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Le soin qui venait du froid

Se plonger entièrement dans un «bain» d'air sec à -150 °C, une folie? Après la médecine et le sport de haut niveau, la cryothérapie investit le bien-être: sommeil, stress, petits bobos... Nous l'avons testée.

Par Claude Vincent

Publié le 22 janv. 2016 à 01:01

Le bois de Vincennes, aux marges de Paris, une fin d'après-midi. La scène est irréelle. Dans la pénombre d'une petite chambre froide aux murs et au sol légèrement givrés, vêtus d'un simple maillot de bain, de moufles, d'un léger masque de tulle et d'un bandeau d'oreilles, quatre individus chantent et s'agitent en chaussettes et claquettes au rythme d'une salsa, dans le profond brouillard exhalé des poitrines. Froide, la chambre? Oui. Très froide, même: -110 °C! La plus basse température naturelle jamais enregistrée sur Terre n'est que de -93 °C. Là, on tangente celle de la nuit lunaire. Alors, après les «soirées mousse», les «after» cryo? Pas vraiment.

Si l'ambiance est conviviale, elle est aussi studieuse. Nous sommes à l'Insep, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance. Le temple français de la préparation des champions et un précurseur en matière de cryothérapie dite «corps entier» (cryo CCE): le soin par l'exposition brève de tout le corps à de très basses températures. Dans le supercongélateur grelottent une épéiste, une danseuse de l'Opéra, un triple sauteur et un journaliste. Les trois premiers profitent des installations et des compétences techniques et médicales du centre pour soigner une épaule récalcitrante, résorber un oedème suite à une opération, accélérer la récupération musculaire après l'effort de deux Bayadère enchaînées à l'Opéra Bastille ou soulager un corps sollicité par la musculation et la répétition des sauts. Le dernier, frileux par nature, a simplement fait le don minuté de son corps - après examen médical - au métier. Histoire d'aller tester en direct cette technologie qui, longtemps réservée à la médecine et aux sportifs de haut niveau, conquiert la planète bien-être. Elle sera ainsi le clou des nouveautés présentées au Salon Les Thermalies (du 21 au 24 janvier au Carrousel du Louvre, à Paris). Après avoir investi quelques cliniques, instituts et centres de remise en forme, la «cryo» séduit les centres de thalassothérapie. Alliance Pornic, équipé depuis un an, a précédé le mouvement. Suivront cette année Dinard et Quiberon pour le groupe Thalassa Sea & Spa, et Cabourg et Arcachon pour le groupe Thalazur. Tous vont l'intégrer dans leur offre de soins: «récup» après le golf, aide dans les cures de sommeil, ménopause, dos, articulations, fibromyalgie... A Dinard, la directrice générale Marie-Claire Bélien confie que cet équipement a fait craquer l'encadrement de l'équipe de football du pays de Galles, qui sera hébergée dans le centre breton lors de l'Euro 2016.

Du souffle coupé à la douce euphorie

A l'Insep, s'il ne dure que trois minutes, l'étrange ballet glacé a par moments des allures d'éternité. Et l'expérience est riche en émotions. Après un bref passage technique par un sas à -10 °C, puis un autre à -60 °C, la plongée dans le froid lunaire est immédiate. L'effet est saisissant, au sens propre: les sensations - inconnues - de ce froid superficiel mais intense sont sans rapport avec le froid pénétrant qui glace les os. La respiration est d'abord coupée faute d'oser inhaler cet air surgelé... «Vous en êtes déjà à une minute.» Déjà? Seulement, oui! Quand Jean-Robert Filliard, docteur en science du sport chargé de la cryothérapie à l'Insep annonce la couleur, le doute s'installe. Comment tenir? Hasard ou non, quelques secondes après, la respiration s'apaise, une légère sensation de chaleur se diffuse dans le corps, une douce euphorie s'installe. Le temps se fige, chacun se concentre sur lui-même: s'agiter un peu, se frictionner la peau, penser à autre chose, chantonner, plaisanter... «Deux minutes trente!» Non, pas possible? A ce stade, pas question de caler. «Trois minutes dix, vous sortez», annonce Jean-Robert Filliard, qui aime carotter un peu. Personne ne demande son reste.

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Dehors, c'est chair de poule, poils hérissés, peau qui rougit et picote, muscles qui tremblotent, dents à la limite du claquement. Rien d'inquiétant. Normal, le corps réagit, commente le maître des lieux. Thermomètre sans contact en main, il mesure la température de la peau: 13 °C. En moins d'un quart d'heure, elle aura retrouvé la normale. Et force est de reconnaître que s'installe très vite une sensation de bien-être, d'apaisement. Le soulagement de s'en être sorti? Pas seulement. Le sommeil, le soir, sera meilleur. Dans les cabines individuelles de Dinard et de Pornic - les thalassos préfèrent cet équipement plus léger et moins coûteux aux chambres froides -, toutes deux testées, l'expérience sera différente. Si la descente en température est apparemment plus profonde (affichée au final à -125 °C dans un cas et -147 °C dans l'autre), elle est plus progressive et la tête reste à l'air libre. Le vécu est plus solitaire et, faute d'être vraiment libre de ses mouvements, la sensation d'enfermement peut, paradoxalement, être plus vive que dans les chambres frigorifiques. Mais le ressenti immédiat est sensiblement le même.

