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Déchéance de nationalité : dans les coulisses d'une décision controversée

Manuel Valls explique au JDD la décision prise cette semaine par le chef de l’État. Les coulisses de la crise.

Laurent Valdiguié , Mis à jour le
Manuel Valls et Christaine Taubira, mercredi, lors d'une conférence de presse à l'Elysée.
Manuel Valls et Christaine Taubira, mercredi, lors d'une conférence de presse à l'Elysée. © Jérôme Mars pour le JDD

François Hollande a dû s'y reprendre à plusieurs fois pour la joindre. Ils se sont parlé dans la soirée de mardi. Au téléphone, apprenant que la réforme constitutionnelle contiendrait bien la déchéance de nationalité , Christiane Taubira a aussitôt réaffirmé sa loyauté au Président. Elle a aussi dû s'expliquer sur sa déclaration à une radio algérienne au cours de laquelle elle disait pourtant que cette question posait "un problème de fond sur un principe fondamental qui est le droit du sol". Ce mardi soir au téléphone, ­Christiane Taubira a certifié à François ­Hollande qu'elle a été "poussée dans ses retranchements" lors de l'interview et que, bien sûr, elle défendrait la décision prise. Un peu plus tôt, elle avait tenu rigoureusement la même ligne à Manuel Valls. "Christiane Taubira est quelqu'un d'extrêmement légitimiste", explique au JDD le Premier ministre.

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En clair, il n'a jamais été question de démission… Pas plus qu'elle aurait "négocié" son départ au Conseil constitutionnel lors du renouvellement de février prochain. "Depuis qu'elle a été nommée Place Vendôme, nous avons eu quarante-huit heures calmes, confie un proche de la ministre de la Justice. Passé ces deux premiers jours, les rumeurs de démission n'ont jamais cessé. Quant à la rumeur du Conseil constitutionnel, elle était déjà là il y a trois ans, et elle sera là dans trois ans, puisque le Conseil renouvelle ses membres tous les trois ans", ironise ce proche.

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Les attentats font partie du quotidien du Président

À l'Élysée, à Matignon comme Place Vendôme, tout le monde s'accorde à dire que la prise de position de la ministre sur la radio algérienne était "malvenue" et "maladroite". Un couac de communication donc, mais peut-être pas dû à la seule Taubira… Faute vraisemblablement partagée qui explique aussi que la ministre ne soit pas plus démissionnaire que démissionnée. Retour sur une semaine de crise.

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La phrase figure en toutes lettres dans le discours présidentiel de Versailles le 16 novembre dernier. "Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation […] même s'il est né français." "Le discours peut-être le plus important de tout le quinquennat", confie Valls au JDD. Devant le Congrès, Hollande lance donc l'idée d'une extension de la déchéance de nationalité à tous les binationaux. À ce jour le Code civil l'autorise pour les seuls binationaux qui ont acquis la nationalité française. À Versailles, trois jours après les attentats, silence dans les rangs à gauche et applaudissements debout. Puis le Conseil d'État mettra un bémol, en suggérant de limiter les cas de déchéance aux seules condamnations pour actes de terrorisme. Le rapport de la Haute Juridiction a été remis à l'Élysée le week-end du 13 décembre.

Que s'est-il passé depuis? "Rien dans ce que nous avons fait ou dit, le président de la République ou moi-même, n'a pu laisser penser qu'il y aurait eu un changement de ligne depuis le discours de Versailles", jure Valls. "Ce qui compte le plus, c'est de garder le cap du 16 novembre", martèle le Premier ministre. "Si le Président s'en écartait, il sortirait lui-même du cadre qu'il a fixé, c'est-à-dire l'unité nationale", ajoute-t-il, évoquant aussi "le serment de Versailles". Au palais présidentiel, même ­tonalité. "Il faut comprendre que les attentats font partie du quotidien du Président, indique son porte-parole. Le 24 décembre, il était au chevet de malades aux Invalides… Il est sur le qui-vive. En charge." "François Hollande nous répète souvent, sans sourire, que l'on vit sous la menace permanente d'attaques", confirme un des visiteurs réguliers de l'Élysée, façon de confirmer que la lutte contre le terrorisme est la colonne vertébrale de toute son action. Reste que la semaine dernière, à la chancellerie et à l'Intérieur, certains ont pu croire que le volet déchéance de nationalité allait être supprimé de la réforme constitutionnelle.

