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Rescapé du Bataclan : "J'ai vu le pire de l'humanité, et aussi le meilleur"

TEMOIGNAGE - Il s’appelle " Numéro 6". Comme 350 autres personnes, ce journaliste de 38 ans a été blessé dans les attentats du 13 novembre. Depuis sa chambre d’hôpital, il raconte ses jours et ses nuits qui défilent depuis ce jour maudit.

Anne-Laure Barret , Mis à jour le
"Numéro 6" dans sa chambre d'hôpital jeudi.
"Numéro 6" dans sa chambre d'hôpital jeudi. © JDD

Dans sa chambre d'hôpital, cet ancien collaborateur du JDD a l'épaule et l'âme en écharpe. L'ami avec lequel il était venu au concert est décédé dans l'attaque du Bataclan . Lui, qui a reçu une balle à l'arrivée des terroristes, se prépare à subir une nouvelle opération et des mois de rééducation. Pour remercier son sauveur, un policier, mais aussi les soignants et ses proches, il a accepté de nous raconter la douloureuse semaine qu'il vient de passer. Un témoignage dédié à son "pote" Christopher.

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"Je ne regarde pas ma plaie"

"Mon bras est mort. Je viens de me casser la gueule et des gens me piétinent. Je hurle : 'Aidez-moi, je ne peux pas me relever.' Depuis que la fusillade a commencé vendredi soir, j'ai une obsession : avancer, aller de l'avant. Je ne regarde pas ma plaie. Trop peur de m'évanouir. Quelques instants plus tard, un type m'a ramassé. Je suis assis dans l'escalier à droite de la scène. Le gars me fait un point de compression pour arrêter l'hémorragie. 'T'endors pas, t'endors pas', me dit-il. Moi, j'ai mal, je ne sens plus mon épaule, je commence à être vraiment faible. Au plafond, une sorte de sas donne sur le toit. Je me retrouve comme un con sous la fenêtre. Comment grimper jusqu'à ce velux avec un seul bras? Des mecs hissent mes 83 kg par la main droite, du côté valide. Je n'arrive pas à tenir debout sur le toit en pente. Je crie : 'Traînez-moi.'"

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"Je ne vais pas mourir maintenant qu'on me sauve"

"Avec une quinzaine de personnes, on a réussi à se réfugier dans un bureau. Je suis installé sur un transat. Mon sauveur regarde ma blessure : 'La balle t'a traversé, tu vas t'en sortir.' Jamais cet homme, qui est flic, ne me laisse tomber. Il jure que ça coule moins. Il se relaie, avec d'autres, notamment une étudiante en médecine, pour comprimer ma blessure. Au bout d'un temps interminable, on entend une fusillade. Des explosions. Des bruits énormes de verre brisé, de pas dans l'escalier. 'Les flics donnent l'assaut final', assure mon ange gardien. Mais si les terroristes venaient simplement nous finir? Soudain, je suis sourd et aveugle. Mon épaule pisse un geyser de sang. La grenade flash des flics a pété à quelques centimètres de moi. Merde, je ne vais pas mourir maintenant qu'on est en train de me sauver. Le médecin du Raid , au regard empli de terreur, me bouscule comme à la guerre : 'Allez monsieur, il faut y aller.' Non, je ne peux pas prendre l'échelle comme les autres membres du groupe. On me pose dans un coin pendant que les autres descendent et je perds conscience. Trente secondes? Cinq minutes? Je suis le dernier à être évacué, entortillé dans une corde qui sert de nacelle de fortune. La descente est une horreur, je hurle tellement j'ai mal."

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"Je baigne dans une flaque de sang"

"'Celui-là, c'est une urgence absolue.' Le médecin du Samu, qui m'accueille à l'hôpital de campagne à côté du Bataclan, s'inquiète. Je me rassure comme je peux : si des organes vitaux avaient été touchés, je serais déjà mort. J'ai froid sur ma civière, torse et jambes nues. Je baigne dans une flaque de sang. Le trajet jusqu'à l'ambulance est un calvaire. Il y a tellement de blessés qu'il nous faut cinq minutes pour l'atteindre. À chaque changement de rythme, à chaque à-coup, à chaque arrêt, la douleur fusille mon épaule. Une fois dans le véhicule, ça continue. 'Molo, molo', dit le médecin au chauffeur lorsqu'il accélère et que je blêmis.

Qu'est-ce que c'est bon d'être arrivé à l'hôpital Pompidou! Il y a des blouses blanches partout. Est-ce que je vais m'en sortir? Plusieurs médecins me rassurent. On me demande mon nom. Je peux répondre mais pas prouver que c'est bien moi. Comme mes papiers sont restés au Bataclan, dans mon blouson en cuir troué par la balle, je suis enregistré sous X. Pour s'y retrouver parmi tous les rescapés anonymes, les infirmières nous recouvrent de numéros. Cette nuit, je m'appelle "Numéro 6". Le chiffre marqué au feutre noir est encore visible sur mon épaule droite, à peine effacé. Je me demande si je ne vais pas le faire tatouer pour de bon. Rien de vital n'est touché, c'est le scanner qui le dit. Dans quelques heures, je vais subir une première opération. Il va falloir nettoyer à l'intérieur de l'épaule, enlever les débris de balle, d'os, faire un état des lieux des ligaments et des muscles."

