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Les coups de cœur 2015 du « Monde des livres »

Les membres de l’équipe du « Monde des livres » ont chacun choisi leurs trois ouvrages préférés de l’année écoulée.

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Publié le 21 décembre 2015 à 13h02, modifié le 04 janvier 2016 à 16h49

Temps de Lecture 15 min.

Les membres de l’équipe du « Monde des livres » ont chacun choisi leurs trois ouvrages préférés de l’année écoulée.

Jean Birnbaum

Roman. « Un amour impossible », de Christine Angot

De nouveau, le roman fait face à cette figure de la domination qui a propulsée Angot en littérature : le père incestueux. Mais cette fois, il élargit le champ, inscrit cette relation dans une séquence plus vaste, restitue le temps long de l’histoire familiale : la rencontre de ses parents à Châteauroux ; le bonheur qu’ils connurent à deux sans jamais vivre ensemble ; l’enfant qu’ils ont désiré ; la barrière sociale, haute, infranchissable que l’homme a sans cesse consolidée. Surtout, Christine Angot rend justice à la figure de sa mère, Rachel Schwartz. Avec une écriture d’une bouleversante simplicité, elle lui redonne présence et fierté, puissance de vivre et de décider. D’une histoire de pouvoir et de domination, elle fait le roman d’une liberté. Et préserve ce qui fait sa force : une certaine idée de la littérature comme vérité, de l’écriture comme courage.

Un amour impossible, de Christine Angot, Flammarion, 218 p., 18 €.

Roman. « A ce stade de la nuit », de Maylis de Kerangal

L’hospitalité est une nomi­nation. Accueillir l’autre, c’est lui ouvrir sa porte et l’appeler par son nom. Hospitalité désigne du même coup la vocation de l’écrivain. Maylis de ­Kerangal en sait quelque chose, elle qui noue si bien ensemble les territoires et les noms. Son livre prend la forme d’une ­rêverie nocturne sur un nom, justement : Lampedusa. Un soir d’octobre 2013, la narratrice est seule dans sa cuisine quand elle tombe sur un flash à la radio. Libye, embarcation, migrants, naufrage, hécatombe… Télescopant le réel et la fiction, Maylis de Kerangal prend sur elle les noms effacés. La narratrice se met à genoux pour chercher un livre, son cœur s’accélère, elle retourne écouter la radio et, au cœur même de son im­puissance, elle met en mouvement la plus intense des solidarités. En cet instant, la littérature se tient bien. De Kerangal bâtit un texte-refuge, comme il y a des villes-refuges.

A ce stade de la nuit, de Maylis de Kerangal, Verticales, 80 p., 7,50 €.

Biographie. « Roland Barthes », de Tiphaine Samoyault

A l’occasion du centenaire de la naissance de ­Barthes (1915-1980), Tiphaine Samoyault livre une lumineuse biographie de l’auteur des Fragments d’un discours amoureux. Avec clarté et sensibilité, elle brosse un portrait qui érige Barthes au rang des classiques. L’ouvrage a beau être imposant, il n’a rien de lourd ni d’intimidant, on s’y sent d’emblée à l’aise, comme transporté dans la petite cabane de jeunesse évoquée par Barthes à la fin de sa vie : « Enfant je m’étais fait une retraite à moi, cabane et belvédère, au palier supérieur d’un escalier extérieur, sur le jardin : j’y lisais, écrivais, collais des papillons, bricolais. » Un livre sensible et accueillant, donc, où l’on entre avec bonheur avant de s’installer pour de bon. Un espace chaleureux qui donne envie de prendre son temps pour caresser telle idée, goûter telle émotion, ­savourer l’instant vécu.

Roland Barthes, de Tiphaine Samoyault, Seuil, « Biographie », « Fiction & Cie », 720 p., 28 €.