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"Il y a eu des débats dans ce sens, ce n'était pas évident de maintenir cette réforme d'autant qu'on sait qu'elle ne sert à rien pour lutter contre des attentats", confie une source proche du gouvernement. Manuel Valls dément avec énergie. Il concède que la mesure "a valeur de symbole" et reste sans portée contre d'éventuelles répliques. "Mais ce dispositif ne nous pose aucun problème sur le fond, insiste-t-il. Ceux qui prétendent le contraire se trompent. Cette déchéance est limitée aux seuls cas de personnes condamnées pour actes de terrorisme. Elle ne crée pas deux catégories de citoyens, puisque de toute façon ces deux catégories, binationaux ou pas, existent déjà."

"La France est en péril de paix"

Lundi, en fin de journée, ­Hollande et Valls ont évoqué les possibilités. "Il n'y en avait qu'une, ­l'esprit du 16 novembre", résume Valls. "L'article 1er de la réforme constitutionnelle avait été préparé et envoyé à la chancellerie en début de semaine", jure-t-on à Matignon, où personne "n'explique pourquoi Christiane Taubira a pu croire à un abandon du projet". François Hollande aurait pris la décision formelle lundi soir. Mardi matin, dans la confidence, Manuel Valls se retrouve autour de croissants avec le patron du PS, Jean-­Christophe Cambadélis , les chefs de file ­socialistes à l'Assemblée et au Sénat, Bruno Le Roux et Didier Guillaume, et Jean-Marie Le Guen, ministre des Relations avec le Parlement. Selon nos sources, hormis Guillaume, silencieux, les trois autres plaident contre le projet. Valls leur demande "la prudence". "Puisque tout le monde annonçait qu'on n'allait pas le faire, la prudence, cela voulait dire : "Attention, la décision n'est pas prise", décode Matignon. Il avait été décidé que le sujet resterait secret jusqu'au Conseil des ministres." Une version qui malmène les caciques du PS… jugés donc bien peu "étanches".

Quoi qu'il en soit, en sortant de leur petit déjeuner à Matignon ce mardi matin, Cambadélis, Le Roux et Le Guen sont bel et bien persuadés que la réforme sera ajournée. D'autant que, dans la foulée, l'interview de Christiane Taubira va dans ce sens. "D'après moi, Hollande a pris sa décision mardi seulement, après la polémique déclenchée ­involontairement par les propos de Taubira. Valls l'a convaincu qu'il ne pouvait pas reculer", jure au JDD une source bien informée. De fait, Hollande téléphonera à Cambadélis mardi après-midi pour lui annoncer sa décision. "Camba l'a aussitôt alerté sur le fait que ça allait coincer à gauche", raconte un proche du patron des socialistes. Mais selon cette source, le Président a pensé que le fait de "limiter la déchéance aux seules personnes condamnées pour actes terroristes allait éteindre toute polémique". Erreur. Le tandem de l'exécutif a-t-il sous-estimé les principes? "Une partie de la gauche s'égare au nom de grandes valeurs en oubliant le contexte, notre état de guerre, et le discours du Président devant le Congrès, confie au JDD le Premier ministre. La détermination est totale, nous irons jusqu'au bout, et que chacun à gauche en soit bien convaincu." Valls cite l'historien Pierre Nora : "La France est en péril de paix." Un chef du gouvernement lui aussi "habité" par les attentats. Et par la menace qui plane. "Quotidiennement", dit-il. "Que ceux qui critiquent cette décision se rendent compte…", souffle Manuel Valls. Le 16 novembre, François Hollande avait été entendu. Mais maintenant?

Source: JDD papier

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