Gilles Leclerc, @Juistviking, est sur Instagram depuis trois mois. Sa première photo date du 15 août 2015. Il est allé à Las Vegas cet été, où il a passé du bon temps avec son ami @_fonfon_. Le compte de sa copine, Marianne Labanane (@marianne_labanane), est privé, mais nous savons qu’elle a publié 29 photos et qu’elle a seulement 9 abonnés. Sa sœur, @lady.bluebird, est tatoueuse et son compte est également privé.

Gilles a géolocalisé 17 de ses 28 photos. Ce sont celles prises en France, dont 10 à Paris. Et l’une d’entre elles date du vendredi 13 novembre au Bataclan, deux heures et demie avant le début de l’attentat. C’est pour l’instant sa dernière photo sur Instagram.

Le vendredi 13 novembre, quand j’ai appris ce qui s’était passé au Bataclan, mon premier réflexe a été de faire une recherche sur Instagram des photos prises dans la salle. Il y avait plusieurs clichés des jours précédents et deux du jour même. L’un d’eux a attiré mon attention : le selfie d’un couple, une bière à la main, heureux, avec d’autres personnes en arrière-plan qui attendaient aussi le concert. Ils avaient aussi pris le temps de faire une mosaïque avec l’affiche du concert. C’est @Juistviking qui a publié cette photo.

Tout dans cette image, dans ce moment, n’était que bonheur. Impossible d’imaginer ce qui allait se passer deux heures plus tard.

Ce soir-là, la photo avait 197 “J’aime”. Trois jours plus tard, ce chiffre approchait les 10 000, et 6 800 personnes avaient laissé des commentaires. Certains priaient pour Gilles, d’autres espéraient qu’il allait bien ou demandaient seulement des nouvelles de lui et sa copine.

C’est là toute la portée des réseaux sociaux. Ils ont tout changé. Pourquoi ? Parce que, si Gilles n’avait pas pris ce selfie, s’il ne l’avait pas géolocalisé, s’il n’avait pas mentionné sa copine, ou si son compte avait été privé, aucune de ces milliers de personnes n’aurait jamais su qui il était et je ne serais pas en train d’écrire à son sujet.

Nous savons que @marianne_labanane a survécu, mais le sort de Gilles reste inconnu [sa mort a malheureusement été annoncée après la publication de cet article]. Il ne figure pas sur la liste des victimes ou des blessés hospitalisés. Et les gens qui ne connaissent de lui que son selfie sur Instagram font tout pour le retrouver. Ils ont publié des photos de ses tatouages, sa famille s’exprime par tous les moyens, ses amis sont désespérés.

Lundi 16 novembre, le commerce où travaille Gilles a vu défiler de nombreuses personnes venues déposer une bougie, une fleur ou une lettre, ou prier pour qu’il réapparaisse.

Voilà toute l’utilité d’Instagram et des réseaux sociaux. L’histoire de Gilles est devenue un symbole de l’attentat – uniquement parce qu’il avait fait un selfie. Il doit exister d’autres cas similaires de personnes qui n’ont pas publié leurs photos, mais c’est celle-ci qui nous émeut le plus parce que nous comprenons ce que vivait Gilles dans ce cliché à cet instant. Et nous pouvons avoir un aperçu d’autres moments de sa vie.

Espérons que @Juistviking est hospitalisé quelque part et que ce n’est pas sa dernière photo. S’il a survécu, je le suivrai et likerai sa prochaine publication et toutes les suivantes.