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Clonage : vingt ans après la brebis, l’homme ?

Après la brebis Dolly, l’espèce humaine a longtemps résisté aux tentatives de clonage. Jusqu’à l’expérience concluante d’un chercheur de l’Oregon, qui n’a pourtant suscité que peu d’échos.

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Après la brebis, le veau, le cochon, le chat et le chien, l’espèce humaine est-elle entrée dans le club des espèces clonables ? De récentes expériences suggèrent que oui.

Par Yann Verdo

Publié le 15 janv. 2016 à 17:55

C’était il y a vingt ans. Au printemps 1996, les chercheurs écossais Ian Wilmut et Keith Campbell transfèrèrent le noyau d’une cellule de glande mammaire de brebis adulte pour l’insérer dans l’ovule énucléé d’une autre brebis, qui a donné naissance, le 5 juillet de cette même année, à Dolly, premier mammifère cloné par l’homme. L’annonce de cette percée se répandit comme une onde de choc, sus­citant d’innombrables réactions – enthousiastes ou indignées. Allait-on faire la même chose avec l’homme ? Le Conseil de l’Europe s’empressa d’ajouter un codicille à sa Conven­tion sur les droits de l’homme et la biomédecine, interdisant « toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort ».

Dans les deux décennies qui ont suivi, beaucoup d’autres mammifères ont pu être conçus par clonage, au point qu’une entreprise sud-coréenne créée en 2006, Sooam, propose aujourd’hui aux riches propriétaires de chiens de compagnie de les cloner à leur mort... moyennant 100.000 dollars.

Mais l’espèce humaine semblait jusqu’ici à l’abri. Non pour des raisons éthiques, mais techniques. Toutes les fois que des généticiens avaient tenté d’effectuer un tel « transfert nucléaire » sur l’homme, ils s’étaient cassé les dents. Leur but n’était pas de donner naissance à des « Dolly » humains, ce qui a été interdit partout dans le monde après l’expérience de Wilmut et Campbell, mais d’obtenir des embryons qu’on laisserait se développer in vitro pendant quelques jours aux fins d’en faire des réservoirs à cellules souches. Autorisé dans divers grands pays (au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, au Japon, en Corée du Sud... mais pas en France), ce clonage dit « thérapeutique » semblait hors de portée des laboratoires.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a quelques semaines, un Chinois du nom de Xu Xiaochun a tenu en public des propos qui font froid dans le dos. Xu Xiaochun préside Boyalife, une entreprise ayant investi 31 millions de dollars dans une usine à Tianjin destinée à produire – par clonage – 100.000 embryons de bœuf par an pour satisfaire la demande des Chinois en rosbif. « La technologie existe déjà. Si le clonage humain est autorisé, je crois qu’aucune autre entreprise ne sera mieux placée que Boyalife pour la mettre en œuvre », a déclaré M. Xu, qui ajoute : « Malheureusement, jusqu’à présent­, la seule façon d’avoir un enfant est de mélanger 50 % du patrimoine génétique de la mère et 50 % de celui du père. Mais peut-être à l’avenir aurons-nous trois choix au lieu d’un : soit 50-50, soit un enfant avec 100 % de gènes de son papa, soit un enfant avec 100 % de gènes de sa maman. » Vous frissonnez ?...

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Un bain de caféine

Pourtant, le tournant qui a rendu les déclarations de M. Xu possibles est passé relati­vement inaperçu. En 2013, un généticien américain du nom de Shoukhrat Mitalipov, de l’université de l’Oregon, a publié dans la revue « Cell » le compte rendu de ses manipulations : il était parvenu à obtenir par clonage un embryon humain qu’il a laissé se développer in vitro pendant une demi-douzaine de jours (jusqu’au stade de blastocyte) avant d’en prélever des cellules souches. Son expérience a été réitérée avec succès l’année suivante par deux autres équipes. L’une des « astuces » ayant permis ce résultat a été de plonger l’ovule dans un bain de... caféine ! Cette substance aurait en effet la propriété de bloquer le processus de division cellulaire dans une phase favorable à la réussite du clonage.

Shoukhrat Mitalipov et ses suiveurs ont mis en avant le potentiel thérapeutique de leur exploit. Ce clonage humain, arguent-ils, serait légitime dans la mesure où les cellules souches embryonnaires ainsi obtenues constituent l’une des armes les plus efficaces de la médecine moderne (lire ci-dessous).

Nul ne sait avec certitude ce que seraient devenus ces embryons humains si on les avait réimplantés chez une mère porteuse. Des fœtus au développement anormal, condam­nés à disparaître dans une fausse-couche, ou porteurs de graves tares men­tales et/ou physiques ? Ou bien – comme Dolly – des nouveau-nés parfaitement « sains » et semblables à tous les bébés du monde, à cela près qu’ils posséderaient le même patrimoine génétique qu’un autre être humain sans pour autant avoir partagé avec lui, à l’instar de deux jumeaux homozygotes, le même utérus ?

