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Les héros improvisés du 13 novembre

Ils s’appellent Myriam, Sylvain, Mohamed…Le jour des attentats à Paris, ils ont ouvert leur porte, se sont arrêtés dans la rue pour abriter, soigner, réconforter.

Par , , , et

Publié le 18 novembre 2015 à 14h57, modifié le 20 novembre 2015 à 18h50

Temps de Lecture 10 min.

“J’ai sans doute secouru l’une des premières victimes de cette nuit d’horreur”

Véronique Le Coq, infirmière urgentiste

Véronique avait terminé sa garde à l'hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement de Paris. Après avoir porté secours à une femme touchée par balle dans la rue, elle est retournée aux urgences pour s'occuper des blessés.

La journée avait été dure. Ce vendredi 13 novembre, 86 patients avaient défilé aux urgences de l’hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement, à deux pas du Carillon et du Petit Cambodge, le lieu du premier attentat. L’ordinaire d’une journée d’infirmière. A 21 h 15, c’est donc avec la fatigue de huit heures de travail soutenu que Véronique Le Coq, 28 ans, se dirige tranquillement vers le métro Goncourt.

Portable collé à l’oreille, en grande conversation téléphonique avec une amie, elle entend pourtant une première rafale de tirs, puis une seconde. Un bruit inhabituel, des passants soudain apeurés qui parlent de fusillade. La jeune femme, en poste au service des urgences depuis deux ans, comprend « tout de suite qu’il se passe quelque chose de grave ». Une poignée de minutes plus tard, le drame prend les traits d’un jeune homme affolé. Sa grand-mère vient d’être touchée par une balle, rue Bichat.

A même le trottoir, les réflexes de l’infirmière prennent le dessus. Sécuriser la blessée atteinte aux deux bras et à l’abdomen, appeler les secours déjà débordés, trouver un brancard… Avec l’aide d’un pompier de passage et du petit-fils de la victime, elle transporte la vieille dame aux urgences. « Il était 21 h 34, tout semblait s’être arrêté, le silence et le froid étaient comme tombés soudainement sur la ville. J’ai secouru sans doute l’une des premières victimes de cette nuit d’horreur. »

A l’hôpital, une blouse médicale enfilée à la va-vite sur son manteau, elle reprend aussitôt du service. Sa « seconde journée » finira à 3 h 30 du matin. Avec une vraie satisfaction : aucune des 27 victimes des attentats prises en charge par Véronique et ses collègues cette nuit-là, à l’hôpital Saint-Louis, ne sont mortes. C. Ro.

 

“Il fallait aider les gens à s’entraider”

Sylvain Lapoix, journaliste, créateur du hashtag

Sylvain a initié le mot-clé et l'opération Porte Ouverte sur les réseaux sociaux.

Sylvain Lapoix n’a rien vu des attentats. Ce vendredi 13 novembre, il est rentré chez lui, dans le nord-est de Paris, à 19 h 15. Ce journaliste pigiste de 32 ans avait bien un dîner prévu près de la place de la République, pas très loin du Bataclan, mais il est tombé à l’eau. Ça ne l’a pas empêché de se rendre utile depuis son canapé.

Frustré de son dîner annulé, Sylvain se rabat ce soir-là sur un plat de spaghettis au potimarron qu’il vient de cuisiner. Alors qu’il s’apprête à immortaliser son assiette sur les réseaux sociaux, son attention est attirée par un message : une fusillade aurait éclaté au Bataclan. Quelques recherches sur Twitter et il se rend compte de l’étendue grandissante de la tragédie, dans les 10e et 11e arrondissements. Il se sent alors démuni, comme tant de gens. « Je ne suis ni secouriste ni pompier », raconte-t-il. Mais il travaille sur le Web et il a une bonne connaissance des réseaux sociaux. Il fait rapidement un constat : d’un côté, des gens cherchent un refuge, de l’autre des personnes en offrent un. Il décide alors de les connecter : il suggère aux internautes la géolocalisation de leurs tweets et facilite la recherche en imaginant le hashtag #PorteOuverte, dont la formulation est « rassurante parce qu’elle évoque la main tendue ».

En deux heures seulement, ces mots-clés vont être utilisés plus de 200 000 fois, incitant de nombreux Parisiens à ouvrir leurs portes à des inconnus apeurés. Sylvain Lapoix soutient n’avoir rien fait d’héroïque, il associe sa démarche à ce qui est pour lui le but même de sa profession de journaliste : « Aider les gens à prendre des décisions éclairées, et à s’aider entre eux. » Alors que les réseaux sociaux sont souvent accusés d’être les supports du narcissisme et des sources de ragots, ils ont joué là un rôle essentiel. Depuis, Sylvain et plusieurs de ses amis ont aussi lancé le hashtag #ParisDoitResterUneFete, encourageant les gens, en ligne comme en ville, à reprendre possession de la capitale. A. Pf.

