Menu
Libération
Reportage

A Saint-Denis : «La France est en guerre et elle peut compter sur ses banlieues»

Procès des attentats du 13 Novembre 2015dossier
Dans un bistrot à proximité du Stade de France, les habitués expriment leur colère contre les terroristes et craignent que «cela retombe sur les musulmans».
par Sylvain Mouillard
publié le 14 novembre 2015 à 17h42

Certains lisent le journal au zinc, en silence. D'autres, sur le trottoir, racontent, discutent, débattent. Ce samedi matin, le café la Royale, à quelques encablures du Stade de France à Saint-Denis, est noyé sous le brouhaha et la tristesse. Ici, tout le monde ou presque a entendu les explosions provoquées vendredi soir par trois kamikazes. Très vite, la peur s'est propagée dans le quartier. «Mon neveu et ma belle-soeur étaient au stade, mais on n'arrivait pas à les joindre. Ma mère a failli vomir», raconte Hassen, 45 ans. Otman, lui, travaillait dans une des pizzerias devant l'enceinte sportive : «La première chose que j'ai faite, c'est d'appeler ma famille pour leur dire de s'éloigner ou de rentrer à la maison. C'est fini, on n'est plus en sécurité.» «Ce qui s'est passé nous heurte au plus profond de nous-mêmes», ajoute Aziz, cinquantenaire d'origine tunisienne.

Tarek, 33 ans, a vécu deux soirées. L'une était «bien», «parce qu'on gagnait contre l'Allemagne en foot». L'autre a viré au «dégueulasse». Il souffle que c'est «pire» que les attentats de janvier 2015. D'abord en raison du bilan humain : «C'est inimaginable.» Il ajoute : «Et puis les attentats suicide, en France, on ne connaît pas. On n'est pas prêts.» Il n'a pas fermé l'œil de la nuit. «Comment tu peux dormir après ça ? Ils nous ont attaqués en bas de chez nous. Vendredi soir, j'ai vu des trucs exceptionnels. Il y avait énormément de policiers, mais quand tu regardais leurs visages, ils étaient tous choqués.» Tarek dit qu'il est entré «en résistance» :«La France est en guerre, et elle peut compter sur ses banlieues.»

«Ça va forcément retomber sur les musulmans»

Hassen, qui bosse dans les abonnements pour la presse, appuie : «On soutenait Charlie Hebdo et la liberté d'expression. Mais là, ils ont frappé toute la France, à l'aveugle.» On sent les gens perdus. «Comment c'est possible de se faire exploser pour des idées, au nom de la religion ?», interroge Hassen. «Ce monde s'est arrêté. il est complètement jobard.» Jamel, d'origine algérienne, soupire : «L'islam interdit de faire couler le sang et de se suicider. Comment tu peux en arriver là ?» Sa famille a connu le terrorisme du FIS des années 90, «les couvre-feu, l'état d'urgence»; «si on est venu en France, c'est pour fuir ça.»

Tarek s'interroge : «Je suis Français de confession musulmane. Ici, je peux prier, faire le ramadan. Si tu es dans une pratique extrême, tu dois quitter le pays.» L'identité des auteurs des attentats, revendiqués par l'Etat islamique, les inquiète : «Ça va forcément retomber sur les musulmans, les gens des quartiers», redoute Hassen. Le mot «amalgame» revient en boucle, surtout avec les échéances électorales: «Les regards vont se tourner vers une partie de la population française, et franchement, c'est compréhensible», lâche Tarek. Qui se reprend quelques instants plus tard : «Il faut rester unis et soudés. Ce ne sont pas les terroristes qui vont mettre la terreur. Tu ne peux pas t'avouer vaincu chez toi. Ça va prendre du temps pour se remettre, mais il faut leur montrer que quand ils nous frappent, cela nous rend plus forts.» Il espère aussi que les médias n'entreront pas dans une «spirale» de stigmatisation et que François Hollande saura «donner de la force au peuple pour qu'il s'unisse».

«De Gaulle ou Chirac»

Cet appel à «l'unité nationale» est partagé par l'ensemble de la clientèle. «Il faut que les politiques arrêtent de se chamailler», demande Jamel, «sinon ça va déraper». Les prochaines élections régionales l'inquiète : «A qui profite le crime ? Au Front National...» Le discours se muscle parfois franchement. «Si j'attrape un des terroristes, je le bâillonne et le mets dans l'acide», s'emporte Aziz. Un autre gars : «On saura défendre notre quartier !»

Pour Jamel, la France (une «grande nation») a besoin d'un leader, «quelqu'un comme de Gaulle ou Chirac»«Quand j'ai vu Hollande vendredi à la télé, il avait l'air en panique. Il ne m'a pas rassuré.» Il appelle à davantage de contrôles aux frontières. «Parmi les migrants qui arrivent en France aujourd'hui, peut-être qu'il y a des terroristes.» Il appelle à «expulser» les personnes suspectées de projets d'attentats. Et s'ils sont Français ? «Tu les déchois de leur nationalité !» Hassen appuie : «Il faut filtrer !» A voix haute, en citant la Syrie, l'Egypte ou la Libye, il se demande s'il «ne vaut pas mieux un bon dictateur pour combattre le terrorisme». Tarek développe encore : «Quand il y a un doute sur quelqu'un, y'a pas de doute à avoir. Tu le mets en prison.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique