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Le hip-hop, une nouvelle danse classique

Sorti de la rue dans les années 90, le hip-hop français est entré progressivement en osmose avec la danse contemporaine. Porté par des danseurs et des chorégraphes créatifs, il bouscule et stimule l'écriture artistique.

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Par Philippe Noisette

Publié le 15 janv. 2016 à 01:01

La danseuse et chorégraphe Anne Nguyen est trop jeune pour se souvenir de «H.I.P. H.O.P.» l'émission diffusée par TF1 en 1984 qui marqua le début de la reconnaissance du hip-hop. Sidney, le présentateur, y invitait musiciens et danseurs breakeurs pour des démonstrations ou des «battles» d'improvisation. Et chacun chez soi de s'essayer maladroitement à cette nouvelle mode devant son poste. Anne Nguyen garde plutôt en mémoire le quartier des Halles de Paris où les apprentis danseurs hip-hop se retrouvaient. «Aujourd'hui, cela se passe plutôt au Centquatre», l'établissement artistique branché du 19e arrondissement à Paris, précise celle qui fut découverte en 2003 au festival Suresnes Cités Danse - dont la nouvelle édition débute aujourd'hui. Elle est désormais artiste-associée au théâtre national de Chaillot, l'une des plus importantes scènes de danse en Europe. Quel chemin parcouru... Son itinéraire est commun à cette génération d'artistes qui a révolutionné le genre et trouvé sa place sur toutes les scènes.

On est loin, très loin de l'éclosion des «danses urbaines» qui, du break au popping (voir encadré), deviennent, à New York ou Los Angeles, l'emblème d'une sub-culture propre aux grandes villes américaines des années 70. En France, la greffe s'opère facilement. Pour cette danse de rue sans école, les banlieues sont un terrain de jeu rêvé. «Au départ, beaucoup croyaient que le hip-hop serait un mouvement éphémère, lié à un contexte sociétal bien particulier», note Mourad Merzouki, chorégraphe pionnier du genre. Mais, à la différence des Etats-Unis, la France ne va pas se contenter de tomber sous le charme du hip-hop, elle va l'accompagner et finir par l'intégrer à l'univers du spectacle vivant. Après le grand boom de la danse contemporaine des années 80, la décennie suivante sera celle de la reconnaissance de ces danses venues de la rue. Et qui ont aujourd'hui pignon sur... scène.

Il suffit de passer une soirée à Suresnes Cités Danse pour comprendre ce que le hip-hop français est devenu: populaire et créatif. Olivier Meyer, directeur du théâtre de Suresnes, qui fut l'un des premiers à humer cet air du temps, analyse: «Au début des années 90, il y avait encore peu de spectacles et l'intérêt artistique n'était pas toujours au rendez-vous. Depuis, le nombre de créations s'est multiplié. Nous en sommes à la troisième génération de danseurs et de chorégraphes.» Autrefois simplement virtuoses, les performeurs sont devenus de véritables interprètes, capables de raconter des histoires et de faire passer des émotions. L'agilité de ces artistes qui passent d'un tour sur la tête à une gestuelle saccadée des bras dépasse la simple endurance: le hip-hop devient une écriture du mouvement. Ceux qui regardaient de haut, un rien condescendants, les danses urbaines ont changé d'avis. Le hip-hop est entré dans l'âge adulte.

Désormais, on assiste à des croisements avec la danse contemporaine et la musique classique: on danse sur du Bach, du Vivaldi et du jazz des années 20! A l'instar de celui de la Villette à Paris et de Montpellier Danse, le festival de Suresnes devient un de ces lieux qui parlent au public. «C'est une danse généreuse: l'énergie sur scène est contagieuse. Et puis ces chorégraphes ont le goût de plaire et savent faire des spectacles dans ce sens», plaide Olivier Meyer. Le hip-hop est avant tout une danse populaire et non-académique, les pratiquants et les publics s'y retrouvent facilement.

