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"Hollande se trompe en parlant de guerre" - Gilles Kepel

Gilles Kepel en 2012.
Gilles Kepel en 2012. © JOEL SAGET / AFP
Interview Elisabeth Chavelet , Mis à jour le

Spécialiste de l’Islam et du monde arabe contemporains, auteur d’une quinzaine de livres sur ces sujets, Gilles Kepel, professeur à Sciences Po, constate : «Jamais l’un de mes livres n’avait eu un tel retentissement». L’auteur de «Terreur dans l’Hexagone» (Ed Gallimard) livre, il est vrai, une analyse aussi documentée que musclée.

Paris Match. En décidant finalement d’appliquer la déchéance de nationalité aux binationaux condamnés pour terrorisme, mesure réclamée par la droite, François Hollande soulève un tollé à gauche. Cette mesure est-elle tout simplement efficace?
Gilles Kepel. Je ne le pense pas du tout. Les exemples sont là pour le démontrer : Djamel Beghal, djihadiste international, binational, a été incarcéré à Fleury-Mérogis où il a endoctriné à l’islamisme radical Amedy Coulibaly et Chérif Kouachi, les coauteurs des attentats du 7 janvier dernier. Ensuite il a été déchu de sa nationalité mais il est inexpulsable car l’Algérie refuse de l’accueillir. Depuis sa prison, il communique désormais avec la presse américaine pour livrer ses commentaires sur le djihadisme! 

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Votre livre s'appelle «Terreur dans l’hexagone». Vous y sous-entendez qu’en décrétant des mesures sous le coup d’une certaine émotion, François Hollande et son gouvernement risquent de tomber dans le piège de la peur que les terroristes nous tendent.
Tout à fait. Le titre du livre était prêt en octobre. D'aucuns l’ont jugé à l’époque «racoleur» voire «putassier». Aujourd’hui, j’estime qu’il est en dessous de la vérité. Oui, les islamistes cherchent à semer la terreur. 

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Dans son discours au Congrès , le chef de l'Etat a employé l'expression «guerre contre le terrorisme». Le mot est-il proportionné à la riposte qui s’impose?
Employer le mot «guerre» tel que François Hollande l’a utilisé est une erreur. La guerre se passe au Levant, avec des moyens militaires, dans le cadre de la résolution de l’ONU, ceci pour réduire le territoire de l’Etat islamique, incubateur du djihadisme. 

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Et sur le territoire français, que se passe-t-il alors?
Nous avons affaire à à des repris de justice fascinés par les armes et réassimilés dans une logique radicale. Ils emploient des méthodes de truands pour massacrer indifféremment, sans discernement, leurs victimes. Et ils justifient leurs massacres au nom de principes moraux. Problème : en tirant ainsi à l'aveugle contre ceux qui ont «pêché», ils tuent aussi des musulmans, en l'occurrence 10% des victimes du 13 novembre. Et là ils commettent une grossière erreur car ils mobilisent contre eux certains qui se seraient dissociés d'eux moins facilement. 

A lire : Marc Trévidic critique la déchéance de nationalité

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Est-ce un changement «radical» de leur méthode?
Un changement qui n’est pas en leur faveur. Les terroristes du 7 janvier avaient parfaitement ciblé leurs victimes : des intellectuels qualifiés d’«islamophobes», un policier apostat, des juifs. Du coup, après la grande manifestation du 11 janvier on a pu observer que tous les Français «n’étaient pas Charlie» et que pas mal disaient «Je suis Coulibaly». C'était la méthode des terroristes pour tenter de briser notre société. Rien de tel après le 13 novembre. Personne n’a dit «Je ne suis pas Bataclan» ou «Je suis Abaaoud». La quasi unanimité de nos compatriotes musulmans ont dit au contraire : «Ces tueurs-là sont nos ennemis». Et la société s’est ressoudée.

"J'ai voté Hollande en 2012 et je le regrette amèrement"

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Si le mot «guerre» est comme vous dites «contre-productif», quelle est la bonne formule?
Les autorités françaises semblent n'avoir pas compris que nous en sommes à la troisième génération de djihadistes, celle engendrée par les révolutions arabes qui ont accouché de territoires sans Etats, celle aussi nourrie par les réseaux sociaux et par l’incubateur carcéral. Nous n’avons pas affaire à une armée de djihadistes avec à leur tête des généraux et une stratégie, mais, je le répète, à des truands, la plupart d’un niveau intellectuel rudimentaire. Face à eux, il faut d'abord une police et des services de renseignement adaptés. A défaut de proportionner la riposte, on risque de viser au dessus de la cible et une fois de plus de la rater. 

Pensez-vous que les djihadistes, avec les attaques du 13 novembre, se sont affaiblis?
Il y aura peut être de nouveaux attentats. Mais le gain politique de ce 13 novembre va être compliqué pour eux. Je pense que le nombre de sympathisants, et donc de recrues, des terroristes va diminuer. Le mouvement a attrapé le virus de l'hyper violence qui risque d’être autodestructeur. 

Votre livre ne ménage pas les critiques aux politiques qui nous gouvernent. Que leur reprochez-vous?
Leurs entourages méprisent ceux qui étudient le phénomène djihadiste depuis 30 ans. J’ai voté pour Hollande en 2012 et je le regrette amèrement. Le rapport que j'ai rendu le 15 janvier dernier à Manuel Valls sur le monde musulman a été enterré par ses conseillers. Notre classe politique est coupée de la société. Ils ne comprennent plus la jeunesse. Et pour couronner le tout, ils méprisent l’université et l’éducation. Le premier tour des régionales et le score jamais vu du FN correspondent à un rejet massif de l’élite politique et des exécutants de la haute fonction publique. 

Voyez-vous Marine Le Pen gagnant les présidentielles de 2017?
Pour être présidentiable, encore faudrait-il qu’elle réagisse de façon moins hystérique. Publier sur son compte Twitter des photos de gens décapités pour montrer que le FN n’est pas Daech est totalement irresponsable.

Qui voyez-vous vainqueur à la présidentielle?
Celui ou celle qui se placera hors des jeux d’appareil.

 

 

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