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Prime au mérite des policiers : un système encore opaque

Un fonctionnaire sur trois touche la prime de résultats, controversée depuis sa création en 2004. « Le Monde » a eu accès aux détails de sa répartition.

Par  et

Publié le 22 janvier 2014 à 11h24, modifié le 22 janvier 2014 à 19h42

Temps de Lecture 5 min.

Peut-on payer les policiers en fonction de leurs mérites ? C'était le pari de Nicolas Sarkozy, qui avait créé, en 2004, la « prime de résultats exceptionnels » (PRE). Dix ans après sa création, elle coûte 25 millions d'euros par an. Plus d'un tiers des fonctionnaires de la police nationale – pas loin de 50 000 personnes – ont ainsi touché entre 500 et 1 000 euros en 2013. On est loin des 5 millions d'euros débloqués en 2004 par M. Sarkozy, qui devaient récompenser seulement les 10 % les plus méritants des policiers.

Le Monde a eu accès au détail de la répartition de cette gratification et des motifs pour lesquels elle est versée. Des éléments inédits, qui éclairent la manière dont la police est gérée, entre tentatives de modernisation, contraintes syndicales et mystérieuses arcanes de l'administration.

Accordée, jusqu'en 2012, pour moitié à titre collectif (par services) et pour moitié à titre individuel, la prime de résultats était devenue à la fois le symbole de la course aux chiffres de l'époque sarkozyste et la marque d'une gestion opaque des gratifications par la hiérarchie.

A gauche, certains prônaient et prônent encore sa disparition, comme le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, spécialiste des questions de sécurité, Jean-Jacques Urvoas.

Elle est venue se surajouter à une rémunération déjà complexe des policiers, qui contient une part variable importante : l'indemnité de sujétions spéciales de police (ISSP) constitue ainsi 26 % de la rémunération des gardiens de la paix.

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Surtout, comme l'a révélé l'affaire Guéant, elle n'avait pas mis fin à la tradition policière des primes en liquide non déclarées, détournées des « frais d'enquête et de surveillance ».

Comme pour le reste, Manuel Valls n'a pas fait le choix de la rupture dans ce domaine. 2013 marque toutefois une inflexion importante : la remise à titre individuel a été réduite à la portion congrue, moins de 10 % des bénéficiaires au profit d'une distribution par équipe ou par service. Une manière de répondre aux critiques sur l'arbitraire hiérarchique. Pour le directeur général de la police nationale, Claude Baland, l'objectif est d'obtenir davantage de « transparence dans les critères d'attribution ». Des critères qui sont « plus difficiles à objectiver » dans le cas d'une prime individuelle.

ALLER À CALAIS POUR FAIRE DU CHIFFRE

Toutefois, pour compenser la (vraie, cette fois) disparition des primes en liquide, M. Baland a créé un nouveau critère, qui sera effectif en 2014 : la prime « en accompagnement d'une lettre de félicitations du directeur général ».

« La prime en liquide pour les belles affaires était une tradition profondément ancrée. Aujourd'hui, c'est clairement interdit. Mais je la régularise en ajoutant ce critère. Et cela sera désormais contrôlé et accordé par le directeur lui-même », défend-il.

Pour la prime collective, par service, l'administration fonctionne par strate, et, à chaque niveau, récompense les plus méritants. Prenons l'exemple de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), la plus grande, car elle chapeaute les 68 000 fonctionnaires des commissariats français (hors Paris et petite couronne).

En 2013, à l'échelon départemental, cinq directions ont été récompensées, chacune étant la « meilleure » dans une catégorie définie par le nombre d'habitants et l'activité : Essonne, Meurthe-et-Moselle, Manche, Doubs, Meuse. Le même processus se répète à l'échelon des circonscriptions : douze ont été récompensées, d'Argentan, dans l'Orne (50 fonctionnaires), à Lille-Agglomération (2 787 fonctionnaires).

