INTERNATIONAL - Après une semaine de crise diplomatique dans le Golfe, dans le quasi silence des chancelleries occidentales, où en sommes nous ?
Beaucoup décriée comme banquier du terrorisme le régime de Ryad a multiplié ces dernières semaines les signes qui attestent de sa volonté de lutter contre un fanatisme criminel qui le menace ouvertement. Désormais à la tête d'une coalition, l'Arabie Saoudite vient d'exécuter 47 terroristes provoquant au passage une crise diplomatique avec son grand rival Iranien.
Opposée depuis l'origine au retour de l'Iran dans le concert des nations, l'Arabie Saoudite a peaufiné sa revanche.
L'Iran a répondu à la provocation calculée de l'exécution du Sheik Al-Nimr, par le sac de l'ambassade d'Arabie Saoudite, il n'en fallait guère plus pour enflammer toute la région. "L'Iran a répondu" mais quel Iran ? Les observateurs attentifs savent que l'Iran n'est pas uniforme ni univoque. Au delà de la tendance modérée du President Rohani, coexistent plus ou moins les partisans d'une ligne dure "hardliners", et conservateurs clairement opposés à la politique d'ouverture menée depuis 4 ans.
Une opposition complexe fondée sur des considérations économiques
Cette opposition, il faut le savoir à peu à faire avec des convictions religieuses, elle est fondée notamment sur des considérations économiques. Les gardiens de la révolution entres autres factions ont tiré des profits financiers considérables de la situation issue de 40 ans d'embargo, ont quelques difficultés à imaginer perdre leurs privilèges. L'Orient compliqué et la Perse méritent une analyse affinée, loin des clichés type clivage sunnites/chiites.
Le régime de Teheran semble jusqu'à aujourd'hui maîtriser l'escalade et la surenchère alors qu'un front se forme autour de l'Arabie Saoudite suivie dans sa politique de rupture diplomatique par ses voisins et amis. L'Iran interdit l'importation de produits saoudiens, et attend la punition Divine contre son grand rival. De ce côté du Golfe, la patience persane l'emporte... Et pour cause le President Rohani a tout à perdre d'une escalade.
Au plan économique, l'escalade fragilise l'ouverture du pays, elle fragilise aussi les conséquences économiques très fructueuses, prévisibles de la signature de l'accord sur le nucléaire.
Ceci est si vrai que le secrétaire d'Etat Kerry ne cesse de s'entretenir avec son homologue Zarif pour s'assurer que toutes les étapes de l'accord dont respectées.
Il est évident que cette situation peut ruiner totalement, si pas en droit dans les faits les effets bénéfiques de l'accord sur le nucléaire.
En effet imaginons la politique du pire de l'Arabie Saoudite et de ses alliés, imaginons que l'Arabie Saoudite décide d'un embargo sur l'Iran et par conséquent exige de ses partenaires commerciaux qu'ils cessent toutes relations avec Téhéran. Quelle entreprise dans le domaine énergétique ou autre prendra le risque de perdre le marché saoudien ou Qatari pour prospecter en Iran, pays aux structures bancaires et financières à épuisées par 40 ans d'embargo, dont la monnaie n'est pas convertible ? Quel pays occidental va risquer d'être blacklisté d'un marché acquis pour un marché potentiel ?
L'Arabie Saoudite toute puissante ?
L'Arabie Saoudite vient ainsi de procéder une piqûre de rappel de sa puissance économique en lançant le projet d'ouverture en bourse de la société pétrolière Aramco valorisée à plus de 1000 milliards de dollars et des réserves estimées à 15% des réserves mondiales soit plus de 265 millards de barils.
Le pays a pris la main sur le jeu des alliances dans le Golfe, jeu que les USA ont troublé en soutenant le retour de l'Iran dans le concert des Nations. La confiance dans son allié historique s'est altérée et reportée en partie sur la France. La preuve en a été l'invitation l'an dernier de Francois Hollande à la réunion du Conseil de coopération des pays du Golfe, véritable prouesse diplomatique.
En déclenchant cette crise diplomatique, avec la légitimité résultant de l'attaque de son ambassade, l'Arabie Saoudite va placer ses amis et partenaires devant un choix, être pour ou contre elle. Aucune médiation ne semble aujourd'hui possible, la Russie, l'Irak, la Turquie ont proposé leurs bons offices, en vain.
La diplomatie française adepte du "Wait and See"
Pour la France qui a clairement défendu les intérêts des monarchies du Golfe durant les négociations sur le nucléaire, quelles options ?
Il est à craindre que cette position ne soit pas tenable longtemps, en effet le President Rohani est attendu en visite officielle dans quelques jours en France. Dans la situation de tension actuelle, cette visite pourrait être très très mal perçue par nos alliés et partenaires du Golfe.
Son report serait un signe de faiblesse de notre diplomatie.
J'avais publié en 2013 un article sur l'échec des négociations entre l'Iran et les 5+ 1 intitulé: "le confort du statu quo." Ce statu quo d'isolement de l'Iran a pourtant été rompu par la signature des accords en juillet dernier.
Dans ce tsunami diplomatique et stratégique, l'Arabie Saoudite s'est sentie sans doute trahie par ses alliés historiques, et menacée dans sa souveraineté. Elle a donc pris le parti, de les mettre devant un choix de Sophie diplomatique et économique. Ce positionnement binaire, ne semble pas laisser, à ce stade de place à la médiation ou à la nuance. La défiance règne. Les rancunes et rancœurs historiques cumulées, théorisées s'expriment aujourd'hui. Une semaine après le début de cette crise diplomatique inédite, bien malin sera celui qui pourra en prévoir l'issue.