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Arabie Saoudite, planning familial, jouets non genrés : un mois dans la vie des femmes

Un mois dans la vie des femmesdossier
Chaque mois, «Libération» fait le point sur les histoires qui ont fait l’actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Quatrième épisode : décembre 2015.
par Juliette Deborde
publié le 31 décembre 2015 à 17h28

Le tour du monde des bonnes nouvelles

Elles ne peuvent pas conduire, ni travailler, ni voyager sans l'autorisation de leur mari, mais elles ont eu le droit de voter et de se présenter à une élection pour la première fois. Vingt Saoudiennes, sur 900 candidates au départ, ont été élues aux municipales de décembre. Si l'Arabie Saoudite était le dernier pays à dénier à ses citoyennes le droit de vote, cette avancée a surtout une portée symbolique comme nous l'expliquions dans Libération : les femmes ne représenteront que 1% des élus, le scrutin n'a attiré qu'un faible pourcentage d'électeurs (et encore moins d'électrices) et les assemblées municipales n'ont que très peu de pouvoir.

L'armée américaine a annoncé l'ouverture aux femmes de tous les postes militaires «sans exception», y compris donc aux unités d'élite. De légers progrès aussi en Chine : l'Assemblée populaire nationale, l'équivalent du Parlement, a adopté il y a quelques jours une loi contre les violences conjugales alors que 30% des Chinoises en sont victimes selon la All-China Women's Federation (ACWF). Mais il reste encore des efforts à faire, notent les Nouvelles News : ce texte ne prend en compte ni les violences sexuelles ni les violences commises par les ex-conjoints, et exclut les couples homosexuels.

Le magazine américain Foreign Policy a aussi, pour la première fois, respecté la parité dans son classement annuel des «100 penseurs du monde», en mettant notamment à l'honneur la ministre suédoise Margot Wallström pour sa «politique étrangère féministe» et la maire de Paris Anne Hidalgo pour son engagement écologique. Quant à Serena Wiliams, elle a été élue «personnalité sportive de l'année» par le magazine américain Sports Illustrated. La joueuse de tennis est la première femme à recevoir cet honneur depuis l'athlète Mary Decker... il y a plus de 30 ans.

A la remise de son prix, la tenniswoman s'est fendue d'un très beau discours (à voir ici en fançais).

Touche pas à mon planning

«Les plannings familiaux sont des associations politisées qui véhiculent une banalisation de l'avortement», «L'affirmation que votre corps vous appartient est tout à fait dérisoire. Il appartient à la vie et aussi, en partie, à la Nation». Voilà le genre de phrases bien misogynes que l'on peut trouver sur le tumblr participatif «Femmes, le FN vous hait», repéré par Cheek Magazine, qui recense les déclarations sexistes prononcées par des membres du Front national. Vous en avez repéré une qui n'y figure pas encore ? Envoyez là à femmesjevoushais@gmail.com.

Certains candidats FN aux régionales ont aussi promis de supprimer les subventions versées au planning familial par les conseils régionaux s'ils étaient élus. Des féministes, des élus et des citoyens leur ont répondu dans plusieurs tribunes et lettres ouvertes et la blogueuse «Klaire fait grr» a publié une courte vidéo adressée à la députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen.

Une initiative qui lui a valu un déchaînement de commentaires racistes, misogynes et haineux. Auxquels elle a décidé de répondre en éditant un livre pour y compiler les plus violents et dont les bénéfices seront reversés au planning familial. Klaire a lancé une campagne de crowdfunding sur la plateforme Ulule et a récolté plus de 2 000 préventes. Bien joué.

Les bouquins du mois (qu'il ne faut pas tous lire)


«Nous devrions tous être féministes» : c'est le titre d'un essai de l'auteure nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, adapté de l'un de ses discours lors d'une conférence TED en 2013, et dont des extraits ont été utilisés dans le clip Flawless de Beyoncé. Dans un message vidéo, l'auteure explique : «Je suis féministe parce que je veux vivre dans un monde où une femme ne s'entend jamais dire qu'elle peut ou ne peut pas, qu'elle devrait ou ne devrait pas faire quoi que ce soit parce qu'elle est une femme. Je veux vivre dans un monde où les hommes et les femmes sont plus heureux. Où ils ne sont pas contraints par des rôles attribués à leur genre.» Le livre a même été distribué gratuitement à tous les lycéens suédois âgés de 16 ans pour «ouvrir la discussion sur l'égalité des sexes et le féminisme».

Académicienne, astronaute, mathématicienne… 200 femmes ont fait leur entrée dans la nouvelle version du Dictionnaire des créatrices, une initiative dont nous avions déjà parlé l'année dernière dans nos pages et qui vise à sortir de l'invisiblité les femmes qui ont fait et font le monde. On y trouve désormais dans la version ebook la résistante Geneviève de Gaulle-Anthonioz, la directrice de l'OMS, Margaret Chan, ou encore la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

Faut-il interdire un ouvrage qui présente une vision archaïque des relations hommes-femmes ? C'est ce que réclame une pétition pour le retrait de deux livres parus en France en novembre et signés de la journaliste catholique intégriste italienne, Costanza Miriano. Marie-toi et sois soumise et Epouse-la et meurs pour elle (oui, les titres sont véridiques) font l'«apologie de la soumission de la femme ainsi que d'un patriarcat archaïque» selon la pétition, mise en ligne sur Change.org, et qui compte plus de 22 000 signatures.

