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« Nous ne pouvons laisser un nouveau crime de masse se perpétrer au Burundi »

Une équipe d’enseignants français revenant de Bujumbura appelle à « un sursaut d’honneur de la communauté internationale » pour venir en aide aux Burundais.

Publié le 18 décembre 2015 à 11h57, modifié le 18 décembre 2015 à 18h40 Temps de Lecture 4 min.

Le 18 décembre 2015, des militants protestent à Nairobi, au Kenya, pays voisin du Burundi contre la répression de toute opposition au pouvoir par les forces gouvernementales. Les derniers événements des 11 et 12 décembre ont fait au moins cent morts.

Vendredi 11 décembre, deux cents morts, sans doute, bien plus qu’au Bataclan. Morts auxquels il faut ajouter tous ceux qui, depuis début mai, ont péri sous des balles. Pour ce petit pays, c’est comme si mille personnes avaient disparu de France en un jour !

En 1994, une guerre civile éclatait au Rwanda dans l’indifférence d’un génocide annoncé. Le Burundi est peut-être dans le même danger mais là, nous pouvons faire quelque chose.

Le 26 avril était l’ultime journée de notre mission et nous avons quitté le Burundi après l’annonce de la candidature du président à un troisième mandat. Les rues étaient vides et les premières manifestations venaient d’être réprimées.

Une nouvelle fois, force est de constater que la folie humaine, obnubilée par l’argent et la recherche de pouvoir, existe au niveau mondial.

Confiance et amitié

Nous sommes une équipe pluridisciplinaire d’enseignants et nous avons accompagné plus de cent professeurs pour mettre en place une belle réforme du système éducatif burundais. Jusqu’en avril, le pays vivait dans une certaine stabilité et les projets de développement bénéficiaient d’un appui de la communauté internationale. C’est ainsi que, pendant deux ans, nous avons, dans la sérénité, la confiance et l’amitié, accompagné les concepteurs des manuels, des guides pédagogiques et du parcours de l’école fondamentale. Nous avons pu rencontrer des partenaires ouverts, réactifs et conscients des enjeux, autant chez nos collègues que chez les responsables du ministère de l’éducation. Nous avons travaillé dans des conditions de partage, de recherche de l’excellence pour les enfants du Burundi. L’investissement de tous dans une recherche, constante et partagée par les deux équipes burundaise et française, de l’apaisement en développant une éducation à la paix dans les cursus, de la foi en la capacité de la jeunesse burundaise à mettre en œuvre ces bonnes pratiques, et enfin, de notre conviction profonde qu’un des rôles d’une éducation bien pensée et bien accompagnée est le respect de l’autre.

Dans notre travail commun il n’y avait ni Blanc ni Noir, ni Hutu ni Tutsi, ni Burundais ni Français, il y avait seulement une grande équipe solidaire orientée vers un seul but : offrir à la jeunesse de ce pays l’école dont elle a besoin.

Le Burundi est un si petit pays à l’échelle de la planète que l’on oublierait son existence et les morts quotidiens qui y sont enterrés, enveloppés de la douleur de leurs proches. Mais qui peut rester insensible devant la peur qui creuse les visages, dans l’angoisse du lendemain ? Tout ceci dans l’indifférence des autres Etats, qui ne souhaitent pas intervenir dans ce pays voisin du Rwanda, où le génocide a pu être perpétré du fait d’une intervention trop tardive.

Le Burundi a été déjà déchiré par une décennie de guerres, mais les accords d’Arusha avaient permis une réconciliation, il y a dix ans.

Il ne faudrait pas que ce pays qui a déjà traversé des drames moins connus que la catastrophe rwandaise sombre à nouveau dans un chaos meurtrier.

Peur pour eux, leur famille, leurs enfants

A l’heure où nous écrivons, il est possible que certains de nos amis, avec qui nous avons partagé les séances de travail, les repas et les moments de détente, ne soient plus vivants. Nous recevons des messages d’autres amis qui sont cloîtrés chez eux. Leur peur suinte dans les quelques mots que nous recevons. Une peur pour eux, leur famille, leurs enfants. Une peur pour leur pays.

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Que restera-t-il de ce travail s’il n’y a plus de jeunesse ? Quel sera le futur de cette belle région si ses enfants continuent à mourir et à souffrir ? Quel avenir après la destruction de tant de vies ? Comment les futurs adultes pourront-ils survivre, penser, travailler si le massacre annoncé se précise ?

Oserons-nous fermer les yeux et dire, comme au Rwanda, que nous sommes arrivés trop tard ?

Oserons-nous nous regarder en face si de nouvelles atrocités sont commises dans cette région des Grands-Lacs ? La communauté internationale a déjà proposé des solutions. La situation n’est ni celle de la République démocratique du Congo actuellement, ni celle du Rwanda de 1994.

Guerre civile annoncée

Oserons-nous nous dire encore humains, citoyens du monde, républicains, si nous laissons ce pauvre, ce tout petit Etat à peine plus grand que le Koweït dans les souffrances d’une guerre civile annoncée, préparée, mise en œuvre dans le sang et les larmes ?

Oui, le Burundi est pauvre ! Oui, le Burundi n’a pas de pétrole ! Oui, le Burundi n’est qu’un point sur la carte du monde ! Oui, le Burundi est surpeuplé !

Mais le peuple du Burundi aspire à la paix et au respect de la vie.

Il faut un sursaut d’honneur de la communauté internationale pour que le sang de tous les Burundais ne rejoigne le flot des sangs versés pour rien.

Nous sommes solidaires de nos collègues et amis, mais nous sommes impuissants à les aider, nous sommes loin. Nous ne pouvons que crier aux habitants du monde qu’un crime est en train de se commettre sous leurs yeux et que, impudiquement, ils regardent ailleurs.

Signataires de l’équipe d’accompagnement des conseillers pédagogiques du Burundi :

Joël Lebeaume Professeur des universités, doyen de la faculté de sciences humaines et sociales, université Paris-V-Descartes Guy Ménant Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire Laurent Wirth Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire Jacques Toussaint Professeur émérite des universités, université Lyon-I Claude Dietrich Inspectrice pédagogique régionale, inspectrice d’académie, académie de Lyon Pierre-Yves Vicens Inspecteur honoraire de l’éducation nationale, chef des missions au Burundi Nathalie Magneron Maîtresse de conférences, vice-présidente du conseil d’administration de l’université d’Orléans, Emmanuel Lefèvre Professeur agrégé, formateur ESPE-Paris Fabien Jouan Professeur agrégé, formateur ESPE-Paris Olivier Massis Professeur, responsable de la délégation académique arts et culture, académie de Lyon Aurélie Talabard Professeur, membre de la délégation académique arts et culture, académie de Lyon Jonathan Dupain Conseiller auprès de l’ambassade de France au Honduras, premier chef de projet au Burundi Stephan Orivel Chargé de programme CIEP, deuxième chef de projet au Burundi Catherine Clément Chargée de programme CIEP-Paris, membre de la mission Burundi Agnès Foyer Chargée de programme CIEP-Paris, membre de la mission Burundi.

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