Chokrane - La France qui sombre, mais "the show must go on"

Réformettes, lois qui n'aboutissent à rien, décrets d'application jamais publiés... À quoi sert ce déploiement inutile de temps et d'énergie ?

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Une photo de Marianne et du drapeau français. Image d'illustration.  © AFP PHOTO

Temps de lecture : 5 min

L'alternance droite-gauche à laquelle nous sommes habitués est en train de battre de l'aile, car elle offre, aux yeux de la plupart des Français, une fausse alternative. En effet, quels que soient les résultats aux élections, les mêmes politiques sont menées, avec les résultats que l'on sait. Mais, au-delà de la mort annoncée du bipartisme, le mal est bien plus profond. Car le système politico-économique mis en place depuis la Libération a perdu son efficacité et les élites qui en sont issues sont discréditées.

Un système adapté au monde d'après-guerre

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle a signé un pacte social avec les communistes, qui représentaient 30 % des voix à l'époque. Les grandes entreprises ont été nationalisées et la sécurité sociale a été créée. Ce système a plutôt bien fonctionné pendant les deux premières décennies. Les élites de la République, notamment les hauts fonctionnaires, dirigeaient les entreprises publiques, les syndicats, alors très puissants, maintenaient ce compromis.

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Les dirigeants de ces entreprises publiques étaient diplômés des grands corps d'État et, pour une très large majorité d'entre eux, issus des classes sociales favorisées, alors que les représentants syndicaux étaient issus des classes sociales populaires. C'est ainsi que la lutte des classes, concept né en France, se mettait en scène au sein des grandes entreprises publiques.

Mais quand la bise fut venue...

Tant que ces dernières profitaient d'un quasi-monopole en France, ce mode de gouvernance n'entraînait pas de conséquence létale. Mais, progressivement, la situation s'est détériorée. La mondialisation progressive de l'économie française a mis hors jeu une élite qui n'y était pas préparée et qui n'a pas su préparer ses troupes.

Les technocrates énarques ne sont pas en mesure de diriger des entreprises soumises à la concurrence mondiale. Aussi brillants soient-ils, ils n'ont pas le talent d'un entrepreneur et n'ont pas reçu la formation adéquate. Les managers français sont « hors monde ». Seulement 8 % d'entre eux (contre 50 % des managers allemands ou néerlandais, par exemple) ont suivi des études à l'étranger. Comment peut-on espérer, dans le monde d'aujourd'hui, qu'un énarque parachuté à la tête d'une entreprise qu'il ne connaît pas, dont il ne connaît pas le métier, puisse anticiper les bouleversements qui vont la frapper de plein fouet.

Le spectacle continue...

Les discours démagogiques des politiques sont rarement compatibles avec les réalités économiques, et les décisions prises correspondent rarement aux besoins des entreprises, qui finissent par perdre leurs parts de marché. Du côté des syndicats, la situation s'effrite également. Ils ont perdu un grand nombre d'adhérents. Impuissants à sauver les emplois, leur base fond comme neige au soleil. Et ils sont de plus en plus dépendants des subventions publiques.

Malgré la dégradation manifeste de la situation, le jeu se poursuit, comme une comédie à laquelle plus personne ne croit. Le monde a changé alors qu'ils se croyaient à l'abri en France, sous une cloche protectrice. On prend des postures pour faire croire qu'on protège les démunis, alors qu'on ne fait que perpétuer un système qui ne fait que créer de plus en plus d'exclus. Ce sont les personnes en place qui sont protégées, au détriment du reste de la population, de plus en plus nombreuse à se retrouver exclue.

Les élites syndicales et politiques inaudibles et discréditées

Les élites sont coupées des réalités que les Français vivent au quotidien. Elles sont « hors sol ». On assiste à des postures idéologiques factices et la plupart des élites sont incapables d'une réflexion approfondie face aux nouveaux problèmes qui se posent. La technostructure oligarchique, cette élite de la République, veut conserver son pouvoir sur un édifice incapable de s'adapter à la nouvelle donne, qui prend l'eau et fabrique des exclus de plus en plus nombreux. Et elle ne peut rien pour endiguer ce mécanisme.

Avec des cotisations et des rentrées fiscales en baisse, à mesure que le chômage augmente inexorablement, ce système a de plus en plus de mal à trouver des ressources de financement, sinon par l'accroissement de la dette. Mais l'endettement, aussi, atteint ses limites. La hausse des taux d'intérêt, en rendant impossible le recours à la dette, pourrait mettre un point final à ces faux-semblants.

Un pacte sclérosant et obsolète

Ce système n'est plus viable dans une économie ouverte et mondialisée et l'élite est piégée. Ce pacte social, signé il y a 70 ans, est en train de s'effondrer. La société civile l'a compris depuis longtemps. Mais les élites en prennent conscience plus tardivement. L'économie mondiale ralentit et 2016 se présente sous de sombres auspices. Ce n'est donc pas en continuant comme nous l'avons toujours fait que la situation pourra s'améliorer.

La question qui se pose est de savoir comment sauver la protection sociale alors que les institutions qui en constituent le socle sont en pleine déliquescence. Les élites qui gèrent ces institutions ne parviennent pas à se libérer de ce pacte devenu sclérosant et obsolète sans mettre à mal une protection sociale à laquelle nous sommes tous attachés.

Penser, réinventer, penser autrement...

Voilà le défi auquel nous devons faire face. Il faut donc appréhender l'ensemble du système d'une autre manière. Faire preuve de pragmatisme et écouter ce que la société civile a à dire, écouter et prendre réellement en compte ce qui est dit. Souvent, les élites prennent la posture de celui qui est à l'écoute, mais, dès qu'une décision doit être prise, les apports des uns et des autres ne sont pas pris en compte.

Si une refondation est à l'ordre du jour, toutes les forces doivent participer au débat. Si les élites actuelles ne sont plus audibles, c'est parce qu'elles sont incapables d'écouter ce que les gens ont à leur dire. Les comédiens maintiennent leur spectacle affligeant malgré les huées du public. Le spectacle doit continuer coûte que coûte...

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Commentaires (22)

  • Arthemis

    Une France bloquée brillamment illustrée par un discours de plus de Hollande qui ne songe qu'a une chose se faire réélire en 2017. J'ai mal à ma France! Merci à l'auteur pour son sombre mais réaliste diagnostic...

  • bazy

    Le diagnostic est intéressant et sans doute correct. Le remède ressemble à un cautère sur une jambe de bois.

  • DGA68

    Devant l’ampleur d’une crise dont on ne voit pas la sortie, les promesses font leur retour dans le débat politique mais ne trouve plus d’échos. Extension de la gratuité, sortie de la marchandisation, remise en cause de la propriété privée, les directions évoquées sont nombreuses et renvoient pour l’essentiel aux thématiques déjà présentes dans les utopies du XIXe siècle. Les dernières déclarations d'Hollande ou d'un front commun contre le chômage montre combien il est nécessaire de renouveler le débat politique, elles soulignent l’ampleur des changements qui seront nécessaires, mais elles soulèvent aussi la question de leur viabilité dans le temps. Je ne parle pas ici des idées, mais bien des différentes tentatives de concrétisation dont elles ont fait l’objet. À l’heure où trouver des solutions viables devient une impérieuse nécessité, il me semble nécessaire de porter un regard lucide sur l’écart entre la théorie et la pratique. Sans faire œuvre d’historien ou de sociologue (je ne suis ni l’un ni l’autre), je voudrais souligner toute la lucidité des articles de Mr Chokrane qui se succèdent dans votre excellent hebdo mais qui ne semblent pour l'heure ne trouver aucun échos

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