Pourquoi j'arrête de voter Le Pen

Publié le par Mouloud Akkouche

Pourquoi j'arrête de voter Le Pen

Merci à @carobrodandroll pour la citation de Jean Yanne,

Pour Nathalie et Kader,

C'est pas un homme politique ou un journaliste qui m’a convaincu d’arrêter. Bien longtemps que j’écoute plus leurs discours. Beaucoup d'entre eux mangent dans les mêmes cantines. Ils nous prennent pour des cons de beaufs racistes et sexistes. Vont souvent pas chercher plus loin. Eux se penchent sur notre cas; nous aussi on se renseigne sur qui ils sont réellement. Facile pour eux de juger les autres quand eux et sa famille sont super protégés. Ils vivent pas dans le même monde que nous. Vachement bien le Net pour voir les magouilles de tout le monde. Pas là pour parler de ça. J’ai hésité à écrire cette lettre car je sais que… Et puis, tant pis s’il y a des fautes. Pas l’orthographe qui fait la sincérité. J'ai pas écrit une thèse, seulement donné mon point de vue. Je parle qu'en mon nom. Revenons à nos moutons: fini le vote le Pen pour moi. Plus de 20 piges que je suis persuadé de faire le bon choix. Celui qui correspondait à mon ras-le-bol et à ma colère. Un choix en réalité par défaut. Sans doute pour éviter de me creuser la tête. Qu’est-ce qui m’a ouvert les yeux ?

Un «Copain d’avant » qui a crée le déclic. Il m’a envoyé un lien avec une vidéo de notre enfance. Un documentaire tourné dans notre cité du Morillon en 1976. On dirait qu’on est dans un film de Claude Sautet. Je parle pas, déjà un taiseux, mais j’apparais plusieurs fois dessus. L’impression de voir quelqu’un d’autre que moi. Un étranger aux cheveux longs. Ça m’a secoué la tête et le cœur. Rappelé des pans entiers de moi complètement oubliés. Beau et con à la fois, comme dit la chanson. Ce documentaire c’est un coup de jus qui a réveillé la partie de mon cerveau endormi. Plus prêt à me laisser manipuler. Ni à me rendormir.

Réveillé donc d’un coup par ces images d’une époque où les deux principales religions étaient «pauvre » ou «riche ». On parlait pas autant de race ni de Dieu. Autre chose de plus urgent à penser tous les jours. Si Dieu existait, il se faisait plus discret. Moi j’ai jamais cru à ces contes pour adultes. Mon dernier Dieu vivant était ma mère, morte à la tâche dans sa putain d’usine. Moi je finirai ex-soudeur à Pôle emploi. La seule vraie divinité de la cité était Johnny : l’idole de beaucoup de mecs et de nanas. Faux de dire que tout allait bien. Y avait des connards comme partout et de tout temps. Certains étaient déjà racistes, avant que ce soit à la mode et que ça rapporte autant. Ça cassait aussi du PD. Des femmes se prenaient des coups. Faut pas se leurrer : c’était violent. Plusieurs gosses qu’ont voit se marrer dans la vidéo sont morts par arme à feu. Une balle les attendait au coin du futur. Aucun rêvait de finir comme ça. Mais pas tous partis de mort violente. Un grand nombre de mort lente dans des emplois de merde ou au chomedu. Non, on pensait pas à tous ces trucs d’avenir. Le problème de nos darons, pas le nôtre. Trop occupés à grignoter le présent: notre seul héritage. On le dilapidait dans ce square. Ou au parc Montreau pas très loin. Pauvres mais bourrées de rêves. Même si c’étaient des rêves à la con, vendus par les publicistes de l’époque. Chacun son paradis mobile.

Bien sûr, c’est le mec de 55 piges qui se met à croire que c’était mieux avant. Tout le monde croit que son enfance est la plus belle. Normal car c’est nos seules vraies racines. Sûr que les cailleras de maintenant que j’aime pas beaucoup, ceux qui font du rap, ceux qui crament des bagnoles, les jeunes cons et aussi les mecs bien d’aujourd’hui, seront super heureux de se retrouver un jour comme moi sur un documentaire: 40 ans après leur adolescence. Indéniable quand même que les cailleras font chier leur monde à cramer des bagnoles et pisser dans les ascenseurs. Emmerder que leurs voisins. L’hôpital qui se fout de la charité. Nous aussi y en a qui faisaient des conneries de ce genre. Moi je foutais Johnny à fond dans ma R16 et j’ai déjà pissé dans un ascenseur. Je chourais aussi dans notre supérette. Loin d'être un ange non plus. On faisait pas tous des conneries. Plein de gens très différents dans notre cité. Autant de tocards que de gens bien que n’importe où ailleurs.

