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Agriculture

Au Burkina Faso, un laboratoire en plein air contre la désertification

Le 29 novembre, le Burkina Faso a élu un nouveau président, marquant l’espoir après vingt-sept ans de dictature. À 60 km de Ouagadougou, la capitale de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, la ferme expérimentale de Guiè développe des techniques innovantes pour stopper l’avancée du sable.

-  Guié (Burkina Faso), reportage

Il faut d’abord quitter Ouagadougou la poussiéreuse par la route de Kongoussi. Traverser le ballet agité des motocyclettes, le marché des portes de la capitale burkinabé, là où les dinas surchargés récupèrent le voyageur au milieu des étals pour l’emmener vers la province. Puis la route bitumée file droit vers le Nord, balayée par le souffle de l’harmattan, ce vent chaud et sec venu du Sahel. Le paysage est encore relativement vert en ce mois de novembre, début de la saison sèche. Mais au fur et à mesure du trajet, les touffes végétales s’espacent, jaunissent, laissant apparaitre à certains endroits des étendues de terre zébrées de couleurs allant de l’ocre vif au gris foncé. Puis il faut emprunter une piste. Au dernier carrefour, les arbres se multiplient. La route est encadrée d’eucalyptus et d’autres essences. Ils indiquent le chemin jusqu’à la Ferme de Guiè.

Crée dans le village du même nom, l’endroit est un lieu d’expérimentation de techniques agricoles depuis 26 ans. Son but : restaurer et refertiliser les terres désertifiées des régions sahéliennes. Changement climatique, hausse de la démographie, surpâturage, agriculture extensive, le phénomène s’est aggravé durant les dernières décennies. Pour l’endiguer, la Ferme de Guiè a mis au point un concept agricole : le bocage sahélien, wégoubri, en langue mooré. Bien connu en France, le bocage est un paysage de champs et de prés enclos par des haies. Il permet de retenir l’eau et de limiter l’érosion des terres, tout en créant des corridors biologiques et une source de bois.

Un « enfant du bocage »

« On construit des haies pour lutter contre la dégradation du sol et protéger les cultures du vent. Quand il pleut, ça permet d’empêcher l’eau de la mousson d’emporter tout, de garder la bonne terre. En plus les feuilles mortes fertilisent le sol, font de l’humus », explique Mariam Sampebgo, responsable de la pépinière, devant un parterre de petites pousses plantées dans des sachets plastique d’eau réutilisés. « Nous utilisons principalement deux arbustes : le Combretum micranthum et le Cassia sieberiana. Mais pour cela, il a fallu tester plusieurs essences. Car toutes ne sont pas adaptées. Au début par exemple, nous utilisions du Jatropha curcas. Jusqu’à ce que nous constations qu’il était décimé par les termites dans les sols appauvris », explique la femme à la chevelure finement tressée.

Les bâtiments administratifs de la Ferme de Guiè. Les six périmètres bocagers entourent la ferme.

L’histoire commence en 1989 lorsque Henri Girard, technicien agricole, et les paysans du village de Guiè posent la première pierre de cette ferme pilote. Ce Français alors âgé de 28 ans, originaire de la région bocagère de l’Avesnois, dans le Nord-Pas-de-Calais, et qui se définit lui-même comme un « enfant du bocage », a passé l’année 1987 au Burkina Faso – sac à dos sur les épaules et maigres économies en poche – à rencontrer des paysans. « Quand j’avais 12 ans, j’avais vu un reportage télévisuel sur la grande sécheresse qui frappait le Sahel en 1973 et la famine engendrée. Cela m’avait bouleversé. J’ai décidé qu’une fois adulte j’irai reverdir ce désert en formation », raconte l’homme – 54 ans aujourd’hui – que l’on retrouve plus tard dans sa maison de Ouagadougou.

Il s’était installé au village de Guiè, « plus facile que le Nord, le vrai Sahel », pour approfondir sa connaissance, et avait passé une année à observer les pratiques agricoles et la progression des zipélés, ces zones blanches gelées par la surexploitation où plus rien de pousse. « J’avais l’intuition qu’il fallait tester le bocage pour restaurer les terres. L’idée est de mettre en place un système qui crée un cadre favorable à la conservation durable du milieu », explique-t-il. La construction de la Ferme pilote fut lancée dans la foulée de la création de l’association burkinabé Zoramb Naagtaaba (AZN) par Henri Girard et les paysans de Guié, appuyée par l’ONG Terre verte côté France (établie au Burkina Faso depuis 2001). Le bocage a d’abord été testé à petite échelle pour être adapté au contexte sahélien.

Enrichir le sol et de doubler les rendements

Le premier grand périmètre bocager, celui de Tankouri, 100 hectares divisés en 23 parcelles, fut aménagé en 1998. « Il y a d’abord une haie mixte composée d’arbustes et de grillage qui entoure tout le site pour empêcher le bétail de détruire les cultures », explique Sosthène Nikiema, qui travaille pour Terre verte, en faisant visiter le bocage sous un soleil de plomb. A l’intérieur, chaque parcelle individuelle est délimitée par une haie vive, notamment composée des Combretum micranthum et Cassia sieberiana ou d’arbres comme l’eucalyptus, issus de la pépinière. Le tout est relié par des chemins. En contrebas de chaque champ, une mare récupère les eaux de pluie. Plusieurs techniques sont combinées dans le périmètre bocager. D’abord, le zaï, qui consiste à creuser un trou – pour concentrer l’eau dès les premières petites pluies – avant d’y déposer un mélange de compost et de terre, au bord duquel on sème la céréale (sorgho, mil). « Cela permet d’enrichir le sol et de doubler les rendements : on peut passer d’une production de 800 kilos de sorgho à l’hectare à 1.500-2.000 kilos. Mais, surtout, cela sécurise et stabilise le paysan, car la culture est moins sensible aux aléas », explique Seydou Kaboré, directeur adjoint de la Ferme de Guié.

