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5 questions sur le gaspillage alimentaire

L’Assemblée a voté, avec retard, l’interdiction pour les grandes surfaces de jeter leurs invendus. En voici les conséquences.

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Publié le 10 décembre 2015 à 15h03, modifié le 13 décembre 2015 à 12h49

Temps de Lecture 6 min.

Une femme fait ses courses dans un supermarché de la marque Auchan, à Saint-Sébastien-sur-Loire, près de Nantes,  le 27 décembre 2012.

La lutte contre le gaspillage est sur le point d’entrer dans la loi. Dans la nuit de mercredi 9 et jeudi 10 décembre, les députés ont adopté, à l’unanimité, une série de mesures pour lutter contre le gaspillage alimentaire. La proposition de loi, présentée par le député de la Mayenne Guillaume Garot (PS), ancien ministre délégué à l’agroalimentaire, et cosignée par plus de 300 députés de tous bords, a obtenu l’aval de l’ensemble de la gauche, de l’UDI et des Républicains. Elle devrait être présentée au Sénat début 2016, en vue d’une adoption définitive. Explication, en cinq questions, de ce phénomène qui a un coût économique et environnemental élevé.

  • Que contient la proposition de loi ?

Le texte reprend des dispositions destinées à empêcher les grandes surfaces de jeter de la nourriture et de rendre leurs invendus impropres à la consommation. Ces mesures avaient été introduites dans la loi sur la transition énergétique mais censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. Cependant, pour son rapporteur, Guillaume Garot, sa « visée est beaucoup plus large ». Il instaure une hiérarchie des actions à mettre en place par chaque acteur de la chaîne alimentaire pour éviter de jeter de la nourriture : prévention du gaspillage, puis don ou transformation pour la consommation humaine, valorisation pour l’alimentation animale ensuite, et enfin compost pour l’agriculture ou valorisation énergétique.

Il est désormais interdit aux grandes et moyennes surfaces de plus de 400 m² de jeter de la nourriture invendue encore consommable. Dans l’année qui suit sa promulgation, la loi impose aux commerces de signer une convention avec une ou plusieurs associations « précisant les modalités selon lesquelles les denrées alimentaires leur sont cédées à titre gratuit ». Il est aussi interdit aux distributeurs de « délibérément rendre leurs invendus alimentaires encore consommables impropres à la consommation », par exemple en les javellisant, sous peine d’une amende de 3 750 euros avec « affichage ou diffusion de la décision ».

Les industriels de l’agroalimentaire peuvent quant à eux désormais faire don des produits de marque de distributeurs refusés. Aujourd’hui, une palette de produits refusée, parce qu’elle arrive une heure en retard ou qu’un pack est mal étiqueté, doit obligatoirement être détruite alors même que la qualité sanitaire des produits n’est pas remise en cause. Chaque année, quelque 4 000 tonnes de produits laitiers sous marque de distributeur (ou « marque maison »), soit plus de 30 millions de pots de yaourt, sont ainsi détruites.

La lutte contre le gaspillage alimentaire fera en outre désormais partie de l’éducation à l’alimentation durant le parcours scolaire. Et les entreprises pourront inscrire leurs actions de lutte contre le gaspillage dans leur rapport Responsabilité sociale et environnementale (RSE).

  • Quelle est l’ampleur du gaspillage alimentaire dans le monde et en France ?

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime qu’un tiers de la part comestible des aliments destinés à la consommation humaine est perdu ou gaspillé dans le monde. Cela représente 1,3 milliard de tonnes par an, soit plus de 160 kg par an et par habitant. Le coût direct de ces 1,3 milliard de tonnes de nourriture perdues ou gaspillées s’élève à 1 000 milliards de dollars (soit 143 dollars par personne).

En France entre 90 et 140 kg de nourriture par habitant sont perdus chaque année sur l’ensemble de la chaîne, de la production à la consommation. Chaque Français jette lui-même à la poubelle entre 20 et 30 kg de denrées, dont 7 encore emballées. Soit une perte évaluée entre 12 et 20 milliards d’euros par an.

  • Qui gaspille le plus ?

Le gaspillage alimentaire à l’échelle mondiale a lieu, selon la FAO, pour 54 % durant les phases de production, de manutention et de stockage. Et pour 46 % aux stades de la transformation, de la distribution et de la consommation.

