Publicité

Marché de l'art : «C'est comme le 11 septembre»

«Je suis Charlie est toujours d'actualité», affirme le galeriste parisien Baudoin Lebon, en diffusant cette image.

ATTENTATS DE PARIS - Nombre de maisons de vente, organisateurs de salons et marchands ont décidé, au fur et à mesure de la journée du 14 novembre, de fermer leur porte librement ou sous contrainte policière. Tous sont bouleversés.

Il a fallu toute la matinée de samedi matin, avant que les responsables de l'hôtel des ventes parisien Drouot ne se résolvent à fermer. «Ce qui s'est passé est odieux, dramatique et lâche. Nous voulions rester ouverts, comme un acte de résistance. Mais le deuil national ne nous laisse plus le choix. Nous fermons et attendons lundi les directives précises que doit donner le préfet», déclarent de conserve Olivier Lange et Alexandre Giquello, respectivement directeur de Drouot et président de Drouot Enchères. L'établissement, qui accueille 1300 ventes par an, est considéré comme un grand magasin de l'art soumis à la même réglementation que le Printemps ou Galeries Lafayettes.

Drouot, l'hôtel des ventes parisiens, est portes closes.

A 11 heures du matin, l'hôtel des ventes avait ouvert comme tous les samedis. M oins de monde qu'à l'accoutumée, mais des amateurs étaient là, comme ce jeune couple penché au-dessus d'une vitrine de bijoux anciens venu de Saint-Malo. «Il faut se dire que l'art, c'est ce qui nous sauve. Il faut s'étourdir de belles choses quand la laideur prend du terrain», affirme le jeune homme. Dans la salle d'en face, le commissaire-priseur David Nordmann «cherche le bonheur» dans un tableau nabi de Maurice Denis qu'il doit mettre en vente la semaine prochaine à Drouot. «C'est une façon de se plonger dans l'optimisme», se convainc-t-il. A quelques heures du coup d'envoi de sa vente, au sous-sol de Drouot, Vincent Sarrou voulait encore croire qu'il pourrait taper le marteau. «Il faut continuer. Ne pas faire comme si de rien n'était, mais poursuivre. Qu'importe si la vente est une catastrophe. Ce n'est pas le sujet». Mais ce samedi, Vincent Sarrou a dû renoncer à sa vente.

Les enchères s'annulent en cascade. Dans l'enceinte du Jardin d'Acclimatation, dans le bois de Boulogne où les drapeaux sont en berne, «Bernard Arnault a décidé reporter les premières enchères qui devaient être organisées dimanche 15 novembre dans les murs de sa Fondation Vuitton pour l'art contemporain», annonce le commissaire-priseur Alexandre Millon, qui devait tenir le marteau. Près de 1500 y personnes étaient attendues pour cette vente à l'aveugle inédite, au profit du secours populaire. Elle doit finalement avoir lieu le 26 novembre prochain.

Pas de vente non plus chez Christie's, à Paris. «Compte tenu des événements, la décision a été prise de fermer nos bureaux parisiens et de reporter la vente de photographie de la «Collection Shalom Shpilman - Part II». Notre priorité est maintenant d'assurer la sécurité de nos collègues», annonce la société d'enchères. Mais la 155eme prestigieuse vente des vins Hospices de Beaune dimanche, précédée d'un grand dîner la veille, était encore maintenus samedi en début d'après-midi, malgré la décision de précieux amateurs de regagner la capitale. Seul Jean-Pierre Osenat maintient, à Fontainebleau, sa grande vente sur l'Empire, dimanche 15 novembre. «Il ne faut pas baisser les bras. Ne cédons pas à la panique, qui est exactement le souhait des terroristes», affirme le commissaire-priseur, convaincu que les nombreux collectionneurs, qui l'ont appelé pour lui affirmer leur soutien ce 14 novembre, viendront comme promis le lendemain ou enchériront bien par téléphone, pour une nouvelle bataille napoléonienne.

La première vente caritative à la Fondation Vuitton, fermée dans la bois de Boulogne, est reportée au 26 novembre

Libre aussi de pouvoir résister, le marché des Puces - Paul Bert, Serpette et Biron -, qui attire chaque week-end des milliers de collectionneurs français et étrangers, a choisi de rester ouvert, moyennant un renforcement du dispositif de sécurité. «C'est une forme de résistance face au drame, affirme Jean-Cyrille Boutmy, propriétaire des marchés Paul Bert et Serpette, nous ne laisserons pas les terroristes nous mettre à genou économiquement. Le marché sera ouvert ce week-end à 99 %. C'est notre volonté et celle des marchands qui ne veulent pas se laisser abattre». Et Marion Dufranc d'ajouter: «Ce samedi matin, il y avait des étrangers et, notamment des Américains. Ce n'est pas la foule des grands week-end mais il y a du monde».

Ce week-end parisien devait très actif avec de nombreux salons dans la capitale. Tous ont été contraints au fil de ce samedi de fermer leurs portes. Au Grand Palais, Paris Photo, qui doit se terminer dimanche soir, avait d'emblée décidé de ne pas ouvrir sous la nef. Au Palais Brongniart, place de la Bourse, Paris Tableau a été contraint par la police d'évacuer les lieux en début d'après-midi.

« J'ai pris la décision de fermer en mon âme et conscience »

Kamel Mennour

Du côté des galeries enfin, les annonces de fermeture sont tombées au fil des heures. «Je suis Charlie est toujours d'actualité», affirme le galeriste parisien Baudoin Lebon, en diffusant l'image en noir et blanc d'une Marianne en larmes. Kamel Mennour, le sémillant galeriste sous le feu des projecteurs pour son artiste Anish Kapoor à Versailles, est particulièrement choqué.

La galerie de Kamel Mennour à Saint-Germain-des-Près, n'ouvrira pas ses portes ce week-end.

«J'ai pris la décision de fermer en mon âme et conscience, déclare Kamel Mennour. Je sais qu'il ne faut pas céder à la panique mais j'assistais hier soir au match de foot au stade de France avec mon fils de 13 ans. J'étais porte E alors que la bombe a sauté porte D. Quand quelqu'un m'a dit que le président François Hollande avait été exfiltré, j'ai pris mon fils sous le bras et nous avons couru jusqu'au métro».

Deux graphistes de sa galerie, 27 et 28 ans, étaient au Bataclan le soir du drame. «Elles pleurent encore d'avoir vu la mort de si près, poursuit Kamel Mennour, en colère contre «ce coup porté à la jeunesse». Ce jour, pour nous Français, est aussi traumatisant que le 11 septembre quand les tours du World Trade Center sont tombées. Je sais qu'il faut continuer à vivre mais j'ai besoin d'un temps de recueillement en famille. Je veux marquer ce moment-là, même si je comprends que d'autres ne veuillent pas fermer leur galerie. Chacun réagit à sa manière. Mais où allons-nous?»

Marché de l'art : «C'est comme le 11 septembre»

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
Aucun commentaire

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

À lire aussi