Réactions biochimiques

Ces équipements popularisent une méthode de soin, expérimentée dès les années 80 par le médecin japonais Yamaguchi, qui a gagné progressivement l'Europe orientale et du Nord avant de déferler récemment aux Etats-Unis et en France. Son principe est simple. Il s'agit d'abaisser brutalement la température de la peau en plongeant l'organisme dans un «bain» d'air sec et très froid (de -110 °C jusqu'à -150 °C selon les techniques). En trois minutes, l'épiderme passe d'environ 32 °C à 10-15 °C, selon les constitutions (gabarit, masse grasse et musculaire...), sans que la température interne ne change. Ce véritable choc thermique, qui ne survient qu'à partir de -85 °C, a de nombreux effets. Averti du «danger» par les thermocapteurs de l'épiderme, le cerveau se mobilise très rapidement pour protéger du froid les organes vitaux. Une cascade de réactions physiques et biochimiques se déclenche: vasoconstriction superficielle, libération d'endorphines (hormones dites «du plaisir»), de composés actifs anti-inflammatoires (histamines, cytokines)... De là découlent la plupart des indications proprement médicales de cette cryothérapie totale: inflammations chroniques (spondylarthrite ankylosante, polyarthrite rhumatoïde, sclérose en plaques), fatigue musculaire (élimination des toxines), oedèmes, inflammation de la peau (psoriasis), asthme... Et, désormais, celles dites de «confort», plus ou moins validées: régulation du sommeil et du stress, jambes lourdes et retour veineux, drainage lymphatique...

Utilisée de longue date en Europe orientale, cette pratique remboursée par l'assurance-maladie polonaise et par certaines mutuelles allemandes commence à intéresser les rhumatologues et les kinésithérapeutes français. Mais les études cliniques probantes et incontestables manquent et, pour nombre d'indications, en particulier dans la sphère du bien-être, la preuve des bienfaits reste largement déclarative. Quant aux vertus amincissantes prêtées à la cryo CCE par divers instituts de beauté, aux Etats-Unis en particulier, elles sont contestées par les spécialistes. «On n'a rien remarqué de tel. Perdre de la graisse au bout de trois minutes? Dès qu'on m'apportera la preuve, j'y croirai», s'exclame Jean-Robert Filliard. Même constat de la part d'Antoine Boutin, qui a lancé plusieurs centres à Paris depuis 2012, sous l'enseigne CryoTep. Seul un raffermissement à court terme de la peau peut être constaté, semble-t-il.

Entre 35 et 50 euros la séance

Sportifs de haut niveau, malades en souffrance, hommes et femmes simplement soucieux de leur forme et de leur santé, chacun a son propre vécu, ses propres projections. Marie-Noëlle Veillet-Berry, directrice générale d'Alliance Pornic, qui pratique régulièrement depuis un an dans son centre, estime mieux dormir. Rencontrée chez Antoine Boutin, une jeune femme atteinte de sclérose en plaques confie que les séances lui apportent un soulagement. «Après, je me sens bien, je marche mieux.» Pour certaines pathologies très douloureuses, la cryothérapie permet également de limiter la prise d'antalgiques. Jacques-Antoine Granjon, le fondateur de Vente-privée.com, assure avoir ainsi mis fin à des tendinites récurrentes liées à la pratique sportive (voir ci-contre). Maureen Nisima, brillante épéiste médaillée olympique et championne du monde, reconnaît à la chambre froide des effets décontractants: «Pour moi, c'est ça, mais pour d'autres, au contraire, cela les stimule et il faut d'ailleurs le prendre en compte en phase de compétition. Confrontée à ma capacité à résister au froid, j'ai aussi découvert des ressources mentales insoupçonnées. Et comparé aux exigences de la sophrologie ou de la méditation, on est passif, c'est aussi simple que de se jeter à l'eau.»

A l'inverse, pour Béatrice, cadre dans un établissement bancaire, l'expérience est mitigée. Curieuse de nouveauté, elle s'est offert trois séances en cabine individuelle, mais n'entend pas les renouveler. «On ressent quelques effets sympa, c'est vrai, mais le coût est élevé (entre 35 et 50 euros la séance selon le nombre, NDLR) et je crois que je préfère la méditation ou un grand bol d'air en bord de mer », plaisante-t-elle. Francis Staub, lui, est beaucoup plus positif. Jeune sexagénaire, l'inventeur de la marque réputée de cocottes en fonte du même nom est un adepte du froid de longue date. A commencer par la toilette matinale à l'eau froide! «C'est formidable, le froid évacue instantanément blues ou déprime. Dans le monde d'aujourd'hui, on ne peut éviter les poisons et il faut des antidotes. Le mieux est de demander à son corps de les produire. Il est très réactif, à condition de le stresser avec amour.» Il inclut désormais la cryothérapie, chez CryoTep, dans une séquence d'entretien de quinze minutes de rameur, suivies de trois minutes de cryo à -140 °C, pour finir par une séance d'Iyashi Dôme, un sauna sec japonais à infrarouge (70 °C). «Ensuite, je me sens bien jusqu'au lendemain au moins.» Après la phase de découverte - plusieurs fois par semaine -, il a réduit le rythme à une séance hebdomadaire.