Dans les pays en développement, les pertes ont lieu essentiellement au cours de la production, du transport et du stockage, faute d’outils et d’infrastructures suffisantes et adéquates. En revanche, dans les pays riches, le gâchis se fait majoritairement à la consommation. En Europe et aux Etats-Unis, le consommateur est le premier responsable du gaspillage alimentaire. D’après une étude de 2010 de la Commission européenne, les foyers seraient à l’origine de 42 % des déchets alimentaires en Europe, au coude à coude avec l’industrie agroalimentaire (39 %), les restaurants et autres services alimentaires (14 %) et le commerce et la distribution (5 %).

  • Quel est l’impact environnemental du gaspillage ?

Selon une évaluation de la FAO de 2013, le gaspillage alimentaire est responsable du rejet de 3,3 gigatonnes de gaz à effet de serre par an. C’est l’équivalent du 3ème plus grand émetteur mondial de gaz à effet de serre, après la Chine et les Etats-Unis. La nourriture produite et non consommée occupe 1,4 milliard d’hectares de terres (près de 30 % des terres agricoles mondiales) et engloutit chaque année 250 km3 d’eau, soit le débit annuel du fleuve Volga en Russie ou trois fois le lac Léman.

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Plus la perte d’un aliment se produit tard dans la chaîne, plus l’impact environnemental est élevé, souligne le rapport de la FAO, car les coûts environnementaux occasionnés durant la transformation, le transport, le stockage et la préparation doivent être ajoutés aux coûts initiaux de production.

  • Pourquoi a-t-on pris du retard pour régler ce problème ?

Si des associations, des entreprises, des collectivités, des citoyens mènent depuis des années des actions contre le gaspillage, le secteur du commerce et de la distribution notamment s’est toujours montré hostile à un cadre législatif qu’il juge « inutile » et « source de nouvelles contraintes ».

Le sujet est sur la table de l’Europe depuis plusieurs années, mais les avancées sur le front législatif se font attendre. En 2012, le Parlement européen a appelé la Commission à prendre des mesures urgentes pour diminuer de moitié le gaspillage alimentaire avant 2025. Cet appel a été pris en compte par Bruxelles dans le paquet économie circulaire proposé en 2014. Cependant, ce paquet, qui table sur un objectif de réduction du gaspillage de 30 % à échéance 2025, a été retiré par la Commission européenne en janvier dernier. Il est censé être réintroduit avant la fin de l’année 2015.

En France, en juin 2013, Guillaume Garot, alors ministre délégué à l’agroalimentaire, reprenait l’objectif du Parlement européen de réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025 et lançait un Pacte national de lutte conter le gaspillage alimentaire. Visant à travers 11 mesures à enclencher une dynamique auprès de la grande distribution, des industriels, des associations et des consommateurs, ce pacte a permis une prise de conscience sur ce sujet dans la société.

Deux ans plus tard, en avril 2015, le même Guillaume Garot, redevenu député, appelait, dans un rapport remis aux ministres de l’agriculture et de l’écologie, à l’adoption d’une loi sur le gaspillage alimentaire, jugeant que les « bonnes volontés ne suffisent plus ». Plusieurs dispositions proposées par le député de la Mayenne destinées à empêcher les grandes surfaces de jeter de la nourriture et de rendre leurs invendus impropres à la consommation ont été introduites dans la loi sur la transition énergétique et ont recueilli l’approbation unanime des députés et des sénateurs. Mais le Conseil constitutionnel les a censurées le 13 août, jugeant qu’elles résultaient d’amendements introduits au cours de la deuxième lecture de la loi, sans lien direct avec celle-ci.

Sur ces entrefaites, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a invité fin août, non sans mal, les enseignes de la grande distribution à signer une « convention d’engagement volontaire en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire » reprenant les mesures qui figuraient dans la loi de transition énergétique. C’était sans compter sur la persistance de Guillaume Garot qui, soutenu par une large part des députés de tous bords, déposait en novembre une proposition de loi.

Avec ce texte qui permet de « bâtir un cadre légal contre le gaspillage », « la France deviendra le pays le plus volontariste d’Europe en ce domaine », estime Guillaume Garot.

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