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Licencié pour faute grave pour avoir menti sur son CV

Un arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre a validé le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait menti lors de son recrutement. Dans certains cas cependant, la justice reconnaît au candidat un certain droit au silence et même au mensonge.

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Publié le 10 décembre 2015 à 20h19, modifié le 11 décembre 2015 à 12h18

Temps de Lecture 6 min.

En 1999, dans une affaire où l’employeur s’était rendu compte trois ans plus tard que son salarié avait donné des informations inexactes sur ses diplômes au moment de son recrutement, les juges ont estimé que celui-ci avait acquis de l’ancienneté et fait ses preuves et donc que le licenciement n’était pas justifié.

Les CV truqués, enjolivés, voire mensongers seraient devenus monnaie courante à en croire une étude réalisée par le cabinet de conseil en recrutement Florian Mantione en février 2013. Il en ressort que 75 % des CV seraient trompeurs, que 33 % des candidats s’attribuent « souvent » ou « toujours » un faux diplôme, que 64 % mentent sur la durée de précédents postes et 50 % sur leur rémunération actuelle. Que risque un candidat si ses petits arrangements avec la vérité sont découverts ?

Si certaines approximations ou enjolivements sont généralement tolérées, d’autres risquent de lui faire perdre sa crédibilité et la confiance du recruteur. Mais si jamais le mensonge est plus grave, par exemple un faux diplôme ou une expérience professionnelle fictive, les dangers sont plus importants.

Tout d’abord, dans le cas de profession réglementée, le risque est élevé. En effet, un médecin, un avocat, un architecte ou encore un expert-comptable est tenu de posséder un diplôme pour exercer. Si ce n’est pas le cas, il peut être poursuivi en justice (au pénal) pour « faux et usage de faux » ou « illégalité d’activité ».

Trois ans de prison avec sursis

Les peines peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. En septembre 2014, le TGI de Versailles a ainsi condamné à deux ans de prison avec sursis le « faux » architecte Philippe L., reconnu coupable d’« escroquerie » et d’« usurpation de diplôme ». Il avait bien commencé des études d’architecte mais ne les avait jamais terminées… ce qui ne l’avait pas empêché d’exercer pendant trente ans.

De même, Chantal B., qui s’était prétendue psychologue alors qu’elle n’avait pas de diplôme, a été condamnée à deux ans de prison ferme, par le tribunal de Brive en mars 2013. Fin 2012, elle avait réussi à tromper la Fondation Chirac qui l’avait recrutée. La supercherie avait été découverte deux semaines après ses débuts grâce à son extrait de casier judiciaire. Celui-ci avait révélé qu’elle avait déjà été condamnée pour faux et escroqueries.

En dehors de ces cas précis, les risques juridiques sont variables. « Dissimuler ou mentir sur ses compétences est à double tranchant. Attention à l’effet boomerang, prévient Etienne Pujol, avocat en droit social. Un salarié risque éventuellement un licenciement pour faute grave si son mensonge a eu une influence déterminante sur la décision d’embauche ».

À noter que la notion de mensonge en tant que telle n’existe pas dans le code du travail. En revanche la loyauté et la bonne foi constituent des piliers du code civil français et des valeurs inhérentes dans l’exécution du contrat de travail. « Ainsi dès lors que la confiance entre l’employeur et l’employé a été rompue, cela peut constituer un motif de licenciement », indique l’avocat.

De l’imprécision à la fraude

En cas de mensonge indiqué sur un CV ou lors d’un entretien de recrutement, l’employeur peut licencier le salarié pour dol et manquement à son obligation de loyauté. En droit français des contrats, le dol consiste à recourir à des manœuvres frauduleuses destinées à tromper l’autre partie sans lesquelles celle-ci n’aurait pas contracté. Mais le dol n’est pas toujours retenu par la jurisprudence. « Il existe effectivement une frontière ténue entre des renseignements inexacts et un dol. Le curseur n’est pas toujours facile à établir. Les juges vont chercher à établir si l’élément mensonger a été un élément décisif dans le recrutement ou pas. L’employeur va devoir prouver que sans cette mention mensongère ou susceptible d’une interprétation erronée, il n’aurait pas recruté la personne », explique Etienne Pujol.