 

“On a fermé la cuisine et on a fait de la place aux secours”

Rodolphe Paquin, restaurateur

Rodolphe a accueilli des victimes de la prise d'otage du Bataclan dans son restaurant du 11e arrondissement.

Trois jours après la funeste soirée du 13 novembre, Rodolphe Paquin est à pied d’œuvre dans son restaurant Le Repaire de Cartouche, dans le 11e arrondissement. Essuyant une tache invisible sur son comptoir en béton ciré, il répond à l’extraordinaire en s’accrochant pudiquement à sa routine de chef cuisinier. La vie continue. Et la vie ici, ce sont des terrines, des frites maison, du gibier de saison. En ces lieux, la résilience a la saveur d’une crépinette de pied de cochon.

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Vendredi, vers 21 h 45, cette table française traditionnelle a été brutalement renversée par une foule angoissée. « Une première personne est arrivée. Elle était dans un tel état de choc qu’elle ne pouvait pas parler. On ne comprenait pas. » S’échappant du Bataclan par une sortie de secours, passage Saint-Pierre-Amelot, près d’une quarantaine de personnes se réfugient en quelques minutes au Repaire de Cartouche. Le chef fait ce qu’il estime devoir faire. « Le service du soir s’est arrêté là. On a fermé la cuisine. Et on a fait de la place aux secours. »

Comme beaucoup d’établissements de la rue Amelot, le Repaire de Cartouche possède un double niveau et une seconde sortie donnant sur le boulevard des Filles-du-Calvaire. « Les pompiers nous ont demandé de faire de la place à l’étage pour trier et prendre en charge les blessés, et les policiers ont ordonné de fermer les grilles en bas. » Rodolphe Paquin parcourt du regard la salle parfaitement dressée : « Il y avait des gens allongés par terre un peu partout. »

Le restaurateur fait ce qu’il peut. Il sert des verres d’eau. Un peu de vin aussi, et quelques digestifs. « Ça n’a pas été la beuverie. Un type est même arrivé avec son pack de bières et m’a demandé s’il pouvait en boire. Finalement, il a tout laissé là, derrière le comptoir, et il est rentré chez lui en courant dès que les policiers nous ont laissés sortir », raconte-t-il. Depuis vendredi, Rodolphe Paquin n’a pas regardé la télévision. Ces événements trop près de chez lui, il les met pour l’instant à distance. J. Gu.

 

“Je me suis dit qu’on allait venir nous tuer”

Caroline Condamin, habitante du 11e arrondissement

Caroline et Amine ont ouvert les portes de leur immeuble à des victimes de l'attaque du Bataclan.

En rentrant chez elle, vendredi 13 novembre, Caroline et Amine croisent un jeune homme en larmes sur son scooter. « Il disait : “Ils sont tous morts, ils sont tous morts”. Nous avons cru qu’il avait été témoin d’un accident de voiture. » Mais quand ils arrivent au pied de son immeuble, passage Saint-Sébastien, près du Bataclan, ils voient des gens paniqués. « Cachez-vous, un fou nous tire dessus ! », crie un homme. Amine ouvre la grande porte bleue de l’immeuble et un petit groupe de cinq à dix personnes s’engouffre dans l’entrée. Très angoissée, Caroline se met à l’abri dans la cour intérieure avec la plupart des rescapés. « Ils essayaient d’appeler leurs proches. Ils avaient vu des choses atroces. » Le pire est à venir. Soudain, débouchant de l’entrée, un type demande des compresses et du désinfectant. « Je me suis dit : pourquoi du désinfectant ? » Un homme venait d’être amené dans le hall. Caroline est montée chez elle, a pris des compresses, de la Biseptine. Mais l’homme est mort dans les bras de son compagnon. Un pompier a vite évacué le corps. Amine ne souhaite pas témoigner, trop choqué. « C’est pourtant lui le héros. Sans lui, je me demande si j’aurais pu laisser la porte ouverte pour faire entrer les victimes », avoue Caroline. Un petit groupe s’est installé dans son appartement, devant la télévision. « L’assaut n’était pas encore donné. On entendait toujours des rafales, des explosions. Je tremblais comme une feuille. Je me suis dit que quelqu’un allait venir et nous tuer tous. J’avais honte de penser ça. Je regardais mes nouvelles baskets dont j’étais si fière quelques heures plus tôt. Je me suis dit qu’elles n’avaient plus aucune importance, que je ne voulais pas mourir, que j’aimais la vie, que je voulais vivre à tout prix. » La nuit est passée comme ça : huit personnes et un teckel dans 15 m2, devant la télévision, jusqu’à 3 ou 4 heures du matin. T. D.