Embryons surnuméraires

Malgré ces questions essentielles, malgré les déclarations glaçantes mais non totalement infondées – la technologie existe bel et bien – d’entrepreneurs chinois en mal de publicité, la communauté des généticiens ne semble pas montrer grand intérêt pour les récentes expériences de Shoukhrat Mitali­pov et consorts.

Professeur au Collège de France, membre fondateur de l’institut des maladies géné­tiques Imagine, Alain Fischer balaie la question d’un revers de main. « Cette affaire est caduque depuis la mise au point des cellules iPS », lance-t-il. Développées à partir de 2006 par le Japonais Shinya Yamanaka (récompensé par le prix Nobel de médecine en 2012), les cellules iPS ont révolutionné la thérapie cellulaire, jusqu’ici cantonnée aux cellules souches embryonnaires. Maintenant qu’il existe une autre façon – à la fois plus simple techniquement et de beaucoup préférable sur le plan éthique – d’obtenir des cellules souches pluripotentes, pourquoi aller s’embêter à créer des embryons par clonage ? D’autant que, comme le souligne le président du comité d’éthique de l’Inserm, Hervé Chneiweiss, les embryons surnu­méraires, ne faisant pas ou plus l’objet d’un projet parental, ne manquent pas : 170.000 d’entre eux sont actuellement congelés en France, « ce qui suffit largement à couvrir les besoins de la population en termes de besoin de cellules souches embryonnaires ».

Pour l’éthicien en chef de l’Inserm, cependant, le véritable marché ciblé par les partisans du clonage humain n’est pas celui des malades mais celui, autrement plus vaste et « juteux », des femmes souhaitant avoir un enfant à un âge avancé – par exemple lorsqu’elles se sont déjà assuré un beau début de carrière. Avec les années, leurs ovocytes se dégradent, ce qui les rend de moins en moins fertiles. Si elles n’ont pas trouvé de pères potentiels quand elles sont encore en âge d’enfanter, elles pourraient toujours, grâce à la technique de Shoukhrat Mitalipov, se faire prélever un noyau puis, quelques années plus tard, le transférer dans l’ovocyte d’une femme jeune.

C’est aussi l’avis d’Arnold Munnich, codirec­teur de l’institut Imagine avec Alain Fischer. Auteur d’un livre-manifeste, intitulé « Programmé mais libre » (Plon), cet autre ponte de la thérapie génique n’a pas de mots assez durs pour vilipender ses collègues œuvrant au clonage de l’homme : « La grande masse des gens attend de nous que nous guérissions leur enfant ou au moins que nous découvrions de quoi il souffre. Les élu­cubrations des chercheurs de l’Oregon ne sont pas leur affaire. » Hélas, cela pourrait le devenir !

Deux grandes familles de cellules souches

Les cellules souches dites « pluripotentes » ont la capacité de se différencier en presque n’importe quel type de cellules : cellules de peau ou de foie, cellules sanguines, neurones, etc. Les biologistes savent désormais orienter cette différenciation à leur gré. Ils voient donc dans les cellules souches pluripotentes la possibilité, à terme, de régénérer des tissus, voire des organes entiers, mais aussi de guérir bon nombre de maladies congénitales. Il existe aujourd’hui deux grandes familles de cellules souches pluripotentes. Les cellules souches embryonnaires sont prélevées sur les embryons surnuméraires – auxquels pourraient désormais s’ajouter des embryons créés de toutes pièces par clonage. Les cellules iPS sont obtenues à partir de cellules « adultes » déjà différenciées. Les biologistes prélèvent, par exemple, une cellule de peau, puis la reprogramment pour la faire régresser à son stade embryonnaire, quand elle était encore pluripotente. Cette reprogrammation constitue à présent une technique bien rodée, presque de routine. A cette relative facilité d’obtention s’ajoute un autre avantage de poids : les cellules iPS ne posent aucun problème éthique !

Le clonage en 8 dates

5 juillet 1996 : Naissance de Dolly. Cette brebis, qui sera euthanasiée en 2003, est le premier mammifère cloné. Son corps naturalisé est exposé à l’institut Roslin d’Edimbourg.7 février 1997 : Naissance du premier veau cloné, Gene.5 mars 2000 : Naissance des cochons Millie, Christa, Alexis, Carrel et Dotcom.22 décembre 2001 : Naissance du chat CopyCat.28 mai 2003 : Naissance de la jument Prometea.Février 2004 : Le Sud-Coréen Hwang Woo-suk annonce dans « Science » avoir réussi à créer un embryon humain cloné. Mais le chercheur a truqué ses résultats et sera condamné à de la prison en 2009.24 avril 2005 : Naissance du lévrier afghan Snuppy.Novembre 2007 : Shoukhrat Mitalipov, de l’université de l’Oregon, réalise le premier clonage de primates en insérant le noyau d’une cellule de macaque adulte dans un ovule énucléé. En mai 2013, dans « Cell », la même équipe annonce avoir procédé de même avec un embryon humain.

Yann Verdo

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