REGIONALES - Après la négociation des accords entre listes, les leaders politiques se livrent désormais à un autre rituel d'entre deux tours: les appels à la mobilisation des abstentionnistes. Le 6 décembre, 49,91% des électeurs sont restés chez eux. Soit 77.199 de moins que les 22,018 millions qui se sont déplacées. Ce vendredi est le dernier jour de campagne, la dernière occasion d'appeler au vote.
Il faut dire qu'avec un tel réservoir, chaque candidat pense logiquement qu'il peut grappiller quelques centaines ou milliers de voix supplémentaires, peut-être assez pour faire basculer la balance en sa faveur. A plus forte raison s'il peut agiter la menace du Front National.
Mais dans les faits, c'est plus compliqué. L'évolution de taux de participation entre deux tours d'un scrutin local est assez difficile à prédire. A vu d'oeil, elle semble baisser un peu aux municipales, stagner aux départementales, et augmenter un bon coup aux régionales.
Mais le contexte de forte poussée du FN interdit de calquer le scrutin du 13 décembre sur les précédents. En attendant de connaître le verdict des urnes, voici 5 raisons pour lesquels les candidats aux régionales ne devraient pas consacrer trop d'énergie aux abstentionnistes.
1. Les électeurs ne se laissent plus dicter leur choix
Le leader politique prescripteur de vote appartient au passé. Pour les spécialistes de l'abstention, il faut remonter aux années 70 ou 80 pour en trouver les dernières traces.
"D'une manière générale, ça ne marche pas. L'attachement à une formation politique est faible, la confiance aussi. Les électeurs veulent faire leur choix tout seul sans autorité morale", assure Jean-Daniel Lévy, directeur du Département Politique & Opinion d'Harris Interactive.
Sur ce point, la France est victime d'un syndrome générationnel. "Entre 65 et 70% des moins de 25 ans n'ont pas voté aux élections locales depuis 2012, explique Céline Braconnier, professeur de Science politique. Ce sont les 50/65 ans qui votent le plus. Ils n'y croient pas plus que les jeunes, mais la notion de devoir est plus forte."
Pour comprendre ce clivage, il faut regarder du côté de la massification de l'enseignement supérieur, selon Céline Braconnier: "La démocratisation scolaire a appris aux jeunes à douter. Ils sont aussi plus exigeants, ils veulent des résultats." Ils sont aussi mieux armés pour se forger leur propre opinion.
2. Ils se mobilisent d'eux-même si nécessaire...
Au-delà de la perte de prestige du leader politique, les électeurs sont capables de se mobiliser d'eux-mêmes en fonction des circonstances. Surtout quand le FN est en position de gagner. "La mobilisation de peur, c'est plus un réflexe de 2e tour que du premier", assure Céline Braconnier.
C'est d'autant plus vrai quand les électeurs du parti au pouvoir boudent le premier tour d'une élection intermédiaire, en signe de protestation.
Aux régionales de 2010, beaucoup d'électeurs de droite sont restés chez eux au premier tour, agacés par les frasques d'un Sarkozy période bling-bling. Face au raz-de-marée de la gauche, ils se sont remotivés pour le second tour. En vain, puisque les électeurs de gauche en ont fait autant.
3. ... mais les électeurs FN aussi peuvent se mobiliser davantage
En effet, la mobilisation des abstentionnistes du premier tour peut avoir des effets inattendus. "On ne sait pas si le FN a fait le plein de voix au premier tour, avertit Céline Braconnier, spécialiste de l'abstention à Science Po Saint-Germain-en-Laye. La grosse nouveauté des trois dernières élections locales, c'est que le FN a démontré une très forte capacité de mobilisation auprès de gens qui votent peu et pour des élections de moindre importance."
Alors que plusieurs régions sont à portée de main, le goût de la conquête pourrait mobiliser davantage d'électeurs du FN, diluant un éventuel regain à gauche et à droite.
4. Les abstentionnistes voteraient de doute façon comme les autres
D'après un sondage Ifop réalisé à l'issu des élections européennes de 2014, les intentions de vote des abstentionnistes étaient sensiblement les mêmes que les suffrages exprimés.
Du côté des abstentions, 24% auraient voté pour le FN si le vote était obligatoire, 22% pour l’UMP, et 14% pour le PS. Du côté des suffrages exprimés, le FN a fait 24,8% des voix, l’UMP 20,8%, le PS et ses alliés 13,98%.
5. Beaucoup d'électeurs se désintéressent des scrutins à répétition
Depuis l'élection de François Hollande, les Français ont été appelés aux urnes pour élire leurs députés, leurs maires, leurs conseillers généraux, leurs députés européens, et maintenant leurs conseillers régionaux. Un empilement de scrutins, dont les enjeux sont parfois mal compris.
"La réforme des régions n'a rien arrangé, il n'y a pas eu de pédagogie, estime Céline Braconnier, professeur de Science politique. Il est aussi incompréhensible que ce scrutin ait été déconnecté des élections départementales."