Le problème c'est que maintenant ça va plus vite qu’en 1976. Aujourd’hui, avant même que tu fasses une connerie, les journalistes et des spécialistes en parlent. La cellule de crise comme prête avant la crise. Tout se sait très vite. Presque l’impression que l’actu a besoin de sa dose quotidienne de merde de banlieue. Que ferait-elle si tout se passait bien dans ces cités ? Chômage technique et idéologique ? Les uns travaillant à cracher sur une population, les autres pour la défendre. Les meilleurs là-dessus et les plus efficaces c’est «François de souche ». Je vais aussi arrêter d’aller sur ce site. C’est comme me dit mon pote Michel du « djihadisme de souche ». De la manipulation mentale bien de chez nous. Notre prophète à nous s’appelle Marine.

J’en étais où. Pas facile d’écrire pour moi. Je suis… disons… un peu illettré. A l’époque, comme dit le p’tite frère d’un pote dans la vidéo, on faisait tout le temps la bleue. Pour nous, l’école servait à rien. Notre square plus attirant que la salle de classe. On voulait vite travailler ou trouver une combine pour s’arracher de chez nos darons, vivre en ménage, s’acheter une bagnole… Ressembler à nos darons. Pareil que les gosses de pauvres de maintenant. Rien ne change sous le ciel des cités et de tous les quartiers populaires. La bleue, c’était bien. L’école buissonnière était notre p’tite révolution ou mai 68 à nous. Mais, en attendant, obligé de demander à ma femme de m’aider pour que cette lettre soit pas trop illisible et confuse. Ma femme vient aussi de la même cité, mais elle faisait moins la bleue que moi car sa daronne la surveillait de près. Pour nos vieux, l’école c’était sacrée. Plus que tout le reste. Dommage que ma femme soit pas née ailleurs. Sûr qu’avec son intelligence, elle aurait cartonné. Ça sert à rien de refaire le match, surtout quand on l’a perdu. Elle est moi on s’est pris la main la première fois dans ce square. Un jour de bleue. Mon histoire d'amour.

Y a une question que je me pose souvent. Quand a commencé tout ce merdier qu’on vit en France ? Je suis pas assez calé pour vous parler d’économie, de mondialisation, ou de trucs dans ce genre. Juste comment je ressens la bascule dans ce pays. Sûr que ce sera pas hyper intéressant, sûrement dit des centaines de fois, et beaucoup mieux que par moi. Sans doute que je vais dire beaucoup de conneries. Pas plus que certaines et certains qui passent à la radio et à la télé. Pour une fois que je décide de dire ce que je pense. Et ça coûte pas cher d’écrire sur le Net.

Moi, je crois que ce poison entre nous les pauvres a commencé entre autre avec cette histoire de potes. Pas que ça bien sûr mais ce truc là y a bien contribué. La première fois que j’ai entendu « touche pas à mon pote », j’ai pas compris ce que c’était. Tous ceux que je voyais au square étaient des potes. Certains le sont encore. On se voit pas mais on se parle par Facebook, grâce à Copains d’avant. Je mens en disant qu’on était tous potes. Y en a dans la vidéo que je continue à pas blairer. Comme quand j’étais jeune. Pourtant je les ai pas revus depuis mon départ de la cité. C’est comme ça : on peut pas aimer tout le monde. En tous cas, c’était la première fois que je me suis demandé qui était ces potes auxquels fallait pas toucher. Ça me rappelle l’histoire que nous avait racontée une instite de la primaire. Un gosse rentre chez lui en Amérique et dit à sa mère : je me suis fait un pote. Sa mère répond : super ! Il est de quelle couleur. Le gosse se gratte le front et répond : j’sais pas Maman… Mais je vais regarder la prochaine fois. Une histoire entendue y a presque 45 piges et qui me reste en mémoire. Cette instite a fait plus que tous les concerts de la main jaune et le sirop humaniste à la télé. Surtout quand on sait comment certains ont retourné la main… Cette instite, super dure avec nous, qu’est-ce qu’elle m’a collé, elle a jamais eu de voiture de fonction et de parachute doré. Elle faisait son boulot sans se la raconter. Alors que les… J’arrête mon tous pourris; sinon je vais revoter pour Marine. Et je veux plus me faire avoir par elle. Ni par tous les autres.

Pour qui voter alors ? J’accomplis mon devoir électoral depuis que je suis majeur. Un truc hérité de mon daron coco. Y me tannait avec «des gens se sont battus pour que tu puisses coller ce bout de papier dans l’urne ». L’isoloir était sa seule église. Au début, je votais comme lui, pour les cocos. J’ai jamais eu de carte du PC mais c’est vrai qu’eux s’occupaient pas trop mal de nous dans les quartiers. En tout cas, ils essayaient. Je détestais lire mais y avait une bibliothèque dans toutes les coins de la ville. Cernés par les bouquins. Et c’était gratos. On partait en colo pour que dalle. Sans les cocos, j’aurais jamais skié ou plongé la tête dans l’océan. Bien sûr, il avait le goulag et tous ces millions de morts de Saline en URSS. Ils en reparlaient à la radio à cause du philosophe qu’est mort ces jours ci. Mais, on peut dire ce qu’on veut, jamais vu de goulags dans ma ville d’enfance. Et dans tout le 93, il y avait plein de théâtres. Mêmes les riches de l’autre côté du pérife venaient chez nous pour se cultiver. En plus, pour les cocos, il y avait que deux différences : les riches et les pauvres. Avec ou sans pognon. Nous, on savait qu’on était chez les pauvres. Et qu’il y avait les riches.