Des études cliniques bientôt lancées

Attention cependant, il peut y avoir une forme d'accoutumance, avec le risque que le corps réponde moins, estime Antoine Boutin, de CryoTep. «Il y a quelques mois, lorsque j'ai installé une cabine à Boulogne-Billancourt, j'y ai souvent accompagné mes clients et donc multiplié les séances. Quand j'ai arrêté, j'ai ressenti quelques troubles du sommeil et de la digestion qui étaient sûrement liés au sevrage. Un client qui me semble accro, je l'incite à couper un peu. »

C'est l'un des challenges de la cryothérapie totale: trouver le bon rythme et la bonne durée des séances. Si trois minutes est la norme généralement prônée, certains pratiquants se contentent de deux minutes. Au-delà de quatre minutes, c'est plutôt la quête de la performance façon «Grand Bleu». Une unique séance n'a pas grand sens non plus, si ce n'est la découverte. A l'Insep, le protocole standard est de deux par jour (matin et soir) pendant une semaine. «Mais nous testons le rythme de deux séances rapprochées à une heure d'intervalle », précise Jean-Robert Filliard. Le centre doit également lancer de véritables études cliniques. L'enjeu est double. Mieux comprendre les phénomènes biologiques à l'oeuvre et distinguer les effets à court terme de ceux à long terme. Pour éviter que cette thérapie de plus en plus «trendy» ne voit ses promesses dévalorisées par des pratiques et des allégations douteuses.

Dangereux ou pas?

L'info a fait la une des médias américains en octobre dernier: Chelsea Ake-Salvacion, une jeune femme de 24 ans, a été retrouvée morte dans son propre institut. Elle aurait fait sa séance de cryothérapie seule, après la fermeture de l'établissement, et victime d'un malaise, n'aurait pu s'extraire de la cabine. Au-delà de quelques minutes, l'hyperfroid ne pardonne pas. De quoi relancer le débat sur les risques de cette pratique. Après plusieurs dizaines de milliers de passages en cabine depuis cinq ans - sportifs et patients externes de toutes conditions et de tous âges - l'Insep ne relève pourtant aucun accident. Antoine Boutin, gérant de CryoTep, non plus, de même que la thalasso de Pornic. Principales contre-indications: les antécédents cardiovasculaires, les plaies récentes (pour éviter les brûlures), l'allergie au froid, une grossesse en cours... Encore s'agit-il plutôt là d'un principe de précaution. Que ce soit en caisson individuel ou en cabine, les spécialistes recommandent surtout la présence d'un opérateur compétent et formé, si possible du corps médical: infirmier, kiné... La composante psychologique (expliquer et rassurer) est importante.

Jacques-Antoine Granjon (Vente-privee):«Je n'ai plus de tendinites»

«Depuis plus d'un an, je suis un adepte de la cryothérapie corps entier. Mon coach sportif, Stéphane Demouy, m'a orienté vers cette technique de récupération pour traiter des tendinites récurrentes liées à une pratique sportive assidue. Le résultat a été fantastique ! Je n'ai plus de tendinites. Mais, mis à part le travail sur le muscle et les tendons, c'est très détendant. Je recommande plutôt de faire une séance lorsqu'on est fatigué. Au début, j'étais sur le rythme de deux à trois séances hebdomadaires, aujourd'hui, je suis plutôt sur une séance. Sur le moment, on ne peut pas dire que ce soit particulièrement agréable : la première minute, on a froid, la deuxième passe mieux et les trente dernières secondes sont un peu plus dures. Mais le temps défile vite. Antoine (Antoine Boutin, le fondateur de CryoTep, NDLR) entretient la conversation en tête-à-tête et sait créer une ambiance conviviale. J'apprécie en particulier le café en sortant de la cabine! L'intérêt est réel et je conseille volontiers cette technique. Mon ami Marc Simoncini s'y est mis lui aussi.»

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Le froid à tout faire

Il y a vingt-cinq siècles, Hippocrate recommandait déjà l'usage médical de la neige et de la glace. Le froid a des vertus bien connues contre les bobos: poches glacées sur le front pour calmer les maux de tête, sprays réfrigérants pour atténuer les hématomes en cas de choc. Mais il a bien d'autres applications médicales comme la cryoablation de lésions cutanées (verrues, cancers...) voire, en interne, la préservation des neurones de malades dans le coma ou la réparation cardiaque. En bien-être et beauté, diverses techniques promettent raffermissement et tonicité de la peau grâce à l'application locale de froid (mais supérieur à 0 °C) pendant plusieurs minutes. La cryolyse, elle, peut faire éclater localement les tissus adipeux en les «congelant». Autre pratique, à la thalasso de Saint-Jean-de-Luz par exemple, des chaussettes réfrigérantes soulagent les jambes lourdes.

Par Claude Vincent

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