Julie Clarini

Essai. « La Transparence et le reflet », de Serge Bramly

Brassant les cultures, les siècles et les continents, La Transparence et le reflet traque une esthétique particulière à l’Europe, définie par son attrait pour la lumière et la précision des contours, pour l’écart et la perspective. Cette remarquable intuition d’une parenté entre les qualités du verre et les formes d’une sensibilité, Serge Bramly l’étaye de chapitre en chapitre, la rendant toujours plus évidente. Les ferments en ont été semés, d’après lui, pendant l’Antiquité, mais c’est l’art du vitrail et de la mosaïque byzantine qui ont ouvert la voie royale. La Renaissance a parachevé cette ren­contre d’un matériau et d’une intelligence du monde fondée sur la réflexion. Non sans complexité  : le verre isole autant qu’il laisse filtrer la lumière, il détache autant qu’il transmet. Serge Bramly signe un livre limpide et passionnant, qui se clôt sur cette interrogation  : si aujourd’hui le verre nous habille, est-il encore notre habitat ?

La Transparence et le reflet, de Serge Bramly, JC Lattès, 560 p., 24,90 €.

Récit. « La Guerre de face », de Martha Gellhorn

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Quand elle débarque dans Madrid assiégée, en 1937, Martha Gellhorn (1908-1998), restée dans la légende américaine comme la première reporter de guerre, ne connaît rien de la dureté du monde et de la violence des armes. Et la voilà, fraîche et déjà acide, ramassant en quelques pages l’ambiance d’une ville soumise aux tirs des troupes franquistes. Une saynète, un paragraphe, deux au plus, et on passe à autre chose. Martha Gellhorn n’aime pas s’appesantir. Dans ce recueil d’articles enfin traduits, La Guerre de face, on comprend que sa façon d’être à la hauteur du drame, qu’elle soit plongée en pleine seconde guerre mondiale, dans la guerre des Six-Jours ou le conflit vietnamien, est toujours une affaire de rythme et de hardiesse, de sincérité et, curieusement, de sensibilité au climat. Martha Gellhorn est une paysagiste hors pair, dénuée de pathos, une journaliste courageuse (qui débarqua le jour J sur les côtes normandes) et incontestablement un écrivain à part entière.

La Guerre de face (The Face of War), de Martha Gellhorn, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina, Les Belles Lettres, « Mémoires de guerre », 506 p., 23 €.

Biographie. « Lévi-Strauss », d’Emmanuelle Loyer

Il fallait du courage pour se lancer dans la rédaction de cette première vraie biographie d’un des plus grands intellectuels français du XXe siècle, Claude Lévi-Strauss (1908-2009). Emmanuelle Loyer a relevé le défi. Historienne, spécialiste d’histoire culturelle, elle est la première à avoir exploité la quasi-totalité des sources disponibles et encore inédites. Son Lévi-Strauss est un parcours intelligent, sensible, dans l’itinéraire de ce grand penseur, où aucun des mille détails qui, dans leur cohérence ou leur incohérence, font une vie, n’est laissé de côté. Il restitue en outre avec brio la formation et les fondements de l’œuvre d’une extrême modernité que laissa cet homme dont la vie dura un siècle.

Lévi-Strauss, d’Emmanuelle Loyer, Flammarion, « Grandes biographies », 910 p., 32 €.

Raphaëlle Leyris

Romans. « Vernon Subutex » tomes 1 et 2, de Virginie Despentes

Ranimant le bon vieux principe de la saga, Virginie Despentes a proposé, avec les deux premiers tomes de Vernon Subutex, le projet romanesque le plus excitant de l’année, doublé d’une puissante fresque sociale. Sur les traces du testament vidéo d’une légende du rock, elle y dresse une galerie de portraits qui nous fait traverser Paris, passer d’un bord à l’autre du spectre politique et sociologique, pour explorer les sujets qui passionnent l’écrivaine : les formes de la domination sociale et sexuelle ; ce qui reste d’une génération quand elle a vieilli, perdu ses étendards et ses illusions. A la noirceur de l’électrisant premier tome succède un deuxième volume très différent, beaucoup plus lumineux, que l’on referme impatient de lire le troisième. Il est annoncé pour le printemps…

Vernon Subutex 1 et Vernon Subutex 2, de Virginie Despentes, Grasset, 400 p., 19,90 € chacun.