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En février 1999, la Cour de cassation n’a pas retenu le dol. Rappel des faits : une salariée avait été engagée comme responsable d’un centre d’étude de langue dans un organisme de formation. Dans son CV, figurait la mention suivante : « 1993 : assistance de la responsable de formation de Renault dans le service formation linguistique ». Or, l’intéressée n’avait eu, en fait, qu’une expérience de quatre mois dans le cadre d’un stage. Selon les juges, « la mention litigieuse, si elle était imprécise et susceptible d’une interprétation erronée, n’était pas constitutive d’une manœuvre frauduleuse ».

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En revanche, dans son arrêt du 25 novembre 2015, les juges de la Cour de cassation ont estimé que le licenciement du salarié pour faute grave fondé sur le dol était recevable car les allégations mensongères du candidat ont joué un rôle déterminant dans son embauche. « Le salarié avait, à trois reprises, volontairement dissimulé la réalité de sa situation professionnelle en faisant croire qu’il était engagé par l’entreprise Cisco dont l’activité consistait dans la vente de produits correspondant à la spécialisation de l’employeur et qu’il était avéré que la présence alléguée du salarié dans cette entreprise avait été déterminante pour l’employeur, la cour d’appel qui a fait ressortir l’existence de manœuvres dolosives pouvant justifier un licenciement, a légalement justifié sa décision ».

Protégé par la qualité du travail

Autre exemple plus ancien : afin de se faire embaucher dans une école technique privée, un candidat avait prétendu avoir suivi une formation à Sup de Co Bordeaux et être titulaire d’un DESS de relations économiques extérieures à Dauphine. Ces fausses affirmations ayant joué un rôle déterminant dans le recrutement, le salarié a été valablement licencié (Cass. soc., 17 oct. 1995, no 94-41.239).

Dans d’autres cas, les juges peuvent estimer que le mensonge n’est pas un élément si essentiel et que le licenciement ne se justifie que s’il apparaît que le salarié n’a pas les compétences nécessaires pour remplir ses fonctions. Les juges se placent à la fois sur le terrain de la loyauté et de la confiance, mais aussi sur celui des compétences.

Si la qualité de travail est jugée satisfaisante, le licenciement du salarié pour dol peut ne pas être retenu. Dans une affaire où l’employeur s’était rendu compte trois ans plus tard que son salarié avait donné des informations inexactes sur ses diplômes au moment de son recrutement, les juges ont estimé que celui-ci avait acquis de l’ancienneté et fait ses preuves et donc que le licenciement pour manque de loyauté au moment de l’embauche n’était pas justifié (Cass. soc., 30 mars 1999, no 96-42.912).

Dans ce cas, la justice a donné raison à l’employé et non à l’employeur, préférant se baser sur les compétences plutôt que sur les affirmations mensongères. « Pour que le licenciement du salarié pour dol puisse être justifié, l’employeur a intérêt à réagir vite après le recrutement » analyse l’avocat en droit social.

Le recruteur n’a pas tous les droits

Pour rappel, le recruteur est fondé à demander au candidat tous les éléments permettant « d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles ». Le Code du travail précise que « le candidat est tenu de répondre de bonne foi à ces demandes d’informations » (article L1221-6).

En revanche, le recruteur n’a pas le droit de demander des informations sans lien direct avec le poste à pourvoir ou qui ne lui sont pas nécessaires. Ainsi, la justice reconnaît au candidat un certain droit au silence et même au mensonge si le recruteur lui pose des questions « hors sujet », et donc illégales (par exemple « comptez-vous avoir des enfants bientôt ? »).

Par ailleurs, le recruteur est tenu d’informer le candidat des méthodes et techniques d’aide au recrutement qui vont être utilisées. Enfin, et bien qu’il s’agisse d’une pratique très répandue, « la vérification du profil d’un candidat via les réseaux sociaux personnels ou la collecte de données personnelles à son insu sont interdites », rappelle le Défenseur des droits dans son guide « Recruter avec des outils numériques sans discriminer ».

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