Plusieurs indicateurs permettent de définir la liste des heureux élus, suffisamment divers, estime la direction générale de la police, pour éviter la course aux chiffres dans tel ou tel domaine. Sont ainsi mêlés le taux d'élucidation des vols avec effraction, le ratio affaires de stupéfiants/effectif du service, les délits routiers, les actes de police technique et scientifique, etc. Chez les CRS, les critères sont moins divers, et très liés aux statistiques pures et dures. « Il suffit de faire une vacation à Calais, d'interpeller beaucoup d'étrangers en situation irrégulière, ce qui n'est pas très dur là-bas, et on touche la prime », s'énerve un policier.

BELLES AFFAIRES ET... PROCHE DU CHEF

La deuxième grande catégorie est la prime par « petites équipes » qui se substitue à la prime individuelle. Selon un responsable syndical, des chefs de service contournent le problème, en constituant des « petites équipes bidons, avec des collègues qui ne travaillent pas ensemble mais qu'on souhaite remercier ». Le directeur de la police estime au contraire que « tout est fait dans le dispositif pour éviter les équipes de circonstance ».

Comment choisit-on alors les policiers récompensés ? Il y a les belles affaires, bien sûr, notamment pour la police judiciaire. De l'équipe qui a démantelé la bande du « Petit bar », aux interpellateurs de braqueurs des boutiques Le Manège à bijoux en Ile-de-France, la prime joue à plein son rôle. Il y a aussi, de fait, comme le dénoncent certains policiers, la proximité du chef : état-major, secrétariat de direction, cabinet, chauffeurs, etc. Les personnels administratifs sont d'ailleurs surreprésentés. Le critère de la zone de sécurité prioritaire (ZSP) ne joue pas un rôle déterminant : moins de 14 % des policiers qui touchent la prime « petites équipes » y officient.

Au final, tous les types de services sont représentés. « C'est un outil de management, rappelle M. Baland. Les chefs de service ont tout intérêt à la répartir de manière harmonieuse. » « On la répartit par service, proportionnellement, il y a aussi quelques beaux coups, puis les syndicats qui donnent leur avis, et enfin il y a un deuxième tour, confirme un directeur départemental de la sécurité publique. Ça sert à faire plaisir, ça met de l'huile dans les rouages. » Cette large diffusion de la prime explique la prudence des syndicats : un tiers des adhérents/sympathisants existants et potentiels la touchent aujourd'hui… Seul l'UNSA-Police (troisième chez les gardiens de la paix) se prononce franchement contre.

DES CRS QUI N'ONT PLUS DE CANTINE

Même les commissaires, qui bénéficient déjà d'un régime très favorable, grâce à leur indemnité de responsabilité et de performance, sont servis. Selon la DGPN, il n'est pas « opportun de les exclure des primes collectives », puisqu'elles récompensent justement « un travail collectif ». Et ils sont « très rarement bénéficiaires de la prime individuelle ».

En réalité, pas moins d'un tiers d'entre eux la touchent. Grands utilisateurs : en sécurité publique, le Nord et les Bouches-du-Rhône, et, à Paris, la direction de l'ordre public, ce qui n'est pas illogique après une année particulièrement agitée en terme de manifestations.

Il y a enfin les bizarreries, inhérentes à tout système aussi lourd à gérer. Ces CRS affectés à la direction centrale, qui constituent la moitié des policiers qui touchent le montant maximal, 1 000 euros. La raison officieuse ? Il faut compenser l'absence de cantine à un prix abordable.

Ces neuf policiers sanctionnés dans l'affaire de la BAC-Nord de Marseille et récompensés par la PRE dans leur nouveau service. Tout comme leur hiérarchie, pourtant contestée, et le commissaire de la « police des polices » qui a dirigé les investigations, tout autant contestées, contre eux. Parfois, la prime de résultats exceptionnels ressemble un peu à « L'Ecole des fans ». Tout le monde a la note maximum.

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