas sans soulever des questions qui fâchent.

Peut-on imaginer un PS absent des conseils régionaux du Nord ou de PACA durant six ans sans que cela ne finisse par nuire au PS lui-même ? En politique, les absents ont toujours tort.

Peut-on être certain que les électeurs du PS, comme ceux du Front de gauche et des écologistes se plieront comme un seul homme à la consigne ? Dans le Nord ou en PACA, Xavier Bertrand et Christian Estrosi ont opté pour une ligne de droite dure, dans l’espoir de retenir les électeurs de leur camp tentés par le vote FN.

Il possible, si ce n’est probable, que bien des électeurs de gauche, confrontés à ce choix, répugnent à voter pour les listes LR et, pire encore, décident même de voter pour le FN contre LR. Il y a quelques jours, le responsable d’un institut de sondage confiait à l’auteur de ces lignes que selon ce qu’il voit émerger dans son laboratoire, 20% des électeurs de François Hollande en 2012, en cas de duel final 2017 Sarkozy/Le Pen, n’hésiteraient pas à voter pour la candidate FN. Retirer ainsi les listes PS aux régionales pour laisser place à un duel FN/LR, ce serait prendre le risque d’affranchir, dès avant 2017, des électeurs de gauche en souffrance qui ne sont pas encore passés à l’acte "vote FN". Est-ce vraiment cela que Manuel Valls souhaite au nom du Front républicain ?

La méthode Valls, qui vise à contraindre artificiellement une situation irréfragable, via un Front républicain à effet boomerang dévastateur pour le PS, est inopérante. Force est de constater qu’il faut bien donner raison à l’éditorialiste du Figaro, Guillaume Tabard, quand il écrit que "Le Front républicain marque un refus du droit des électeurs à disposer d’eux-mêmes". C’est vrai. Notons cependant l’ironie de l’histoire. Avec cet argument, la plume du Figaro légitime ainsi ce qu’elle réprouve le plus au monde : la méthode Mitterrand.

Laisser sa chance au "produit" FN ...?

François Mitterrand considérait en effet que soulagée de son surmoi gaulliste la droite classique n’était plus séparée de l’extrême droite que par l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes. S’il pouvait assister aux campagnes Estrosi ou Bertrand en PACA ou dans le Nord, il se dirait sans doute que décidément, il avait vu juste. Ayant posé cet axiome d’équivalence politique, il ne voyait donc pas de problème à ce que le FN puisse jouir de toutes ses facultés politiques et soit jeté dans les pattes de la droite classique. Il ne cherchait pas à contenir artificiellement le problème FN, comme le propose aujourd’hui Manuel Valls, mais à renvoyer les électeurs à leur responsabilité. En clair, le message était : "Puisque c’est ça que vous voulez, vous aurez la possibilité de l’avoir". D’où la juste instauration de la proportionnelle aux élections législatives de 1986, au programme des 110 propositions de la campagne 1981.

Mitterrand avait donné sa chance au produit FN pour deux raisons. D’une part, parce que cela renvoyait la droite à ses vieux démons, et que cela la contraignait à choisir entre le Bien et le Mal, "perdre son âme ou les élections" comme l’écrivait Michel Noir. D’autre part, parce que cela offrait aux Français le spectacle désolant de la nullité du FN accédant aux postes de responsabilités. Les deux ans de présence du groupe lepéniste à l’Assemblée se résumèrent à une série d’incidents lamentables, de l’intervention provocatrice de Jean-Claude Martinez lors de la séance inaugurale de la législature, jusqu’à la mise en cause de Rachid Arhab à la tribune par Roger Holeindre, en passant par une nuit de folie où des députés FN avaient pris d’assaut le Perchoir…

En 1986, les électeurs voulaient voir le FN à l’Assemblée, on avait vu. En 1988, ils furent tous éjectés, la droite ayant rétabli le scrutin majoritaire pour expurger les lepénistes du Palais Bourbon (seule Marie-France Stirbois siègera pour le FN durant la période 1988/93).

Mitterrand n’avait pas le complexe de Manuel Valls. Le FN étant un fait politique incontournable, il l’avait traité comme tel. Renvoyant aux électeurs FN la responsabilité de leur vote, comme l’y invite l’éditorialiste du Figaro, Guillaume Tabard. Morale de l’histoire : on ne peut pas déplorer que le FN ne soit pas assez représenté à l’Assemblée et continuer d’accuser Mitterrand de l’avoir inventé en 1986, sauf à croire que l’ancien président était doté d’un pouvoir surnaturel, capable de suggérer à deux millions d’électeurs de l’époque de voter pour le FN de Jean-Marie Le Pen. Répétons-le : en 1986, avec la proportionnelle, Mitterrand avait offert ce qui est de plus précieux aux électeurs : la responsabilité pleine et entière de leur choix.

Conclusion : que doit faire le PS là où il arrivera derrière le FN et LR au premier tour des régionales ?

Opter pour la méthode Valls, qui vise à contraindre artificiellement la situation, dépouillerait le PS de sa représentation et ne garantirait en rien un comportement Front républicain d’électeurs de gauche confrontés à un choix bonnet blanc, blanc bonnet ou qui pourraient même être tentés de voter FN ?

Ou en revenir à la méthode Mitterrand, à savoir laisser la logique politique d’une situation donnée aller au bout de son entropie, renvoyer les électeurs à la responsabilité de leur choix et les confronter à la réalité du FN accédant aux responsabilités ?

Convenons que le choix n’est pas simple. Mais ajoutons que le FN à l’Assemblée, c’était il y près de trente ans. L’oubli a fait son œuvre, et les électeurs de moins de quarante ans n’ont pas la mémoire de cette expérience pathétique. A un an et demi de la présidentielle, le temps n’est-il pas venu de laisser les électeurs s’administrer eux-mêmes, en responsabilité, une piqure de rappel de ce qu’est la vérité du FN aux affaires ?

A chacun son choix donc. Face au FN : méthode Valls ou méthode Mitterrand ?

 

 

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