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Roman israélien. « Un cheval entre dans un bar », de David Grossman

Un soir d’août, Dovale monte sur la scène d’un club. Comédien de stand-up, il est là pour bombarder son public de plaisanteries plus ou moins fines. Entre deux blagues, il entame le récit d’un épisode de son adolescence : à 14 ans, alors qu’il était en voyage avec sa classe, on lui a appris la mort d’un de ses parents. Lequel ? On ne le lui a pas dit, et il a passé les quatre heures du trajet vers l’enterrement sans le savoir, en tentant de tourner son esprit équitablement vers son père et sa mère, pour s’empêcher de penser que la mort de l’un lui serait moins douloureuse que celle de l’autre. Tandis que le public du spectacle se clairsème, sous l’effet de ce déballage de souffrance, Avishaï, qui a connu Dovale à l’époque et ne l’a jamais revu depuis, restitue les propos du comique, qu’il entrelace à la description de la salle et à ses propres souvenirs et divagations autour de la mort de sa compagne. L’alliage de ces différents niveaux du récit fait la puissance d’Un cheval entre dans un bar, et lui permet d’être, outre un déchirant roman du deuil, un livre magnifique sur les strates d’êtres que l’on porte en soi. Un grand roman, d’un très grand écrivain.

Un cheval entre dans un bar (Souss ehad Nikhnass le-bar), de David Grossman, traduit de l’hébreu par Nicolas Weill, Seuil, 230 p., 19,50 €

Roman. « Les Prépondérants », d’Hedi Kaddour

C’était le temps des « films de cheikh », où Hollywood multipliait les longs-métrages sur des princes du désert. Certains furent tournés dans le Maghreb des années 1920, et c’est ce qui a donné à Hédi Kaddour l’idée des Prépondérants, son troisième roman, qui orchestre la rencontre, dans la petite ville imaginaire de Nahbès, entre trois mondes : celui des stars américaines, celui des notables français (qui s’autodésignent comme « les prépondérants », le nom de leur cercle) et celui des élites arabes de la ville. L’auteur du somptueux Waltenberg (Gallimard, 2005) fait revivre une époque cruciale de l’avant-décolonisation au fil de ce merveilleux roman d’amour et d’aventures dont l’élégance et l’alacrité sidèrent tout autant que la densité.

Les Prépondérants, d’Hédi Kaddour, Gallimard, 464 p., 21 €.

Florence Noiville

Roman italien. « Cris, murmures et rugissements », de Marcello Fois

Elles sont jumelles mais avec des personnalités opposées. Il y a celle, Alessandra, qui se donne des objectifs de réussite et n’en démord pas, et celle, Marinella, qui compose avec les aléas de la vie. Bien malin qui saurait dire laquelle des deux est la plus forte ou la plus friable. Surtout en ce moment, où elles viennent de perdre leur père – un père qui les avait abandonnées jadis… Ce jour-là, elles se retrouvent face à face dans son appartement vide. Un huis clos qui commence sotto voce mais va peu à peu sortir des rails. L’une pardonne, l’autre pas. On dirait d’ailleurs qu’elles n’ont pas eu le même père, ni la même enfance. Elles se sont construites l’une contre l’autre, dans le non-dit. Et, désormais, quelque chose s’est rompu, les noms d’oiseaux fusent. Cris et rugissements. « Bruits de bêtes et de volatiles en fuite. » Comme ceux qu’évoque le papier peint qui recouvre les murs de l’appartement. Une jungle étouffante où le danger est partout et où chaque sœur devient une proie possible pour l’autre…

Cris, murmures et rugissements (L’Importanza dei luoghi comini), de Marcello Fois, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Seuil, 160 p., 16,50 €.

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Roman indonésien. « L’Homme-Tigre », d’Eka Kurniawan

« Le soir où Margio assassina Anwar Sadat, Kyai Jahro était captivé par ses poissons dans leur bassin. » La première phrase du roman de l’écrivain indonésien Eka Kurniawan contient en germe tout ce que l’on va trouver dans L’Homme-Tigre. Un meurtre sauvage, de saisissants raccourcis, la présence somptueuse de la nature, et surtout un ton, engagé et détaché tout à la fois. Parce que, dit-il, il est possédé par un tigre, un tigre blanc dont la présence en lui se transmet de père en fils, Margio a tué – en sectionnant de ses dents la veine jugulaire – un notable. L’Homme-Tigre n’est pas un polar. On connaît dès le quatrième mot l’identité du meurtrier. Ce qui intéresse Eka Kurniawan, c’est de toucher du doigt le mobile. De faire plonger le lecteur dans le « désir de meurtre ». C’est là que le roman devient hypnotique. Dans cette fusion homme-animal féroce. C’est le côté volontairement primitif et brutal de la prose de l’écrivain, allié à la finesse des notations, à la poésie des images et aux odeurs, qui fait de cet Homme-Tigre un livre profondément troublant.