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«C'est touchant de voir ces jeunes artistes qui donnent tout avec attitude, émotion et talent», confirme Honji Wang, danseuse allemande d'origine coréenne, qui a commencé elle aussi par le hip-hop. Résultat, les stars comme Mourad Merzouki, Farid Berki ou Kader Attou font une centaine de dates par an en France et à l'étranger. Au risque d'une récupération et d'une institutionnalisation? Certains le craignent, oubliant au passage que ce sont des artistes de combat qui savent d'où ils viennent - le plus souvent des marges et des banlieues. «D'où peut-être une méfiance vis-à-vis de toute forme d'institution et une vraie capacité de résistance», plaide Olivier Meyer.

La création d'un diplôme spécifique fait d'ailleurs grimper au rideau les plus jeunes comme Anne Nguyen. Pas besoin d'une reconnaissance de plus à ses yeux. «Les subventions vont plutôt aux artistes qui sont à la croisée des esthétiques (ceux qui vont vers un hip-hop spectaculaire et facile d'accès, NDLR). Pour les autres, c'est plus dur. Ils ont du mal à trouver leur place. Parfois, ce qui manque, c'est d'être conseillé pour rédiger un projet, un dossier. Plus que d'apprendre à enseigner le hip-hop», affirme la chorégraphe. Un diplôme a sans doute des avantages. Comme encadrer la transmission de cette danse qui fracasse les vertèbres. «Il faut plus que jamais une connaissance de son corps. Mais la réglementation constante dans notre société peut limiter la créativité», ajoute Olivier Meyer.

Sébastien Ramirez, danseur et chorégraphe, voit, lui, les mentalités changer mais pas toujours aussi vite qu'il le voudrait: s'il constate des signes d'ouverture comme la programmation de sa compagnie sur la scène du Théâtre de la Ville, à Paris, il pointe des réticences ici ou là. «Aujourd'hui encore, on peut observer chez certains directeurs une frilosité pour programmer des formes artistiques nouvelles, hors-normes, malgré un réel intérêt des publics.»

Le succès et la créativité sont pourtant au rendez-vous: en 2015, Kader Attou a donné 70 représentations de ses deux dernières créations, The Roots et Opus 14 - des chiffres que n'atteindront jamais les deux tiers des chorégraphes contemporains. Car il peut s'appuyer sur le Centre chorégraphique national de La Rochelle, tout comme Mourad Merzouki. «Le hip-hop continue d'évoluer car il est animé par des artistes qui prennent des risques. C'est une pratique qui poursuit son évolution sur les plateaux de théâtre comme dans l'espace public, au sein des battles et des compétitions», constate Mourad Merzouki.

Virtuosité et formalisme

Pour Anne Nguyen, tout est arrivé en même temps, soit trois lieux partenaires, après des années à avoir des difficultés pour trouver des coproducteurs, des financements. Un chemin de croix commun à de nombreux jeunes artistes? Peut-être. Mais il est plus ardu pour certains débutants qui ne maîtrisent pas les codes du monde de la culture. Pour la danseuse, le déclic viendra de sa rencontre avec le chorégraphe contemporain Faustin Linyekula sur un projet initié par Suresnes Cités Danse: l'occasion pour elle de s'interroger sur pourquoi elle danse. «J'ai eu envie d'avoir des outils personnels, de créer mes mouvements.»

Sébastien Ramirez aussi a débuté comme breaker. Avant de se lancer en tandem avec Honji Wang dans l'aventure d'une compagnie - Wang Ramirez -, qui met en avant un hip-hop hybride se nourrissant de la virtuosité des danses de rue autant que du formalisme de la danse contemporaine. «Cet aspect hybride n'était pas réfléchi ou recherché, nous l'avons développé naturellement. C'était avant tout une expérience physique.» Les termes hip-hop ou contemporain ont des connotations très fortes, «comment s'y positionner clairement, y trouver notre identité? J'ai du mal à y poser des mots. Vous n'auriez pas une idée?» plaisante Honji Wang. Cet engouement pour un hip-hop flirtant avec la danse contemporaine demeure une exception culturelle française. Il y a des talents isolés en Corée, aux Etats-Unis, mais pas de courant de ce type. «Contrairement à la France, aux Etats-Unis, beaucoup de programmateurs considèrent le hip-hop comme une culture de show qui n'a rien à voir avec la création chorégraphique. Ce préjugé se lève petit à petit», lâche Sébastien Ramirez. Une certitude: en se frottant à la danse contemporaine, le hip-hop a gagné en rigueur. En s'ouvrant aux femmes, il a montré un visage plus complexe. Et tout simplement trouvé sa place dans la cour des grands.