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Lire : Dans 7 hôpitaux, la longue nuit des blouses blanches

"Je n'ai pas de nouvelles de mon pote"

"Quand ma compagne me rejoint en salle de réveil samedi midi après l'opération, j'explose en sanglots. Je m'autorise enfin à admettre que je n'ai pas de nouvelles du super pote avec lequel j'étais au concert. J'ai un mauvais pressentiment. Le docteur explique que la tête de mon humérus a disparu. Il va falloir me poser une prothèse dans une dizaine de jours, le temps que ça cicatrise un peu. C'est une chirurgie de vieux pour une blessure de guerre. On me monte dans une chambre. Qu'il est bon ce premier plat de coquillettes…

L'hôpital est un cocon, je suis traité comme un pacha. Il y a deux boutons magiques à portée de ma main droite : celui de la pompe à morphine et un autre pour appeler l'infirmière. La psy passe un quart d'heure, ce dimanche soir. Ça fait du bien de lui parler. Je demande la télé. Je reste branché sur BFM et iTélé. J'ai envie de savoir, de tout comprendre."

"On m'a fait un test de grossesse dans la nuit"

"Lundi, on me transfuse. L'infirmière qui jette un œil à mes analyses sanguines est amusée : la nuit de l'attaque, on m'a fait un test de grossesse. Dans la confusion, l'anonyme Numéro 6 a été pris pour une femme. Plusieurs fois, je redemande à ma compagne si elle a des nouvelles de mon pote. Je vois bien qu'elle me protège de la vérité mais j'essaie d'y croire quand même. Lundi, elle est bien obligée de m'avouer qu'il est mort : sa femme et sa fille sont à la porte de ma chambre. La petite a réussi à joindre son père dans son cercueil du Bataclan. Il a eu le temps de lui dire : 'Je t'aime. Papa est blessé, je te rappelle.'

Son corps est à l'institut médico-légal, je vais sortir pour assister aux obsèques. Dès qu'on me parle d'indemnités pour mon épaule, je m'énerve. Je ne veux pas d'argent, je veux qu'on s'occupe de la fille de mon ami. Qu'elle est forte cette enfant, qui fait des blagues pour nous consoler. Moi, la journée, j'essaie d'amuser la galerie sur Facebook mais la nuit, je me réveille en pleurant. Je fais des cauchemars de dingue, comme si j'étais plongé dans un film d'horreur japonais. Est-ce un effet secondaire de la morphine ou la perte de mon pote?"

"Je reçois Marisol Touraine en caleçon"

"Il est 22 heures, mercredi soir. Je suis en caleçon sur mon lit tellement la chambre est chauffée, à mater Le Meilleur Pâtissier sur M6. 'Une délégation veut vous voir', prévient l'infirmière. Avant que j'aie le temps de comprendre, la directrice de Pompidou déboule dans ma chambre avec Marisol Touraine . La ministre veut savoir si j'ai été bien pris en charge. Je n'ai que des éloges à faire sur les équipes de l'hôpital et du Samu. J'en profite pour glisser quelques mots à propos de mon sauveur. Il faut lui trouver une affectation à la hauteur de son courage. Comme les soignants, mon ange gardien, qui est passé me voir dès samedi et que ma compagne a souvent au téléphone, trouve que tout ce qu'il a fait est tout à fait normal."

"On avait confiance en la vie"

"Abaaoud est mort. J'aurais préféré qu'on l'arrête et qu'il balance d'autres mecs même s'il est probable qu'il se serait tu. Je connais sa biographie par cœur comme celle des barbares qui l'accompagnaient. Est-ce que je suis en colère? Je ne sais pas. Tout à l'heure, j'ai fait une attaque de panique. Du coup, j'ai redemandé la morphine que j'avais stoppée. Je suis moins soulagé qu'en janvier quand les frères Kouachi se sont fait buter car je sais que ça va recommencer. Au Café du Bataclan, devant nos pintes de bière, avec mon pote, on avait parlé de cette menace terroriste. Et puis on avait conclu, en fumant des clopes, qu'on avait confiance en la vie. Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à savourer vraiment la joie d'avoir survécu, au-delà de petits plaisirs comme un hamburger de Big Fernand? Ce n'est pas vraiment à cause de ma blessure même si le parcours va être long : plus jamais de sport, un an de rééducation après la pose de la prothèse et, tous les quinze ans, une nouvelle opération pour la changer. Non, je pense à mon pote et j'ai encore du mal à m'autoriser à être heureux. La seule chose qui m'apaise, en plus du soutien de ma famille et de mes amis, c'est d'être en contact avec les autres rescapés. J'ai vu le pire de l'humanité mais aussi le meilleur."

Source: JDD papier

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