L’Homme-Tigre (Lelaki Harimau), d’Eka Kurniawan, traduit de l’indonésien par Etienne Naveau, Sabine Wespieser, 320 p., 21 €.

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Essai. « Partages », d’André Markowicz

Pour André Markowicz, « traduire c’est partager », et un traducteur est simplement « quelqu’un qui aime quelque chose qu’il veut partager ». Ainsi a-t-il une prédilection pour Facebook, où il a tenu pendant un an son « Journal d’un traducteur », aujourd’hui publié sur papier sous le titre Partages. Markowicz y réfléchit à des questions telles que « Qu’est-ce que parler une langue ? » ou « Qu’est-ce que transmettre ? ». Surtout, il dialogue avec ses « amis » et ne sent plus « seul devant la page blanche ». Cette manière de réfléchir ensemble rejoint les séances de « traduction orale » qu’il a inventées et où, devant un public restreint, il lit le texte en langue originale puis le commente « de toutes les façons possible ». Pour Markowicz – qui a notamment traduit toute l’œuvre de Dostoïevski et nombre de pièces de Shakespeare –, une traduction n’est jamais figée. Elle n’est même pas nécessairement écrite.

Partages, d’André Markowicz, Inculte, « Essais », 440 p., 21,90 €.

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Frédéric Potet

Roman. « En toute franchise », de Richard Ford

Revoilà Frank Bascombe ! Le héros de Richard Ford, rencontré durant Un week-end dans le Michigan, retrouvé dans Indépendance et Etat des lieux (L’Olivier), reprend du service pour quatre nouvelles. L’ancien romancier sans succès devenu journaliste sportif puis agent immobilier est désormais à la retraite, et les situations dans lesquelles Richard Ford le plonge sont l’occasion de faire émerger sa voix intérieure décomplexée, qu’elle évoque les états d’âme de Frank ou des sujets tels que la politique et la religion. Mais le romancier et son double multiplient aussi les réflexions amusées sur l’amitié, la vieillesse et la vie en général. En toute franchise est le portrait d’un « rescapé de l’existence », d’un monument de sincérité intérieure brute et de complexité – ce que nous sommes tous, nous dit Ford dans ce livre où l’humour le dispute à la méchanceté et la tendresse au désenchantement.

En toute franchise (Let Me Be Frank with You), de Richard Ford, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, L’Olivier, 234 p., 21,50 €.

BD. « Vive la marée ! », de David Prudhomme et Pascal Rabaté

La plage est un bonheur pour les amoureux de la profondeur de champ que sont les cinéastes et les auteurs de BD, à qui il suffit de regarder autour d’eux pour se régaler du spectacle sans cesse renouvelé des vacanciers en bord de mer. Chroniqueur des classes moyennes, Pascal Rabaté ne pouvait échapper à l’exercice sans y convier David Prudhomme, avec il commit La Marie en plastique (Futuropolis, 2006 et 2007). Les deux complices ont associé leur sens de l’observation et de la perspective pour un album aussi savoureux qu’un cornet de glace au soleil. Sans intrigue, son scénario est construit façon cadavre exquis : des personnages vont et viennent dans les cases, comme devant l’œil d’une « caméra » itinérante. Chaque page regorge d’inventions graphiques (trompe-l’œil, mises en abyme, hors-champ, jeux d’échelle…) et tout est matière à récréation : le motif d’un maillot de bain, le sourire d’un crocodile gonflable, le clap-clap des tongs… Bariolé et anarchique, ce « marabout de ficelle » en dessins fait de l’étendue sableuse un carnaval formidablement décomplexé.

Vive la marée !, de David Prudhomme et Pascal Rabaté, Futuropolis, 120 p., 20 €.

