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Au travail, le jour d’après

A Paris, de nombreux salariés ont travaillé samedi 14 novembre au matin, après les attentats de la veille. Parfois à la première heure, à quelques encablures des lieux touchés. Souvent sans avoir le choix, et la peur au ventre.

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Publié le 18 novembre 2015 à 14h27, modifié le 18 novembre 2015 à 20h32

Temps de Lecture 5 min.

Boutiques, restaurants, bars, cabinets d'avocats… Dans divers secteurs, il n'y a pas eu de pause post-attentat.

« J’ai reçu des mails professionnels dès le samedi matin. Des mails qui ne faisaient strictement aucune mention du drame qui avait eu lieu la veille à seulement quelques centaines de mètres de là. On me demandait de traiter en urgence un dossier client ou encore de renvoyer telle ou telle pièce », rapporte, indigné, Pierre*, avocat de 30 ans, depuis deux ans dans un cabinet parisien du 9e arrondissement.

Pierre a bossé tout le week-end, malgré la fermeture des bureaux samedi car situés dans une rue rendue inaccessible au public. « Je n’ai pas eu de répit, poursuit-il. Ni les stagiaires d’ailleurs. J’aurais au moins aimé qu’on nous dise ne serait-ce qu’un mot à ce sujet. » Parmi ses amis avocats, Pierre estime « ne pas être le plus à plaindre », lui qui est « en vie » et n’a perdu aucun proche.

Aude, 28 ans, a dû lever le rideau d’un magasin de la capitale dès 10 heures du matin. Responsable d’une boutique de luxe dans le 16e arrondissement, elle affirme surtout avoir été « choquée par le silence » de son patron. « Il ne s’est en rien exprimé sur le sujet, il a juste tenu un discours froid nous incitant à nous remuer pour vendre. »

« On a peur »

Sarah, 23 ans, vendeuse dans un magasin de vêtements du 6arrondissement, a, elle, refusé de s’y rendre samedi, « trop stressée ». Lundi matin, elle a téléphoné à son supérieur pour savoir si des mesures de sécurité avaient été mises en place. « Il m’a répondu qu’il n’y en avait pas. Que la vie continuait. Nous, on est en boutique et on a peur. On nous a même interdit de faire une pause pour regarder l’allocution de François Hollande, en nous demandant de prendre plutôt ce temps-là pour “aller chercher les clients dans la rue” et rattraper le chiffre de samedi. Ils ne pensent qu’au chiffre. »

Afin de ne pas perdre une journée sur sa fiche de paye, elle explique vouloir faire jouer son « droit de retrait », qui permet à un salarié de s’absenter en cas de « danger grave et imminent pour [sa] vie ou [sa] santé ». Mais ce droit, très encadré, est en principe « inapproprié à la situation postattentat », explique l’avocat de droit social Francis Kessler.

Anaëlle, 24 ans, fait partie de ceux qui ont dû assurer le service tout le week-end dans l’un des nombreux bars du centre de la capitale, malgré l’inquiétude. Le droit de retrait, elle n’en a jamais entendu parler. « Je suis venue parce qu’il le fallait, sans faire de vagues. Les instructions, c’était plutôt “on ne va pas se laisser abattre”, ce qui avait du sens. Mais “on” ne m’a pas vraiment posé la question de savoir si je souhaitais assurer mon service, quelques heures seulement après les tueries sauvages dans des établissements à quelques rues. »

Dimanche soir, elle explique avoir passé une soirée « particulièrement éprouvante », quand, après un mouvement de panique provoqué par l’éclatement d’une ampoule à quelques numéros de son établissement, dans le Marais, elle et ses clients, retranchés à l’intérieur, ont arrêté de respirer durant de longues minutes. « On a vu des gens se mettre à courir soudainement dans la rue quand d’autres criaient. On était morts de trouille. » Pourtant, quand le calme est revenu, vers 20 heures, son patron l’a laissée finir seule la soirée et fermer le bar. « Comme la veille, finalement. »

« Personne n’avait envie de faire cuire des steaks »

Chez Big Fernand, chaîne de restauration spécialisée dans les burgers « à la française », les consignes sont les mêmes : les établissements de la rue du Faubourg-Poissonnière, dans le 9e arrondissement, et de la rue Saint-Sauveur, dans le 2e arrondissement, restent ouverts. « Fermer ce week-end n’allait malheureusement pas rendre la vie à ceux qui l’avaient perdue vendredi soir », affirme Steve Burggraf, le fondateur de l’enseigne.

Mais derrière les fourneaux, c’est plutôt pour leurs vies que s’inquiètent les employés, largement désœuvrés. « Ça n’avait aucun intérêt. Dimanche, il n’y a eu quasiment aucun client. Personne n’avait envie de faire cuire des steaks », témoigne un employé de la rue Saint-Sauveur. « Après la fausse alerte, qui nous a tous encore mis sous pression, on a décidé de baisser le rideau et de partir », poursuit-il.

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De son côté, Steve Burggraf soutient « n’avoir jamais pris aucun risque pour les salariés et les clients. Samedi, nous avons jugé bon de poursuivre notre activité pour ne pas céder à la panique et parce que le niveau de sécurité dans la capitale n’avait jamais été aussi élevé que ce jour-là. » Par ailleurs, il maintient que ses employés ayant refusé de venir samedi « seront payés ».

« Qu’on nous donne le droit que le temps s’arrête »

A la Fnac en revanche, dont certains magasins comme ceux de Saint-Lazare ou de Montparnasse sont restés ouverts samedi mais ont dû baisser le rideau dimanche, « il n’est pas prévu par la direction de payer les salariés pour les heures non assurées, volontairement ou non, rapporte Michel Bétard, délégué syndical CGT de la Fnac Saint-Lazare. Samedi, beaucoup d’entre nous sont venus travailler, malgré leur angoisse. Nous n’avons eu strictement aucune consigne de la part de la direction ». Laurent Glépin, directeur de la communication du groupe, admet en effet qu’en raison d’un « flou total sur la situation au lendemain des attentats, il avait été convenu de laisser les portes ouvertes du magasin Montparnasse jusqu’à 18 heures et celles de Saint-Lazare jusqu’à 13 heures environ ». Les magasins de Rosny et de La Défense, qui ont chacune perdu au Bataclan deux de leurs employés, sont en revanche restés clos. Quant aux salariés qui devaient travailler dimanche, « ils ne seront effectivement pas rémunérés pour cette journée chômée, mais ils conserveront le jour de repos qui leur est normalement attribué après chaque dimanche travaillé ».

Eric, ingénieur du son, a lui aussi été contraint d’assurer un concert samedi soir à Pau, même si le cœur était loin d’y être, lui qui a perdu deux amis présents la veille au Bataclan. Ce qu’il regrette surtout, c’est que « tout événement, quel qu’il soit, n’ait pas été annulé, même loin de Paris ». Car être sur son lieu de travail samedi n’était pas le problème. « Ça faisait du bien d’être soudés entre collègues. Je crois que j’aurais juste aimé qu’on nous donne le droit que le temps s’arrête, au moins le temps d’une soirée. »

*Les prénoms ont été changés.

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