Festival Suresnes Cités Danse, du 15 janvier au 8 février, 24e édition. www.suresnes-cites-danse.com

«Pixel» de Mourad Merzouki, en tournée à Suresnes, Fontenay-sous-Bois, Gap, Mérignac, Bayonne, Vélizy-Villacoublay, Sartrouville, Chartres, Soissons... www.ccncreteil.com

«Autarcie (...)» de Anne Nguyen, les 21 janvier à Haute-Goulaine (44), 2 mars à Brest, 31 mars et 1er avril à Saint-Ouen, 2 avril à Tremblay-en-France. www.compagnieparterre.fr

«The Roots» de Kader Attou, en tournée le 7 février à Noisy-le-Grand, du 24 au 26 février à Nantes, le 24 mars à Crusset (03), le 29 avril à Creil (60). www.ccnlarochelle.com)

«Borderline» de Sébastien Ramirez et Honji Wang, au Théâtre de la Ville, à Paris, du 22 au 25 mars. www.theatredelaville-paris.com

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De Madonna à Stromae, on se les arrache

Preuve de l'attraction des danses urbaines, les stars se disputent les chorégraphes en vue. Madonna la première qui, après avoir engagé Marion Motin sur une tournée, a commandé un tableau chorégraphié à Sébastien Ramirez pour son nouveau show. «L'équipe artistique de Madonna et elle-même nous a approchés pour cette collaboration. J'ai appris que plus de 5000 danseurs avaient été auditionnés entre Los Angeles, Paris et New York - c'est juste énorme!» confie Sébastien Ramirez. Quant à Stromae, il a fait appel à Marion Motin pour le mettre en mouvement dans ses clips ou sur scène. Avec un énorme succès à la clef.

Les danseurs et chorégraphes les plus en vue

Mourad MerzoukiPresque un ancien - il a lancé sa première compagnie Accrorap en 1989 -, Mourad Merzouki est sans doute le plus connu des chorégraphes hip-hop. Ouvert sur d'autres univers, il sillonne le monde avec ses projets, pilote le festival Kalypso en région parisienne où il est installé à Créteil à la tête du Centre chorégraphique national. Pixel, son dernier opus, est un succès plein.Kader AttouEnfant de Saint-Priest, dans la banlieue de Lyon, Kader Attou a fait partie de l'aventure Accrorap avec Mourad Merzouki. Ses créations Douar ou Petites histoires. com ont fait de lui une référence dans le milieu. En 2008, il a été nommé directeur du CCN de La Rochelle. Son nouveau projet le voit danser avec Andrès Marin, soliste espagnol exceptionnel venu du... flamencoAnne NguyenNon sans humour, cette breakeuse devenue chorégraphe a donné en 2005 à sa troupe le nom de Compagnie par terre! En 2007, elle crée Racine carrée. Puis, explore tous les styles du hip-hop dans des pièces remarquées comme Promenade obligatoire ou Autarcie [...]. Lauréate du prix Nouveau talent chorégraphie SACD 2013, elle est artiste associée au théâtre national de Chaillot. Marion Motinjusqu'ici on connaissait surtout sa soeur Margot, l'illustratrice. Mais en 2015, Marion a connu une année exceptionnelle. Ses chorégraphies des clips de Christine and the Queens ou du spectacle Résiste en ont fait une valeur sûre. Elle tourne avec sa compagnie Swaggers Crew et ses sept danseuses. En 2012, on avait déjà pu la voir dans le film StreetDance 2.

Petit lexique du hip-hop

Break danceLe fait d'enchaîner pas de danse et figures acrobatiques au sol.BattleConfrontation dansée entre deux breakers.LockingDanse debout inspirée du disco.KrumpMélange de danse hip-hop et danse africaine dans une chorégraphie frénétique. Venu de Los Angeles.PoppingDanse consistant à déplacer son corps de manière désarticulée, comme un robot.

Par Philippe Noisette

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