Les vidéos du mois

Le clip de cinq minutes, intitulé Dear Daddy, a été mis en ligne par l'antenne norvégienne de l'ONG CARE et vu pour près de 7 millions de fois. La vidéo, repérée notamment par les Inrocks, met en scène la vie d'une femme de l'enfance à l'âge adulte, et les formes de violences qu'elle pourrait subir au cours de son existence. Une fille qui n'est pas encore née s'adresse à son père, et à travers lui à tous les pères et futurs pères : «Je vais naître fille. Ce qui veut dire qu'à mes 14 ans, les garçons de ma classe m'auront déjà traitée de salope, de pute, de connasse, de plein d'autres choses. C'est juste pour rire, bien sûr. C'est typique des garçons, alors tu ne t'inquièteras pas. Et je peux le comprendre», dit-elle, pour montrer que le sexisme ordinaire est le premier pas vers la violence envers les femmes. «Ne laisse pas mes frères traiter les filles de pute. Parce que ce n'est pas vrai. Et qu'un jour, un petit garçon pourra penser que c'est vrai. N'accepte pas les blagues insultantes parce que derrière chaque blague, il y a toujours une part de vérité.»

Une version avec les sous-titres français est visible ici.

Si vous êtes anglophone, jetez aussi un œil au très beau court-métrage d'animation du New Yorker, lui aussi sur le sexisme ordinaire, à travers l'histoire d'une mère qui dit à sa fille qu'elle est «plus belle» avec du maquillage.

En décembre, on l'avoue, on a aussi failli verser une petite larmichette devant une pub pour jouets. Les magasins U, première enseigne a avoir publié un catalogue de jouets sans distinction filles/garçons en 2012, ont lancé une campagne «Noël sans préjugés», avec pour slogan : «Il n'existe pas de jouets pour les filles ou pour les garçons, mais des jouets, tout simplement». Ce qui a valu à l'enseigne un appel au boycott du souverainiste Philippe de Villiers et des partisans de la Manif pour tous (visiblement, il en reste encore).

Le chiffre du mois

17 : c'est le taux par lequel les condamnations pour violences conjugales assorties d'une peine d'emprisonnement ont été multipliées entre 2000 et 2012, selon un rapport de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publié en décembre. Un chiffre qui s'explique moins par la recrudescence de la violence au sein des couples que par la hausse du dépôt de plaintes «notamment sous l'effet de campagnes de sensibilisation» qui libèrent peu à peu la parole.

Le facepalm du mois

Consternation totale à la lecture d'une brève parue dans la Provence le 14 décembre et repérée par Arrêt sur images : «Marseille : prison avec sursis pour le médecin tripoteur», titre le quotidien local qui raconte sur un ton léger (et totalement inapproprié) le procès d'un praticien marseillais. Condamné pour «agression sexuelle» avec abus de pouvoir sur une patiente, il y est présenté comme «un audacieux généraliste» ayant «pouss[é] le bouchon un peu loin». Ce papier rédigé par un journaliste, qui intervient aussi auprès des étudiants en journalisme de Marseille, est un cas d'école sur la banalisation des violences sexuelles dans les médias, dénoncée par l'Observatoire de la Déontologie de l'Information.

La campagne du mois

«Monsieur le Président, notre mère a souffert tout au long de sa vie de couple, victime de l'emprise de notre père, homme violent, tyrannique, pervers et incestueux», écrivent les filles de Jacqueline Sauvage dans leur recours adressé à François Hollande pour gracier leur mère. Jacqueline Sauvage a été condamnée en appel au début du mois à dix ans de réclusion pour avoir tué son mari de trois coups de fusil dans le dos en 2012, après des années d'enfer conjugal. Jacqueline Sauvage vivait «comme un otage, dans un huis clos» selon l'une de ses avocates. Plus de 220 000 personnes ont signé la pétition relayant la demande de grâceLibération a aussi pris position en s'adressant directement à François Hollande en invoquant la légitime défense.

Dans la série il y a encore des progrès à faire

A Londres, le millionnaire qui affirmait avoir trébuché et pénétré une adolescente par accident (oui, c'était vraiment sa ligne de défense) a été acquitté. En Zambie, un violeur grâcié a été nommé ambassadeur pour les droits des femmes. Clifford Dimba avait été condamné en 2014 à 18 ans de prison pour le viol d'une adolescente avant de bénéficier d'une grâce présidentielle. L'ONU a appelé le gouvernement zambien à abroger la nomination. Au Pakistan, une femme de 32 ans a été tuée par son propre frère parce qu'elle avait voté. Dans le Tennessee, une femme risque la prison pour avoir tenté d'avorter seule. Le fœtus, grand prématuré né à seulement 24 semaines, a été maintenu en vie malgré ses blessures. Et enfin, alors que les revenus et les conditions de vie s'améliorent dans le monde, les femmes restent payées 25% de moins que les hommes, selon le rapport 2015 du Pnud, le Programme des nations unies pour le développement. Ah oui, et les femmes sont toujours aussi peu (et mal) représentées à la télévision, et c'est le CSA qui le dit.

Vous avez raté les épisodes précédents ? Séance de rattrapage en septembre, en octobre et en novembre 2015.

Pour aller plus loin :

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