BD. « Tungstène », de Marcello Quintanilha

Métal lourd découvert au XVIIIe siècle, le tungstène a deux caractéristiques : sa couleur, qui varie du gris acier au blanc d’étain ; sa température de fusion (3 422 °C), la plus haute des éléments chimiques. En nommant ainsi son dernier album, Marcello Quintanilha nous promet un récit à l’image de la société brésilienne, métisse et brûlante. Le prétexte est, ici, un fait-divers d’une banalité tristement véridique : dans la baie de Salvador de Bahia, deux hommes pêchent à la dynamite sans se soucier de se faire remarquer. Erreur. Deux autres hommes, unis par une relation mystérieuse, observent la scène depuis un ancien fort militaire. Un troisième duo, composé d’un superflic et de sa fiancée, se mêle à l’affaire. Porté par des dialogues truculents, ce thriller tient davantage de la comédie humaine, d’où émergent des thèmes « graves » (violence quotidienne, précarité des grands centres urbains…). La rupture n’est jamais loin. Ce qui est dur casse facilement. Comme le tungstène.

Tungstène, de Marcello Quintanilha, traduit du portugais (Brésil) par Marie Zeni et Christine Zonzon, Çà et Là, 184 p., 20 €.

Macha Séry

Roman. « Six jours », de Ryan Gattis

Durant une semaine, à la fin du mois d’avril 1992, le quartier de Lynwood, à Los Angeles, vit des heures explosives. Profitant des émeutes déclenchées par l’acquittement des policiers ayant battu Rodney King, un Afro-Américain, des gangs latinos se livrent à des règlements de compte et des pillages. Ryan Gattis prête une voix à cette pègre des rues, auxquels il adjoint un sapeur-pompier, un ambulancier, une infirmière et un graffeur: soit dix-sept personnages racontant, à la première personne, une tranche de vie. L’écrivain comble un manque, en livrant, avec ce western urbain, galerie de vies gâchées, un grand roman sur les émeutes de 1992.

Six jours, de Ryan Gattis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, Fayard, 430 p., 24 €.

Roman noir. « La Quête de Wynne », d’Aaron Gwyn

Après le front irakien, le ranger Russel est appelé en 2004 en Afghanistan, sur demande expresse du capitaine Wynne, à la tête d’une unité d’élite stationnant au cœur des montagnes enneigées. Lui seul sera capable de dresser quinze chevaux sauvages, qui serviront à mener une expédition en territoire ennemi. Laquelle ? Le mystère plane, et Wynne semble jouer double jeu. Que l’auteur ait grandi dans un ranch n’est pas anodin. Autant que sa capacité à brasser les sentiments les plus extrêmes dans ce récit de guerre, sa description du monde sauvage est remarquable. Un très bon western littéraire doublé d’un roman de guerre sur le mode conradien d’Au cœur des ténèbres.

La Quête de Wynne (Wynne’s War), d’Aaron Gwyn, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Happe, Gallmeister, 308 p., 22,90 €.

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Roman. « Illska », d’Eirikur Orn Norddahl

Ce n’est pas le genre de livre dont on peut faire le tour ou mesurer les reliefs. De toutes parts, Illska (« le mal », en islandais) déborde le jugement, roman d’une grande liberté, constitué d’une multitude de ruptures de ton et de points de vue, de va-et-vient entre la seconde guerre mondiale et notre époque. En son centre, il y a Agnes, une thésarde de Reykjavik, d’origine lituanienne, qui étudie les mouvements d’extrême droite en Europe ; en 1941, ses arrière-grands-parents paternels ont tué, pendant les massacres de Jurbarkas, où furent assassinés les 2 000 juifs de la bourgade, ses arrière-grands-parents maternels. Cet épisode historique est narré en alternance avec le portrait de la jeune femme, tiraillée entre son compagnon, Omar, et son amant, Arnor, néonazi raffiné. Oscillant entre les registres tragique et comique, passant parfois par la bouffonnerie, Illska nous soumet des questions complexes, aiguise notre sens de l’observation, multiplie les digressions qui n’ont rien d’accessoire. Le résultat est virtuose.

Illska, d’Eirikur Orn Norddahl, traduit de l’islandais par Eric Boury, Métailié, 608 p., 24 €.

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