L’ombrière de la pépinière, où peuvent être produit entre 10.000 et 30.000 plantules chaque année par les cinq femmes travaillant ici.

D’autres techniques complètent le système : « Pour préserver les sols, nous introduisons la rotation culturale : un année de céréales, une année de légumineuses, une année de jachère pâturée, permise par l’installation temporaire d’une clôture électrique à l’énergie solaire », complète Sosthène Nikiema. « Le concept mis au point est une compilation de mes connaissances du bocage en France et des savoirs-faire apportés par les paysans locaux. Par exemple, l’utilisation des haies n’étaient pas connue au Burkina Faso, même si on retrouve des bocages au Togo ou au Cameroun. Par contre, le zaï est une technique locale qui vient de la province du Yatenga, dans le nord-ouest du pays », explique Henri Girard.

Henri Girard, président de Terre verte et directeur et cofondateur de la Ferme de Guiè.

Mais les innovations agricoles éprouvées à la Ferme de Guié depuis 25 ans parviennent-elle à se diffuser ? « C’est dur de convaincre les paysans. Comment changer la façon de faire de quelqu’un qui a passé sa vie à cultiver de la même manière ? L’habitude est de choisir la solution de facilité », regrette Seydou Kaboré. Une difficulté d’autant plus importante que le projet ne bénéficie pas du soutien de l’Etat burkinabé ou d’institutions internationales. « Mais sur le terrain, les mentalités évoluent petit à petit : le zaï a par exemple été bien adopté dans la région », souligne Sosthène Niekema : « Quand les paysans voient que ça marche mieux dans le bocage que chez eux, ils y croient et veulent à leur tour tester les nouvelles techniques. »

Une parcelle où le sorgho vient d’être récolté, dans le bocage sahélien de Tankouri. Chacun des 23 champs est délimité par une haie, qui protège les cultures du vent, les sols de l’érosion, et dont les feuilles qui tombent au sol permettent la création d’humus.

Dès ses débuts, la Ferme de Guiè a mis en place un centre de formation des aménageurs ruraux (CFAR) pour « enseigner les techniques du bocage sahélien aux jeunes burkinabé afin qu’ils contribuent à les diffuser tout en donnant à ces derniers un chance d’étudier, puisque la formation est prise en charge par la Ferme », explique Salfo Soré, surveillant général du centre, dans la fraîcheur de son bureau, devant un tableau noir griffonné à la craie.

« Faire des pôles d’excellence »

« Nous recevons aussi des demandes de groupements de paysans qui veulent notre soutien pour aménager un périmètre bocager. Chaque site est une copropriété informelle organisée autour d’un groupement foncier formé par les bénéficiaires », dit Seydou Kaboré. Pour un périmètre bocager de 100 hectares, le budget n’est pas négligeable : environ 40 millions de francs CFA (autour de 61.000 euros), financé à 95 % par Terre verte grâce à ses donateurs (associations, fondations, particuliers). Le reste, l’achat des arbres et l’entretien du site, est à la charge des paysans. « Les partenaires butent assez vite sur le coût, reconnait Henri Girard, aujourd’hui président de Terre verte et directeur de la Ferme de Guiè, mais si vous voulez résoudre durablement le problème de la désertification, il faut mettre les moyens. » La ferme pilote fournit l’appui d’une équipe d’animateurs qui forment et suivent les paysans dans l’exploitation de leurs terres.

Salfo Soré, surveillant général du centre.

Aujourd’hui, la Ferme de Guiè regroupe six périmètres bocagers (un septième est en cours d’aménagement), qui représentent une surface d’environ 500 hectares, pour 176 familles de paysans copropriétaires. Et le concept a essaimé : on trouve deux fermes pilotes sur le même modèle à Filly (nord-ouest du Burkina Faso) et à Goèma (centre-nord du pays). Chacune est supervisée par un directeur affecté par Terre verte bénéficiant d’une certaine autonomie. Au total, 807 hectares de bocage ont été aménagés au Burkina Faso, pour 277 familles de paysans bénéficiaires. Et une quatrième structure est en cours de création à Barga (nord-ouest).

Une goutte d’eau dans un pays de 17 millions d’habitants, dont 80 % d’agriculteurs ? « Autour de chaque ferme pilote, la zone d’influence ne va pas plus loin que 10 km à la ronde, reconnait Henri Girard. Techniquement, le résultat que nous visons est très ambitieux. L’idée est plutôt de faire des pôles d’excellence dans le domaine agricole – les fermes pilotes – un peu à la manière des monastères durant le Moyen-Age en Europe, où les paysans puissent constater les bénéfices du bocage sahélien, s’y former, demander de l’aide pour aménager un périmètre, ou au moins s’inspirer pour mettre en place chez eux de nouvelles pratiques agricoles. » Un effet boule de neige pour reverdir les zones sahéliennes ?

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