Pauvre était notre couleur et notre religion. Même si c’était un peu borné, simpliste, c’était quand même mieux que maintenant. Aujourd’hui, ils arrêtent pas de parler d’égalité des chances et de mixité. Pour eux, l’égalité des chances c’est ouvrir la porte à quelques gosses de pauvres et laisser les autres crever la gueule ouverte dans leur putain de ghetto. Pour la mixité, y en a moins qu’avant alors qu’ils en parlent en boucle. Paroles, paroles… On croit plus à leur blabla. Trop entendu les mêmes promesses pas tenues.

Revenir au vote communiste ? C’est plus comme à l'époque où certains copains du daron qui croyaient encore à Staline. Non, je vais pas voter pour eux. Les écolos ? Pareil que les autres prêts à tout pour un poste bien placé au chaud. Plus confiance en personne. Sûr qu’ils vont tous s’allier avec leurs copains ennemis de la finance. Déjà fait baiser par le deuxième gouvernement Mitterrand. Voter pour les copains de Sarkozy ? Sûrement pas me faire avoir une autre fois. Bref, je suis dans la merde. Pourtant j’aime bien voter. Rares les fois où, nous d’en bas, avons l’impression de servir à quelque chose. Même si on reste réaliste quand même sur les effets de notre vote. Si le vote servait à quelque chose, ce serait interdit, disait Coluche. On s’est habitués à picorer les miettes de la République. Sauf qu’on est plus de pauvres à se les partager. Voter c’est juste un changement de leurres. Le bulletin de vote ou la canne à pêche ? J’hésite. M’abstenir serait très dur pour moi. Et pour la mémoire de mon daron. Son fantôme là chaque fois que je rentre dans un isoloir. 20 piges qu’il doit me faire la gueule en lisant mon bulletin de vote. Bientôt me réconcilier avec mon daron ?

A force de se fréquenter et de venir des mêmes écoles, la gauche et la droite me donnent l’impression d’être devenues comme des sœurs jumelles. Le Front National, une de leur p’tites sœurs, mais en plus teigneuse. Marine Le Pen c’est un peu la Cruella de la politique. Elle sait qu’elle va faire un carton car sa présence sert aux grands partis pour être là au second tour. Les seuls à qui elle sert pas ce sont qui vont voter pour elle. Je viens juste de m’en rendre compte. Un peu comme quand t’as trop picolé et que tu te rends compte, en croisant le matin les regards des proches, que t’as dit beaucoup de conneries. Bref, on est vraiment mal barrés. En plus, aujourd’hui, t’as ceux qui vont se faire descendre pour 70 vierges. Même une vierge aveugle voudrait pas d’un cadavre. Le XXIe siècle respire pas beaucoup l’intelligence. A croire que la connerie règne en maîtresse à tous les étages du monde. Que faire? J’en sais plus rien. Trop usé et désabusé pour y croire encore. Plus que la force de constater ?

Ma femme me dit que je suis trop soupe au lait et nostalgique. Elle a sans doute raison. Mon vieux pote m’a pas fait un cadeau de m’envoyer ce documentaire. Ça me bouge les boyaux de la tête. Je me repose plein de questions. Grace à ce films en tout cas que j’ai compris que voter FN était une connerie. Le problème c’est pas la couleur de peau ou la religion. La preuve, même dans notre misère, on se marrait bien dans ce square. Filles et garçons ensemble dans notre première salle d’attente à ciel ouvert. On s’est autant fait chier qu’on s’est marrés. Tous adeptes du présent.

Ce gosse que j'étais dans le square n’aurait jamais pensé voter un jour FN. Cracher sur mes potes d’enfance gosses d’immigrés. Tous embarqués dans le même bateau ancré au milieu de la cité. Même si c’était pas toujours cool, c’est avec eux que j’ai vécu les meilleures années de ma vie. Pourquoi alors avoir voté durant 20 piges avec les ennemis de mon enfance ? Car français de souche ? Pour défendre mes racines ? Par trouille de perdre le peu que j’ai acheté à crédit ? Pour éviter de trop gamberger ? De souche, je le suis. Personne pourra me retirer mes origines. C’est comme ça. Mes racines sont dans ce square de 1976.

NB) Une fiction inspirée de ce documentaire loin des clichés réducteurs et de l’aveuglement condescendant. Après les images du passé, juste le regard imparfait d’un personnage de fiction, sur hier et aujourd’hui.

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