 

“Un policier a pris le temps de me serrer la main. Ça m’a touché”

Mohamed Moumni, chauffeur de taxi

Chauffeur de VTC,  Mohamed a raccompagné gratuitement chez elles des personnes piégées par les attentats.

Depuis cinq mois, Mohamed Moumni est chauffeur de VTC pour Uber. Un plombier contraint à la reconversion parce que son audition devenait déficiente. Ce vendredi 13 novembre, pourtant, traversant le 11e arrondissement, il perçoit assez distinctement les premières détonations pour filer se mettre à l’abri chez lui, en Seine-Saint-Denis. Et le voilà, comme tant de Français, scotché à son téléviseur. Ahuri. Effrayé. Emu aux larmes. Impuissant. Mais, à 1 h 30 du matin, il décide de charger des packs d’eau dans sa voiture et de retourner à Paris. Pour se rendre utile à tout prix. Près du Bataclan, il invite à son bord cinq personnes restées confinées durant des heures dans la cave d’un restaurant, et les ramène chez elles, une à une, gratuitement. « Ces gens n’arrêtaient pas de me remercier. Mais beaucoup d’autres que moi aidaient ce soir-là! » A l’aube, un policier qui le voit distribuer à tour de bras ses packs d’eau lui confie un ex-otage du Bataclan résidant dans les environs de Fontainebleau. « Il a vérifié mon identité, ma licence de VTC, c’était normal. Puis il a pris le temps de me serrer la main, ça m’a touché. Quand on s’appelle Mohamed, on a plus souvent l’habitude d’être regardé avec une sorte de méfiance... » Une couverture de survie sur le dos, « l’air traumatisé », son passager se confie. « Il m’a dit comment les terroristes avaient essayé à plusieurs reprises de pénétrer dans la pièce où il était barricadé, en se faisant passer pour le RAID. » Mohamed écoute, gêné de ne pas trouver les mots justes pour apaiser. « C’était difficile ». L’arrivée est encore plus émouvante. « Il a rejoint sa femme enceinte qu’il avait essayé de rassurer, au téléphone, durant toute la prise d’otages. J’imaginais la peur qu’elle avait eue. » Le chauffeur est reparti éreinté, luttant pour ne pas s’endormir au volant. P. Kr.

 

“Voilà mon islam : ouvrir une porte à des gens qui ont peur”

Myriam Daoudi, infirmière

Myriam, de passage chez sa mère, a abrité et soigné des blessés chez elle.

Myriam Daoudi a longuement hésité avant d’accepter de témoigner. Que personne, surtout, n’aille imaginer qu’elle se considère comme une héroïne… Cette infirmière en gériatrie, née en France de mère bretonne et de père tunisien, ne s’est laissée convaincre qu’avec l’espoir de bousculer, ne serait-ce que d’un iota, les préjugés qu’elle sent monter contre sa religion.« Voilà mon islam, pose celle qui porte le voile en dehors du travail, ouvrir une porte à des gens qui ont peur. »

La quadragénaire est en visite chez sa mère, dans le quartier de son enfance, tout près du Bataclan, lorsque les premières détonations éclatent. De la fenêtre, elle aperçoit des cavalcades, des blessés. « On n’a pas réfléchi. On leur a dit de monter se mettre en sécurité chez nous. » Dix, vingt puis jusqu’à trente personnes investissent son deuxième étage. Quatre sont blessées. Des éclats de projectiles dans le corps, une entorse, une éraflure de balle au crâne. Le sang coule. Les pompiers ne répondent pas. La mère de Myriam et deux de ses sœurs « gèrent » comme elles peuvent ses quatre enfants et cet hôpital d’appartement. Les douleurs, les pleurs et l’affolement. Elles désinfectent, compriment les plaies à la serviette de toilette, calment, éteignent la télé trop anxiogène, offrent douche et possibilités de recharger les téléphones portables, café, cigarettes et chocolats. Elles écoutent, surtout. « Un jeune homme était assis sur le canapé, tétanisé. Il pensait que sa sœur était morte… A un moment, il a reçu un message d’elle. Il a repris espoir avant de comprendre que ce message était ancien, en fait. L’horreur... » Faute de réponse à ses appels au secours téléphoniques, Myriam descend dans la rue alpaguer des pompiers, qui emmènent les plus meurtris. Les autres restent terrés chez elle jusqu’à 2 heures du matin. Quand la conversation roule sur l’islam, elle se sent « mal à l’aise », obligée de se justifier. « J’aime le ciné, les voyages, les macarons, la vie. Mais, quand j’ai décidé de porter le voile, en 2000, parce que j’évoluais dans ma foi, des gens m’ont dit dans la rue que j’étais la honte de la France », se souvient l’infirmière. Ses réfugiés d’un soir, qui l’appellent tour à tour pour dire leur gratitude, sont d’un autre avis. P. Kr.

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