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ENTRETIEN

"Il faut lutter contre Daech sur le plan des idées"

En instaurant le califat, l'EI a semblé créer un précédent pour une organisation terroriste. Or, ce n'est pas la première fois que l'on tente d'imiter cette institution qui remonte aux premiers siècles de l'Islam. Éclairage.

Image extraite d'une vidéo de propagande de l'EI montrant Abou Bakr al-Baghdadi proclamant le création du califat à la mosquée de Mossoul le 29 juin 2014.
Image extraite d'une vidéo de propagande de l'EI montrant Abou Bakr al-Baghdadi proclamant le création du califat à la mosquée de Mossoul le 29 juin 2014. AFP
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Le 29 juin 2014, le chef de l’organisation de l’État islamique (EI), Abou Bakr al-Baghdadi, proclamait l’avènement du califat depuis la grande mosquée de Mossoul. Une terre d’Islam, à cheval entre la Syrie et l’Irak dont il contrôle de larges pans, faisant référence à l’âge d’or des premiers temps de l’Islam.

Dans "le Califat, histoire politique de l’Islam", l’historien et chercheur au CNRS Nabil Mouline, remonte le fil de l’histoire de l’Islam et apporte un éclairage sur cette institution politico-religieuse, qu’est le califat.

France 24 : Est-ce que ce que le califat désigné comme tel par les jihadistes de l’EI est comparable avec le califat tel qu’il a existé dans le monde musulman à partir du VII ème siècle ?
Nabil Mouline :
Pas vraiment. En réalité, comme d’autres avant lui, Daech [autre appellation de l’EI en arabe] utilise l’institution du califat pour légitimer sa démarche et son projet. Car si on inscrit le phénomène Daech dans la longue histoire arabo-musulmane, il se révèle n’être qu’une forme banale de quelque chose d’exceptionnel. Car beaucoup de groupes ont par le passé considéré que l’Islam tombait en mécréance et entrepris de rétablir son unité, le revivifier et réinstaurer le califat.

En regardant de plus près, on remarque qu’un mouvement comme Daech est en réalité issu de la modernité. C’est une sorte de bricolage intellectuel, un détournement d’idées et d’images diverses venues du monde musulman et de l’Occident. Ainsi, le nom même que s’est donné le mouvement, État islamique, rappelle l'influence occidentale : l’État est une institution importée dans le monde musulman au XIXè siècle. Le qualificatif islamique, lui, est une forme de reconnaissance identitaire inspirée des nationalismes du XIXe siècle.

F24 : Pour l’heure, les puissances régionales et occidentales tentent de combattre l’EI par la voie militaire. Est-ce une stratégie efficace ?
N. M. : La voie militaire est une voie parmi d’autres. Elle a été utilisée par de nombreux régimes arabo-musulmans contre les islamistes à partir des années 1950, ensuite par les Occidentaux.Cela ne fonctionne pas. Car si on arrive à affaiblir Daech, ce qui finira par arriver, une autre manifestation de l’idéologie jihadiste apparaîtra ailleurs. Le phénomène jihadiste est global, complexe et multidimensionnel. Il semble quasi impossible à éradiquer, mais on peut l’affaiblir, le marginaliser. Pour cela, il faut apporter une réponse globale, c'est-à-dire politique, économique et sociale. En outre, le jihadisme comporte une variable idéologique importante et il faut le combattre sur le même plan, celui des idées. Cela peut se faire notamment à travers une réflexion renouvelée sur l’Islam, et l’utilisation des sciences sociales (histoire, anthropologie, sociologie). Le retour aux sources, c'est-à-dire aux écrits fondateurs de l’Islam et à l’histoire du monde musulman permettra, entre autres, de déconstruire le discours jihadiste et de dépassionner leur vision de l’islam. En revenant aux faits, on se rend compte que les califats, idéalisés par les jihadistes, sont en fait des institutions humaines que l’on peut reconsidérer.

F24 : Vous utilisez le terme "idéalisé". Cela signifie-t-il qu’ils n’ont pas une vision exacte de l’Islam ?
N. M. : Le califat des jihadistes (et des traditionalistes en général) est une tradition inventée, fantasmée. L’idée même du califat, est à la fois une réalité et un mythe. Des califats ont existé dans la réalité, mais ils n’ont jamais correspondu au mythe. Par exemple, les oulémas, les savants de l’Islam, ont désigné les quatre premiers califes, les successeurs du prophète Mahomet, comme les quatre califes "bien guidés", leur règne correspondant à une sorte d’âge d’or. Or, l’histoire de l’Islam montre que ce n’était pas le cas, cette période était marquée par des luttes intestines et autres trahisons. On invente ainsi des choses qui n’ont jamais existé. On les considère comme sacrées et on tente de les reproduire.
C’est pour cela qu’il faut permettre à des discours alternatifs d’exister pour contrer ce discours fantasmé qui gangrène l’Islam.

F24 : Justement, pour contrer l’idéologie jihadiste et l’extrémisme en France, on explore souvent les pistes de la prévention par le biais notamment de la formation des imams. Qu’en pensez-vous ?
N. M. : Les institutions religieuses ne sont ni représentatives ni qualifiées pour répondre. Par ailleurs, il est difficile de concurrencer l’Arabie saoudite sur ce plan quand on sait que la majorité des livres, des sites ou des médias destinés à la formation des religieux musulmans et du grand public sont saoudiens, frères musulmans ou traditionalistes.
La différence entre Daech et les autres mouvements jihadistes, c’est sa communication. Pour frapper les esprits et mobiliser le plus grand nombre, ils font feu de tout bois, notamment en utilisant les nouvelles technologies. Il faut, pour lutter, le faire sur le plan des idées et par tous les moyens. À leur manière.

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